Monsieur le procureur de la République, nous avons bien suivi la laborieuse conférence de presse que vous avez tenue, à charge contre des personnalités politiques, potentiels adversaires du président de l’Alliance pour la République (APR), lors des prochaines consultations électorales, notamment Khalifa Sall, Abdoul Mbaye, Bamba Fall, Barthélémy Dias etc…
Vous avez donné votre version des faits, ayez donc l’amabilité de laisser les citoyens donner leur opinion sur votre action publique. Nous croyons vivre dans un Etat de Droit, où les libertés sont garanties par la Constitution (voir articles 8, 9 et 10). Comprenez alors, Monsieur le procureur, qu’au Sénégal, la liberté d’expression à sens unique ne saurait prospérer.
Vos mises en garde, sur fond de menace, nous rappellent les propos du Premier Ministre, Mohammad Boune Abdallah Dionne, qui avait interdit aux opposants de parler de l’affaire Pétro Tim, à l’occasion d’une conférence de presse. Son discours avait suscité une indignation de la part des citoyens, qui l’ont écouté sans véritablement le prendre au sérieux. Depuis lors, ce débat est toujours sur la place publique et des comptes sont toujours exigés à M. Alioune Sall, frère du Président. Si vous vous autosaisissiez, comme l’a fait le procureur de New York dans cette même affaire Pétro Tim, le peuple sénégalais vous aurait applaudit et salué votre liberté, votre courage, votre citoyenneté et votre indépendance.
Monsieur le Procureur, la justice est dite au nom du peuple. Alors, pouvez-vous interdire à ce peuple de donner son avis sur la marche de la Justice de son pays ? Monsieur le Procureur, vous êtes payés avec l’argent du contribuable. Alors, laissez-nous apprécier votre travail, car le Peuple est le seul juge compétent pour juger et apprécier positivement ou négativement votre action.
Au Sénégal, nous savons qu’aucun procureur de la République n’ose tenir une conférence de presse publique sur des dossiers pendants devant la Justice, sans avoir la double autorisation (verbale ou écrite) du ministre de la Justice et du président de la République. C’est une lapalissade de dire que le rapport de l’IGE, qui incrimine le maire de Dakar, vous a été transmis par l’Exécutif, dont le patron est Macky Sall, candidat de la coalition «Benno Book Yakaar», nouvel ami d’Ousmane Tanor Dieng.
Alors, pourquoi ne pas rendre public le rapport, comme l’ont été les précédents, afin qu’on puisse savoir qui a fait quoi de l’argent public ? Que cache ce refus de déclassifier le rapport ? Qui veut-on protéger encore ? L’Etat de Droit est passé par la fenêtre, depuis que le président de la République a dit avoir mis des rapports sous le coude.
Monsieur le Procureur, à chaque fois qu’un homme nanti de vos prérogatives se lance dans une opération de communication, c’est parce qu’il n’est pas à l’aise dans un dossier, ou alors il s’agit d’une affaire gênante, voire délicate.
Les dossiers Abdoul Mbaye, Bamba Fall, Khalifa Sall, Barthélémy Dias sont gênants, parce qu’ils impliquent des acteurs politiques, adversaires du président de la République, Macky Sall, votre patron. Messieurs Khalifa Sall, Barthélémy Dias et Bamba Fall sont les maîtres politiques de la capitale sénégalaise, qui résiste au pouvoir de l’APR à toutes les élections, depuis 2012. Alors, si on voit aujourd’hui le Parquet général fermer les yeux sur certains scandales, pour poursuivre des adversaires du Pouvoir, cela crée des suspicions et alimente des commentaires tout à fait légitimes.
Monsieur le Procureur, vous communiquez trop souvent. Vos sorties répétées laissent croire que vous cherchez à vous justifier face à une situation inconfortable, dans laquelle l’Exécutif vous a plongé.
Monsieur le Procureur, voici ce que vous aviez dit :
«Nous avons mené des enquêtes sur des flux financiers importants, que nous avons vus […] L’estimation provisoire des biens retrouvés, qui appartiennent à Aïda Ndiongue, fait état de 47 milliards 675 millions francs CFA».
«Des bijoux d’une valeur estimative de trois milliards 500 millions [de francs CFA] ont été aussi retrouvés. Le 16 janvier 2014, un montant de huit milliards [de francs CFA] a été trouvé dans une institution financière. Des bijoux d’une valeur estimative de 12 milliards [de FCFA) ont été aussi retrouvés».
«Aujourd’hui (vendredi), 250.000 euros (environ 163,7 millions de francs CFA) ont été retrouvés dans un coffre lui appartenant. Vingt-mille (environ 10 millions de francs CFA) et des bijoux d’une valeur de 600 millions de francs CFA aussi».
Nous avons bien suivi l’affaire Aida Ndiongue, jusqu’à son épilogue. On se rappelle l’histoire du fameux communiqué de presse qui avait créé un malaise au sein du Parquet et qui remettait en cause la décision du juge qui avait relaxé l’ancien maire des HLM. Vous aviez tellement chargé la dame que son honneur en a été terni. La suite est connue. Aujourd’hui, sa santé en est fortement affectée.
