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ME Baboucar CIssé, avocat de l’Etat : « Khalifa Sall ne peut pas échapper à la condamnation »

Les certitudes du maire de Dakar, Me Baboucar Cissé, lui, n’en a cure. Lui, qui, le 26 janvier dernier, balançait, tout de go, à la figure du maire de Dakar et ses alliés, «dans ce pays, il y a une victimisation des délinquants». Et, lorsque des partisans de Khalifa Sall s’électrifient de nervosité contre cette remarque de la robe noire qu’ils jugent désobligeante, l’Avocat leur demande, à sa façon, d’aller au diable. En leur glissant : «Khalifa Sall ne peut pas échapper à la condamnation. On ne va pas élire un Président qui commet des faux».

Dans cette entrevue accordée à SourceA, l’ancien pensionnaire du Lycée Djignabo de Ziguinchor revient sur les éléments du dossier, qui, selon lui, risquent de faire pencher la balance. Entretien !!!

SourceA : Dans le procès de Karim Wade, vous défendiez les intérêts d’Ibrahima Khalil Bourgi, dit Bibo Bourgi. On vous voit dans le procès de Khalifa Sall, en tant qu’Avocat de l’Etat. Comment s’est faite votre constitution ?

S’il n’y a pas de conflit d’intérêt, rien ne m’empêche de me constituer pour l’une ou l’autre partie. Cela fait suite à une demande formulée par l’Etat du Sénégal. Je ne suis pas le seul Avocat à défendre les intérêts de l’Etat du Sénégal. Nous sommes six Avocats.

SourceA : D’habitude, qu’est qui pousse un avocat à se constituer ?

Nous avons coutume de dire que l’avocat est le défenseur de la veuve et de l’orphelin. Il peut se constituer par amitié pour la personne poursuivie ou spontanément pour des raisons qui lui sont propres. En ce qui me concerne, je n’ai pas habitude de me constituer par effraction, même si le dossier a un retentissement médiatique. Je préfère être professionnel jusqu’au bout des ongles. L’une des parties me sollicite officiellement, et je viens me constituer. Si l’Etat du Sénégal ne m’avait pas consulté pour défendre ses intérêts, je ne me serais pas constitué.

SourceA : Le 26 Janvier  dernier, vous disiez que «dans ce pays, il y a une victimisation des délinquants. Quelle était votre intention, lorsque vous avez tenu ces propos ?»  

 Il y a une sorte de victimisation pour les personnes, qui sont poursuivies. C’est ce que j’ai voulu dire. J’ai dit, d’une manière générale, au Sénégal, il y a une victimisation des délinquants. Aujourd’hui, vous êtes victime d’une infraction, vous déposez une plainte, cela se retourne contre vous. La personne, qui a commis l’infraction, est pratiquement adulée. C’est ce que j’ai voulu expliquer. Je n’ai pas ciblé une personne, en particulier. Je ne nourris aucune animosité contre Khalifa Sall ou contre les autres. Ce n’est pas la première fois que je rencontre Khalifa Sall dans un dossier. C’est la troisième fois. Les deux premières fois, il était cité dans une affaire devant le tribunal correctionnel. Il y avait l’histoire du cimetière de Yoff, où il avait fait détruire la maison de quelqu’un. Sous prétexte qu’il allait demander l’extension du cimetière de Yoff. Je l’avais cité devant le tribunal correctionnel pour le délit de destruction de biens appartenant à autrui.

La dernière fois, c’est l’histoire du cinéma El Mansour. Dans ce cadre-là, aussi, je l’avais cité devant le Tribunal correctionnel. Il y avait eu des infractions, qui avaient été commises par ses Agents. Ces derniers ont dit qu’ils ont agi sur les instructions du maire. La troisième, c’est cette affaire, qui nous préoccupe. Je suis un professionnel. Je ne fais pas de la politique. Je ne suis ni de l’Alliance pour la République,  ni du Parti socialiste. Je me limite, strictement, au plan professionnel.

SourceA : Sur ces deux cas, qu’est-ce qui s’est, finalement, passé ?

Pour le premier cas qui concerne le cimetière de Yoff, en première instance, Khalifa Sall avait été condamné. En appel, il a obtenu gain de cause. La Cour a estimé qu’il ne peut pas être poursuivi pour un délit commis par les autres. Cela en a été de même pour l’histoire du cinéma El Mansour. Le Tribunal l’a relaxé. Mais, la procédure est encore pendante. Nous avons fait appel de la décision.

SourceA : Concernant le procès de la Caisse d’avance, sur quoi vous vous fondez pour dire que le maire a commis du faux ?

Ils ne peuvent pas échapper à une condamnation. Le dossier parle de lui-même. Par moment, on a tenté de nous divertir. De faire appel à l’histoire, au temps colonial, où le Sénégal n’était même pas indépendant. On a exhumé Léopold Sédar Senghor, on a parlé d’Abdou Diouf et d’Abdoulaye Wade. Tout cela a été fait pour nous divertir. Le problème est simple. C’est la Caisse d’avance. Elle a été créée en 2003. Donc, il ne faut pas que l’on fasse appel à 1923. C’est en 2003 que la Caisse d’avance a été créée par la maire Pape Diop avec des conditions bien précises.

