Une semaine s’est écoulée, Mouhamadou Fallou SENE est toujours mort. Une semaine c’est assez pour que les protagonistes présentent des condoléances à sa famille. Entre temps, le Président a pris la symbolique décision de démettre le Recteur et le Directeur du CROUS de leurs fonctions. On va dire que le mal n’est pas annihilé depuis les racines et qu’il existe suffisamment de germes pour que les tiges d’un désastre grandissent encore pour laisser fleurir la mort sur de futurs martyrs. Pour qui connait le mal, on attend plus un remède, qu’une condamnation de situations dont les signes annonciateurs n’ont cessé d’alerter. Peut-être que l’UGB vient de vivre cette situation inédite mais le mouvement étudiant est mort plus d’une fois…Balla GAYE, Bassirou FAYE et Fallou SENE. A chaque fois, on a dit plus jamais ça. Et pourquoi cela se répète encore?
En vérité, il faut être plus qu’un chroniqueur pour y répondre et les mots pour le dire nous viendront d’un vécu large dans cet espace où Fallou est tombé, peut-être pas dans le même temps mais à des contextes similaires où la plus petite bavure pourraient nous être fatale. Des bavures, l’UGB en a vécu, mais c’était assez courant puisqu’il s’agissait plus de s’inscrire dans une logique de contenir les masses et gagner du temps pour que le retard des bourses passe inaperçu. On en est arrivé là parce que l’Université sénégalaise vit des mutations depuis plus d’une dizaine d’années, des problèmes qu’on déplace sans jamais les régler. Facile de s’en convaincre puisqu’aussitôt que le drame s’est produit, on a procédé aux paiements des bourses. Assez pour faire disparaître l’objet de la manifestation de trop. Recteur et Directeur du CROUS limogés, décisions apaisantes mais qui ne va pas au-delà du symbole.
A-t-on parlé de pacification, une pacification de l’espace? L’espace bouillant où à chaque fois que les esprits ne s’affrontent pas dans l’élévation, les coups de poings et jets de pierres finissent pars se croiser tout bas. Des scènes tellement récurrentes avec une banalité extrême. Etudiants et forces de l’ordre s’affrontent pendant que les autres membres de la communauté vaquent à leurs occupations. Écoute…on parle de scènes de violences là. Malheureusement, il y a la mort pour rappeler que cet espace n’est pas un champ de violence. Une chose étant de connaitre cette vérité, une autre chose est d’être persuasif et de parvenir à l’insérer dans les esprits. On a fini par installer dans la tête des étudiants qu’on ne donne jamais rien et qu’un dû, il faut toujours savoir l’arracher. Des générations et des générations de délégués ont dirigé des fronts parce qu’ils avaient le sentiment que c’est la seule arme dont ils disposaient et à chaque fois qu’ils ont décidé de ne pas recourir à cette forme de violence les autorités ont abusé de leur patience. Finalement, c’est la base qui se désolidarise et qui décide qu’avec ou sans la bénédiction de leurs représentants ils iront sur la route nationale préméditant ainsi le délit d’entrave à la libre circulation des personnes. Ils ont toujours eu raison puisque l’on n’attend que ça pour verser les allocations. Au fil des années cette manière de faire a décrédibilisé tout élan pacificateur. Finalement, les responsables ne veulent plus se laisser devancer dans le champ de bataille par leurs camarades qui n’ont aucune légitimité.
Et sur la route nationale, les étudiants empêchent la circulation de centaines de passagers qui n’en ont cure des problèmes de bourse. Ils veulent voyager ou rentrer chez eux. Peut-être qu’ils transportent des malades et se heurtent à un mouvement dont ils ne comprennent rien du tout. Ils ne voient que de petits prétentieux qui se donnent le droit tout faire parce qu’ils n’ont pas reçu de l’argent. Ils ne voient pas plus que de petits étudiants qui se croient le centre du monde pensant que parce qu’Omar PENE a chanté en leur honneur qu’ils doivent tout se permettre. Cette idée qui finit par s’installer dans la tête de ceux qui en font les frais est un grand boulet que traîne le mouvement étudiant, leur ôtant toute la compassion des citoyens. Ils sont alors discrédités, esseulés, en renvoient une image écornée par les nombreuses luttes avec des armes ravageuses.
Ainsi, ils perdent l’estime des forces d’intervention qui n’hésitent à les mater fort avec comme objectif caché de les discipliner pour qu’à l’avenir ils ne songent plus perturber leur sommeil dans les casernes. Tellement remontés contre ces petits prétentieux qu’il faut amener avec soi une ou deux balles réelles ; assez suffisantes pour faire un sacrifice et donner un coup froid au bouillant mouvement d’humeur. Après, on dira que c’est sous l’assaut de 3000 étudiants que les forces de l’ordre ont été contraintes d’utiliser l’arme de la mort pour les en dissuader…tu parles…Il n’y a pas à l’UGB, aux alentours du restaurant, un espace qui peut contenir 3000 âmes. Et de toute façon, les affrontements ne voient habituellement que la participation de 100 ou 200 téméraires. Le reste c’est de la communication d’armée.
L’impérieuse nécessité de voir plus qu’une simple bavure s’accompagne d’une nécessaire refonte du système managérial de l’université et de son administration. Un système grippé peut présenter des symptômes jusque dans les organes périphériques. Si on ne veut y voir aucun lien, on rate souvent le diagnostic. Et ce n’est pas en voulant caresser dans le sens des poils que cela se fera. Cette révolte qui se fait au-delà du portail vient du fait que dans l’enceinte du temple, l’étudiant est malmené. Désorienté, avec des masters qui se chevauchent et qui tirent sur des années. Les accumulations de perturbations sur l’année académique qui, s’ajoutant à l’absentéisme des enseignants qui, entre quatre avions, relèguent leurs charges horaires à un niveau de vacatariat sont des sources d’inquiétudes et de frustrations des apprenants. Des facteurs qui sèment une frilosité aiguë dans les cœurs pour y injecter un sentiment de frustrations qui se déverse à chaque fois que la coupe est pleine. Dans les salles de classes, dans les conseils d’UFR et d’assemblées de fac, les principales victimes des guéguerres entre enseignants sont souvent les étudiants. Ils sont aussi victimes d’un orgueil pas trop bien contenu par ceux qui sont censés être des idoles.
Autant d’éléments qu’on ne voit que quand on vit à l’intérieur et qui sont des facteurs de ces crises récurrentes.
Un enseignement supérieur qui fonctionne est fait d’universités qui enseignent à sa société comment bien se tenir. Au-delà de simples leçons à réciter, la vocation est de prodiguer des règles de conduites et des codes utiles à l’amélioration des comportements et des ressources. On a plus besoin de recevoir des leçons de vie de l’Université que d’en donner.
Alioune FALL af