C’est une évidence évidente de dire que sous les différents régimes qui se sont succédé à la tête du Sénégal, les ministres et les Directeurs généraux ont souvent fait de la politique. Mais,reconnaissent des observateurs avertis interpellés sur le sujet, cette pratique a, sensiblement,culminé sous le Magistère du Président Macky Sall. Au point que, dans la perspective de conserver leur fromage, même certains ministres ou Directeurs généraux, qui n’ont jamais flirté avec la sauce politique, soient obligés de se jeter à l’eau.
Malheureusement, le contribuable sénégalais en paie souvent un lourd tribut, dans la mesure où l’histoire a démontré que les maigres budgets de certaines Sociétés nationales ont, parfois,été pillés et ont servi de biberon à des Dg pour alimenter un clientélisme politique. En attestent les découvertes effectuées, dans un passé encore récent, par la Cour des Comptes, lors de Missions de vérification.
Dans ce dossier, les avis d’historiens, d’enseignants-chercheurs, d’écrivains et de politiques se corroborent, d’une part, et s’entrechoquent, de l’autre, pour décrypter un phénomène.
Il est admis que la majorité des Sénégalais n’adhèrent à aucun Parti politique. Par contre, à un moment donné de leur cursus, certains de nos compatriotes se sentent obligés de descendre dans l’arène. Selon Jean Charles Biagui, spécialiste de la politique, celle-ci est devenue un «tremplin ». Cette conception a une fois pris le dessus sur les législatives du 30 juillet 2017. L’engagement des ministres et Directeurs généraux d’entités étatiques a été sans faille, durant ces joutes électorales. Et, l’on se rend compte que cet investissement va au-delà d’une simple campagne.
Etre ministre ou Directeur général d’une Société ou Agence nationale signifie, aussi, militer dans le Parti au pouvoir. Un point sur l’histoire du pays avec l’Historien et Chercheur Mansour Aw montre que, même sous Feu Léopold Sédar Senghor, les ministres étaient des responsables politiques. Après lui, son prédécesseur, Abdou Diouf, a continué à surfer sur ce registre, renseigne Mody Niang, un Académicien et auteur du livre «L’héritage politique de Senghor : entres ombre et lumière».
Cette logique a connu une évolution sous le magistère de l’ancien Président Abdoulaye Wade.
Mansour Aw, Historien : «La nomination des ministres et Dg sous Feu Senghor était faite en fonction de l’équilibre social, ethnique et religieux. C’étaient des hommes d’Etat».
L’Historien Mansour Aw se rappelle que, durant le règne du Président-poète, la classe politique était essentiellement constituée d’enseignants et de la classe ouvrière. «Les ministres de Senghor faisaient tous de la politique. Par contre, ils avaient des rangs assez élevés.
Leur nomination était faite en fonction de l’équilibre social, ethnique et religieux. C’étaient des hommes d’Etat. En ce qui concerne les Directeurs généraux, ils étaient généralement des hommes de valeur et d’envergure.
Seulement, aujourd’hui, le choix des hommes n’est plus fait en fonction du mérite. La plupart des ministres et Directeurs généraux n’ont aucune envergure, aucun vécu social ou politique. Il est vrai que sur le principe, c’est toujours le Président, qui décide. Mais le contexte a changé. Sous Senghor et Diouf, qui a continué à s’inspirer du modèle de son prédécesseur, c’était le Parti unique.
Le Pouvoir n’avait point besoin de nouer des alliances pour se maintenir. Or, aujourd’hui, la tendance est aux Coalitions. Sous son magistère, le Président Abdoulaye Wade a voulu contenter tous ses alliés. C’est cette même logique qui a cours sous l’actuel régime».
Cette donne favorise la création de Mouvements. Cela est devenu une alternative pour certains. Pour Mansour Aw, le but est de montrer que l’on pèse quelque chose sur l’échiquier politique. Toutefois, il déplore le fait que certains se voient céder un fauteuil de ministre sans avoir de «légitimité». Par légitimité, il faut comprendre une bonne base.
Les cas Me Sidiki Kaba, Awa Marie Colle Seck…
Etre ministre, c’est, d’abord, avoir les compétences requises. L’ancien ministre de la Santé, Awa Marie ColleSeck et l’ex-Garde des Sceaux, Me SidikiKaba, en sont de parfaits exemples. Ce dernier, qui fut le Président de l’Assemblée des Etats membres de la Cour pénale internationale, fait sans doute partie du lot des professionnels du droit les plus influents de leur époque. En tant qu’ancien Président d’honneur de la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme, il a été l’un des déclencheurs des poursuites contre Hissène Habré.
Sa nomination en tant que ministre de la Justice a permis de juger l’ancien Chef d’Etat tchadien. Idem pour Awa Marie ColleSeck. Même si son département a été ébranlé par l’affaire dite de la radiothérapie de l’hôpital de Fann, il n’en demeure pas moins que la dame a pu hisser l’étendard du Sénégal au sommet des pays qui ont su faire face, efficacement, à Ebola. A cet effet, elle a été élue meilleure ministre de la Santé du monde à Dubaï.
