Malaises de Lune en République islamique de Mauritanie : un communiqué problématique

On peut noter dans le site[1] du gouvernement mauritanien ceci : « Nouakchott, 13/08/2018 – Dans un communiqué dont une copie est parvenue à l’AMI, la commission centrale de l’observation des croissants lunaires a indiqué que la fête d’El Adha El Moubarak sera célébrée en Mauritanie le mardi 21 août 2018.Le communiqué précise que le 1er du mois Dhi El Hija de l’an 1439 de l’Hégire est le dimanche correspondant au 12 août 2018 et souligne que la prière d’El Aid sera organisée à 9 heures dans l’enceinte de la mosquée Ibn Abass à Nouakchott. Voici ledit communiqué traduit de l’arabe que nous avons reçu de source fiable : « (…)[2]La commission centrale pour l’observation des croissants lunaires s’est réunie dans les locaux du Ministère des affaires islamiques et de l’enseignement originel le matin du Lundi 13 Aout 2018. Après renseignements et délibérationssur la base de nouvelles informationsau sujet du croissant lunaire du mois de ZulHijja 1439, la commission a conclu que celui-ci a été aperçu dans la nuit du Samedi 11 au Dimanche 12 Aout 2018.Vu que c’est seulement en raison de la forte couverture nuageuse sur l’ensemble du pays que le croissant lunaire de ZulQa ‘da n’a pas été aperçu au soir du 29 Chawwal, La commission annonce que le Dimanche 12 Aout 2018 est le premier jour du mois de ZulHijja 1439 H.Dès lors, la fête du sacrifice sera célébrée le mardi 22 Aout 2018 »

Eu égard au statut islamique du régime politique de ce pays et de sa tradition érudite reconnue dans le monde musulman, ainsi que du fait qu’il a été cité dans les divergences sur le début du mois de ZulHijja, ce communiqué appelle de notre part les commentaires suivants :

• Se réunir 13 jours après le début du mois de Zulhijja pour décider du jour de la fête qui doit être célébrée le 10 de ce même mois suscite nombre de questions qui trouvent un début de réponses dans ces lignes du communiqué « Après renseignements et délibérations sur la base de nouvelles informations au sujet du croissant lunaire du mois de ZulHijja 1439 » Tout le monde peut voir qu’il s’agit de correctifs à apporter ![3]D’ailleurs cela apparait clairement quand le communiqué fait référence aux mois de Chawwal[4]et de Zulqa ‘dah[5] qui précèdentZulhijja[6]!
• Cette partie du communiqué« Vu que c’est seulement en raison de la forte couverture nuageuse sur l’ensemble du pays que le croissant lunaire de ZulQa ‘da n’a pas été aperçu au soir du 29 Chawwal» indique bien qu’il y a eu incohérence entre la fin de Chawwal ou le début de Zulhijja et « l’observation du nouveau croissant de Lune le soir du samedi 11 Août 2018 en Mauritanie »[7]
• Il découle de ce correctif que l’observation à l’œil nu du nouveau croissant de Lune au soir du samedi 11 Août 2018 a posé problème à la commission de ce pays. Vraisemblablement, le comptage donnait que le samedi 11 Août était le 28^e jour de ZulQa ‘dah, donc pas celui durant lequel on devrait observer[8] le ciel pour déterminer le premier jour de Zulhijja. Vu que le croissant aurait été aperçu dans le pays ce samedi 11 Août 2018, il était nécessaire de procéder à des correctifs pour que les dates soient cohérentes.
• Si on lit entre les lignes, la Commission nous dit qu’il y a un jour de trop dans le comptage du mois de Zulhijja. Elle explique que pour comprendre d’où vient le problème, il faut savoir que le nouveau croissant de Lune du mois de ZulQa ‘da (10^e) était observable au soir du 29^e jour du mois de Chawwal (9^e) et n’a pas été vu, pour raison de ciel couvert ![9] La Commission propose alors un recomptage qui donne 29 jours pour Chawwal, de même que pour ZulHijja le samedi 11 Août 2018.
• Il se trouve que ce correctif pose un autre problème, à savoir qu’en procédant de cette manière, la Commission de ce pays fait une entorse à ce qui semble être sa pratique traditionnelle. En effet, elle nous dit que le croissant de Lune était observable à l’œil nu et que ce sont les nuages qui ont empêché de le voir. Donc là, on ne respecte plus la pratique traditionnelle de 29 ou 30[10]!
• Le but plutôt pédagogique de cette brève étude de cas est que la question de la fiabilité et de la cohérence dans la détermination des mois lunairesdans les pays musulmans reste entière. Cette analyse sommaire fait aussi ressortir les limites de la détermination des mois lunaires par exclusivement l’observation visuelle. Espérons aussi que tout le monde sera plus vigilant sur des communiqués qui décident des débuts et fins des mois lunaires sans que les critères retenus ne soient connus et cohérents avec les données astronomiques.

Ahmadou Makhtar Kanté

Imam, écrivain et conférencier

Email : amakante@gmail.com

Fait à Dakar, le 01/09/2018 – Zulhijja 1439H

[1]http://www.affairesislamiques.gov.mr/spip.php?article845

[2] Nous avons sauté les références administratives pour aller directement au communiqué

[3] Le problème est moins le fait de chercher à corriger une erreur d’appréciation que les incohérences que ledit correctif laisse apparaitre.

[4] 9^e mois

[5] 10^e mois

[6] 11^e mois consacré au Hajj

[7] Rappelons que les données astronomiques infirment cette possibilité notamment à l’œil nu dans des parties du monde qui incluent la Mauritanie.

[8] La pratique traditionnelle veut que l’on observe le croissant de Lune le soir du 29^e jour du mois en cours et si celui-ci est aperçu, ce mois compte 29 jours, sinon, notamment en raison d’un ciel couvert, il est estimé (taqdîr) à 30 jours.

[9]Ce correctif permet d’avoir un mois de Chawwal de 29 jours et par conséquent d’être à 29 jours pour le mois de Zulqa ‘da le samedi 11 Août 2018 où le nouveau croissant de Lune aurait été aperçu à l’œil nu dans le pays. Le but cette Commission est d’expliquer que le nouveau croissant de Lune ne peut être vu qu’au soir du 29^e jour du mois en cours. Excluant le recours au calcul astronomique, la Commission ne peut envisager d’invalider les témoignages visuels du samedi 11 Août 2018.

[10]Pourtant, les hadiths qui fondent cette pratique traditionnelle (voir NBP 8) constituent les arguments les plus décisifs des opposants au calcul astronomique pour la détermination des mois lunaires. Donc la Commission de ce pays vient de valider en tout cas pour les besoins des correctifs qu’elle a voulus apporter, le principe d’une détermination du mois lunaire par seulement l’observabilité ou la possibilité de voir le nouveau croissant de Lune et pas forcément par la constatation visuelle de celui-ci. Pour cette fois, à la question que nous avons posée dans notre ouvrage, Astronomie et Charia, « Suffit de savoir ou faut-il voir ? », la Commission de ce pays répond : « il suffit de savoir » Et si on assumait cela pour enfin guérir des malaises de Lune au lieu de se spécialiser dans des correctifs qui en appellent toujours d’autres en raison des limites de l’observation visuelle ?