Pour justifier les dépenses liées à cette Caisse d’avance, on produit de fausses factures et de faux procès-verbaux de réception. C’est ça le problème. Qu’on ne nous dise pas qu’il n’y a pas eu détournement. Il y a détournement. Il y a association de malfaiteurs. Il y a eu des faux en écritures de commerce et dans les documents administratifs. Toutes personnes, qui ont signé ces documents, ont reconnu qu’il n y a pas eu de livraison de riz et de mil. Dans ce cas précis, le problème est assez simple. Il y a eu des faux en écritures. On a utilisé ces faux, pour retirer de l’argent. Ce n’est pas une affaire politique. C’est un procès de droit commun. Leur stratégie est de faire croire à l’opinion que Khalifa Sall est un potentiel candidat à la prochaine Présidentielle. Pour lui régler son compte, le Président actuel a utilisé la justice et l’Inspection Générale d’Etat. Ce n’est pas çà. Si ce n’était pas le cas, ils n’auraient jamais reconnu, depuis le Rapport de l’IGE, qu’il y a eu des faux. L’IGE a dit dans son rapport qu’une information judiciaire doit être ouverte. Elle a remarqué que les pièces produites, pour justifier l’utilisation de la Caisse d’avance, étaient fausse. Cela était reconnu par Mbaye Touré et Khalifa Sall, lui-même.

SourceA : Khalifa Sall a dit qu’il n’a fait que viser ?

Quand on vise, cela veut dire qu’on approuve. Apposer son visa signifie que l’on donne son accord. On est, quand même, sensé.

SourceA : Les Avocats de la défense se demandent pourquoi les deux Percepteurs, qui ont accepté cela, n’ont pas été arrêtés ?

Mamadou Oumar Bocoum a fait dix ans à la Perception municipale.  Ibrahima Touré n’a fait que six mois. Ils ont donné des explications sur le plan de réglementation. C’est-à-dire qu’on leur a produit des factures de riz et de mil qui entrent dans le cadre de la Caisse d’avance. Ce n’est pas à eux d’aller vérifier dans les magasins, si réellement, il y a eu du riz et du mil.

SourceA : Mbaye Touré a affirmé, à la barre, que l’un des Percepteurs a refusé, un moment, d’approvisionner la Caisse d’avance ; qu’il a, par la suite, reçu l’avis favorable de son supérieur hiérarchique ?

Il faisait allusion à Ibrahima Touré. Il a démenti ses affirmations. Mbaye Touré est libre de déclarer ce qu’il veut. Il sait qu’il était le gérant de la Caisse. C’était à lui de justifier les dépenses. Celles-ci doivent être justifiées par des pièces plausibles. C’est la question que tout le monde doit se poser. Khalifa Sall a dit que les fonds politiques n’ont pas besoin d’être justifiés. Si, maintenant, vous justifiez, cela veut dire que ces fonds ne sont pas politiques. Donc, on vous fait obligation de justifier. Or, les fonds politiques, comme il l’a dit, n’ont pas besoin d’être justifiés. La base légale, c’est l’arrêté du maire de 2003. Cet arrêté est, extrêmement, clair. Les dépenses autorisées ont été énumérées, le montant a été plafonné. Les denrées alimentaires entrent dans le cadre des dépenses autorisées. Les Percepteurs ne sont pas juges de l’opportunité des dépenses.

SourceA : Que risquent les prévenus ?

En matière de détournement de deniers publics, les peines peuvent aller, jusqu’à sept ans. Surtout qu’en l’espèce, l’auteur principal était investi de mandats publics.

 SourceA : Est-ce que Khalifa Sall risque de perdre ses droits civiques ?

Le Tribunal peut prononcer des peines complémentaires. Cela relève de l’appréciation souveraine du juge. Même s’il n y a pas de peine complémentaire, le simple fait d’être condamné pour détournement de deniers publics ou escroquerie portant sur des deniers publics ou faux et usage de faux en écritures de commerce et/ou dans des documents administratifs ou de complicité de ces infractions-là, constitue déjà un point noir dans sa carrière politique. On ne va pas élire demain un président qui commet des faux. On ne va pas élire un président qui a détourné des deniers publics. Cela veut dire que, si, demain, il prend les rênes de ce pays, celui-ci va, carrément, dans un gouffre.

SourceA : Les débats sont terminés. Les plaidoiries sont prévues ce jeudi. Quelle est la suite ?

Mon rôle est de prouver la culpabilité et de demander réparation du préjudice que l’Etat a subi. Le Procureur de la République va, lui, soutenir l’accusation. Après, la défense va prendre la parole. Ensuite, le Tribunal mettra, certainement, l’affaire en délibéré et va rendre sa décision.

Entretien réalisé par Omar NDIAYE

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