L’arène politique, un passage obligé pour deux technocrates ayant compris que leur expertise ne suffit plus pour garder le fromage
À un moment donné, les deux technocrates ont bien été obligés de descendre dans l’arène politique. Tout le monde se souvient, aussi, des reproches faits à l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye par rapport à son manque d’engagement politique, quand il présidait aux destinées de la Primature. Les ministres et les Directeurs généraux sont donc conscients aujourd’hui que leur expertise ne suffit pas pour conserver leurs postes respectifs. D’où la comparaison qui est faite quant à l’approche des différents Présidents qui ont gouverné le Sénégal.
Comparé à ces successeurs, le premier Président de la République du Sénégal est décrit comme quelqu’un qui mettait l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Est-ce, vraiment, le cas, concernant les Chefs d’Etat qui lui ont succédé ? Question à mille balles.
Aujourd’hui, ministres et Dg contraints de faire de la politique, pour conserver leur fromage
Le Sénégal est un pays où les ministres et les Directeurs généraux, élus a priori pour leurs compétences, se sentent apparemment obligés d’aller chercher une base politique dans leur localité d’origine. Pour Jean Charles Biagui, Enseignant-chercheur en Sciences politiques, c’est une particularité sénégalaise que des gens, qui ont une expertise avérée, s’intéressent à la chose politique. «Si vous prenez l’exemple de pays comme la France et les Etats-Unis, il y a beaucoup de technocrates dans le champ politique. Seulement, au Sénégal, certains, qui sont dans l’Administration, ont compris que pour avoir une bonne position dans l’appareil d’Etat, il faut faire du militantisme politique.
D’autres sont convaincus que leurs positions dans l’Administration est un tremplin pour accéder à l’appareil d’Etat. De même, les Pouvoirs font tout, pour que les personnes, qui ont une expertise avérée, les rallient. Par conséquent, de Hauts Cadres de l’Administration pensent qu’ils risquent de perdre leurs postes ou de ne pas bénéficier de promotion dans leur vie, s’ils ne font pas de la politique». Pour l’Enseignant-chercheur, le fond du problème réside dans le caractère de l’Administration sénégalaise. A l’en croire, celle-ci n’est pas indépendante du Pouvoir politique. A contrario, dans d’autres pays, elle est impersonnelle. L’Administration n’est pas liée aux personnes qui sont au régime en places.
D’après l’Enseignant-chercheur, Jean Charles Biagui, l’Administration sénégalaise n’est pas indépendante du Pouvoir politique
Dans son Rapport de 2O14, la Cour des Comptes a décelé des anomalies dans la gestion de certaines Directions générales. Les magistrats notent que, pour ce qui est de la Snhlm, par exemple, «la revue des pièces comptables a permis de déceler des appuis à des partis politiques. » Le Rapport cite «une somme accordée à M. Idrissa Dia pour ses tournées politiques ; un chèque payé au profit de l’Ecole libérale du Parti démocratique sénégalais (Pds) pour ses Journées culturelles; une somme versée à M. Ibou Touré de la Communauté rurale de Porokhane pour son meeting de ralliement au Pds»
Voilà comment on suce le sang des Sociétés nationales, pour nourrir le Parti au Pouvoir
Toujours, dans leur Rapport, les vérificateurs de la Cour des Comptes relève une certaine acceptation par des Directions nationales comme la Caisse des dépôts et consignations des abus de leur tutelle. En effet, autrefois, d’après le texte, beaucoup de ministres se sont servis de cette Caisse ou n’ont pas honoré leurs dettes vis-à-vis de la CDC.
Or, d’après la Cour des Comptes, la destination de l’argent n’a rien à voir avec la responsabilité de l’entreprise. Les magistrats ont, en effet, fait comprendre aux concernés que le financement des activités politiques n’est pas l’objet visé par une Société.
Récemment, une autre affaire a été ébruitée dans la presse. Il s’agit de présumés recrutements injustifiés par l’ancien Directeur général du Port autonome de Dakar, Cheikh Kanté. En tout cas, c’est ce qu’affirme le nouveau Dg du Pad, Aboubacar Sedikh Bèye,avec ses chiffres à l’appui. De 1 017 agents en 2012, le personnel serait passé à 2 040 en 2017. L’intéressé s’en est défendu, en affirmant qu’il a juste régularisé la situation de certains employés, qui n’avaient pas encore de Contrats à durée déterminée (Cdd), avant son départ. Mais, selon certaines sources, la plupart de ces nouveaux salariés sont des ressortissants de la région de Fatick, localité où l’actuel ministre, chargé du Suivi du Plan Sénégal Emergent (PSE) milite.
En parallèle à l’affaire Cheikh Kanté, d’autres ministres ont vu parfois leurs compétences remises en cause. Sous le magistère de Me Abdoulaye Wade, c’était le principal reproche fait au ministre d’alors, Farba Senghor. Ce dernier a été accusé d’avoir usurpé ses diplômes. Dernièrement, le journal Les Echos s’est fait l’écho des griefs émiscontre le ministre Moustapha Diop.
Selon le journal de Cheikh Oumar Ndao, le ministre de l’Industrie n’a pas pu tenir un discours correct en français devant les parlementaires. Aussi, renseignait ledit canard, pour éviter d’étaler, publiquement, les lacunes grammaticales du ministre-maire de Louga, les députés, qui devaient l’interroger dans le cadre de la Session parlementaire, lui auraient demandé de répondre par courrier.
Omar Ndiaye (SourceA)