Monsieur le procureur vous avez dit ceci :
«Sur les rapports de l’Ofnac, j’ai déjà été saisi. Tous les rapports de l’Ofnac sont en train d’être étudiés par la Section financière de mon Parquet. Prochainement, une conférence de presse sera organisée à cet effet. Je vous réunirai. Je sais qu’il y a beaucoup de bruit autour de cette question. Je vous en parlerai».
Monsieur le Procureur, l’ancienne présidente de l’Ofnac, qui avait rédigé ce rapport, a été limogée. Allez savoir les raisons. Le Directeur général du COUD, qui a été épinglé dans ledit rapport, reste impuni. Et il n’est pas le seul responsable de l’APR à bénéficier à ce régime d’impunité. Quand est-ce que la Section financière de votre Parquet va-t-elle terminer l’étude de ce rapport de l’Ofnac, transmis depuis plusieurs mois ? Quelqu’un l’aurait-il «mis sous le coude» ? Nous avons l’impression que lorsque le dossier concerne un responsable de l’APR, la Justice prend les voies à fort taux d’embouteillages… Et si c’est un opposant au Président Macky Sall, elle prend l’autoroute à péage.
«Il a expliqué devant les enquêteurs que tout cela était faux et n’était destiné qu’à couvrir les 30 millions de FCFA qu’il prenait et qu’il remettait en main propre à Khalifa Sall. C’est ça le problème mais pas de la politique…Vous voyez, donc, qu’ici, il devait s’agir de justifier la somme de 1,800 milliard de l’argent pris dans les caisses, sans justification», avez-vous dit.
Monsieur le Procureur, il sera difficile de faire comprendre aux Sénégalais que l’affaire Khalifa Sall n’a rien de politique. D’abord, ce sont ses principaux lieutenants (Bamba Fall et Barthélémy Dias) qui sont traînés devant la Justice, l’un après l’autre.
Monsieur le Procureur, si Khalifa Sall a commis des malversations, pourquoi attendre maintenant, à quelques mois des élections, pour le poursuivre ? Nous nous opposons à la dilapidation de nos maigres ressources, mais nous dénonçons toute Justice sélective. Monsieur le Procureur, qu’allez-vous faire des responsables de l’APR et des hommes d’affaires proches du régime, récemment épinglés par la Cour des Comptes ?
Monsieur le Procureur, ne soyez jamais la personne qui aidera le Président Macky Sall à écarter ses adversaires de la course aux Législatives. Car, un de ces jours, il n’hésitera pas à vous lâcher, comme il l’a fait avec le Procureur Alioune Ndao, en pleine audience à la CREI.
«Il y a eu deux actes qui concernent un seul mariage. Abdoul Mbaye a présenté un document devant être l’acte de mariage avec séparation des biens et polygamie. Son épouse aussi, Aminata Diack, a présenté un acte de mariage où il est mentionné communauté des biens et monogamie. Alors, j’ai eu deux actes de mariage avec des mentions différentes pour un seul mariage, donc il y’a forcément un faux», avez-vous dit encore.
Monsieur le Procureur, dans l’affaire Abdoul Mbaye, même s’il y a du faux, qui peut en être l’auteur principal ? Vous n’allez pas croire qu’Abdoul Mbaye, qui n’est pas un agent d’Etat civil, a confectionné, lui-même, son propre certificat de mariage. Si cette éventualité était écartée, Abdoul Mbaye ne pourrait donc être qu’un complice. Si sa complicité n’était pas prouvée, matériellement, Abdoul serait donc une victime.
Monsieur le Procureur de la République, vous avez assez d’éléments qui peuvent remplir pleinement vos journées au Parquet. Attendez-vous d’être saisi ou d’avoir des éléments pour lancer des poursuites contre les auteurs des scandales suivants :
Bictogo: 19 milliards de FCFA ;
Africa Energy: 300 milliards de FCFA ;
Petro Tim: plus de 600 milliards de FCFA ;
Iris: 50 milliards de FCFA ;
Arcelor Mital : 2500 milliards de FCFA ;
Sahel aviation etc. ?
Nous ne bouclerons pas ce texte sans parler du député Farba Ngom, qui a osé insulter publiquement le Préfet de Matam, patron de l’Exécutif départemental et, par conséquent, représentant du chef de l’Etat. Et pour des faits moins graves, des députés ont vu leur immunité parlementaire levée. Vous attendez d’être saisi ?
Monsieur le Procureur, relisez les articles 8, 9 et 10 de la Constitution sénégalaise, pour mieux comprendre pourquoi vous ne pouvez pas limiter nos libertés. Au-delà de votre personne, nous avons le droit de critiquer la politique du Président Macky Sall, président du Conseil supérieur de la Magistrature, patron de tous les magistrats du Sénégal.
Monsieur le Procureur, vous ne pouvez pas avoir un privilège que le Chef de l’Etat n’a pas. La Justice est dite au nom du peuple, et ce peuple dira ce qu’il pense de sa Justice et de la manière dont elle est dite par ceux qui en ont la charge, dont vous.
Vive la Justice sénégalaise, vive le Sénégal !
Monsieur Mamadou Mouth BANE
Président du Mouvement «JUBANTI SENEGAL»