Avoir 20 ans et mourir dans un stade de football ou dans un meeting de politiciens, est à coup sûr d’une grande et incompréhensible injustice. Ce qui s’est produit, ce samedi, au Stade Demba Diop, est proprement inadmissible. Il y a, avant tout, la responsabilité d’un Etat qui a consacré la quasi-totalité des moyens et des forces de police à la sécurité des multiples et trop nombreuses caravanes et meetings de nos hommes et femmes politiques en campagne électorale.
Les images vues de cette catastrophe montrent que peu d’hommes de tenue étaient face aux hooligans des deux camps et que la seule issue possible était effectivement d’essayer de calmer ce monde en hargne, avec des tirs de grenades lacrymogènes. N’accablons pas la Police sur ce coup-là ; il n’était pas possible d’empêcher un affrontement qui était prévu, et prévisible, les jeunes gens étant quand même chargés de cailloux.
Le fait est que nous avons laissé notre société s’imprégner d’une violence presque légitime, qui a envahi tous les pans de notre société. Laquelle justifie et légitime son usage par manque de moyens de vivre, de travailler, d’étudier, de voyager et de rêver. La violence est partout. Dans les formations politiques, qui vont en caravanes armées de machettes, au cas où… La violence est dans la rue terriblement vouée aux échanges brutaux et aux injures.
Elle est dans le langage ordinaire, elle est dans la banalisation du fait divers, du meurtre et du viol visibles quotidiennement dans nos journaux et télévisions locales. La violence est quotidiennement au bord des lèvres de nos hommes politiques souvent à court d’arguments et qui sombrent dans la facilité de l’injure, voire de l’insulte ; ce qui provoque souvent d’ailleurs les rires et quolibets des Sénégalais, au lieu de susciter leur réprobation.
Question d’éducation ? OUI !!! En tous cas, d’instruction, car il est notable que si nos écoles de formation comportaient des volets et des modules d’initiation à la discipline militaire, nos rues et nos maisons de même que nos écoles seraient plus imprégnées de civilités et de civisme. De fait, tout le monde estime avoir droit à la parole, en oubliant que la parole et la plume sont lourdes de sens, et que celles-ci peuvent aboutir, si elles sont mal distillées, aux pires situations.
Dans cette campagne des Législatives, on déborde de candidats et de Coalitions, et on est incapables de respecter les injonctions d’équité du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra). Une équation à 47 inconnues lui est posée, et surtout aux organes de presse chargés de couvrir cette campagne électorale à tous points inédite. Comment couvrir en totale équité de traitement les activités électorales de ces 47 listes, sans oublier l’organisation de débats contradictoires, les portraits éventuels des têtes de listes à dresser, les invités des rédactions, et bien entendu les couvertures médiatiques des meetings organisés simultanément et à des endroits divers non seulement de Dakar, mais de tout le pays ?
C’est un véritable casse-tête pour tout Directeur de Publication et des Rédacteurs-en-chef des journaux, radios et télés qui voudraient organiser, convenablement, une information impartiale et rester dans les clous tracés par le Cnra. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, nos micros, nos blocs-notes ou nos caméras, et disons-le, tout net : cette équation est insoluble. Quel organe de presse dispose d’autant de journalistes qu’il faudrait en plus affubler d’un don d’ubiquité, d’autant de véhicules pour les transporter, afin de couvrir cette campagne électorale avec l’équité requise. Et si c’était le résultat escompté de cette inflation de Coalitions, de nous brouiller le sens critique ?
D’autant que la campagne électorale de ces Législatives débute avec des accents diffus de minarets, et des clins d’œil ethniques appuyés en direction de citoyens appelés à exercer un devoir a priori qualifié de Républicain, qualificatif qui n’avait jusque-là rien de gênant. Pourquoi diantre, ce début de campagne cathodique chatouille-t-il les principes dont le Cnra se veut le gardien, au point de voir se saisir du martinet d’une éventuelle admonestation vis-à-vis de certaines listes qui font preuve de désinvolture, où à tout le moins d’une certaine indifférence à l’égard de la loi et de la Constitution ?
Notre organe régulateur a constaté que certaines listes ont, dans leur temps d’antenne, fait référence à l’appartenance religieuse, ethnique, ou régionale, ce que la Constitution interdit, en ses articles 4 et 5, qui stipulent «qu’il est interdit aux Partis politiques et Coalitions de Partis politiques de s’identifier à une race, à une ethnie, à un sexe, à une religion, à une secte, à une langue ou à une région». Mais n’est-il pas trop tard pour s’inquiéter et s’en offusquer, tant ces tenants de l’adhésion confrérique, régionaliste ou ethnique à un projet politique, n‘ont de fait jamais, au nom de ces principes républicains, été empêchés de créer des radios, des journaux, des partis et mouvements politiques, faisant ouvertement références à ces préceptes religieux confrériques ou à des proximités ethniques.
Nous avons, à l’arrivée, l’impression de vivre une drôle de campagne, à défaut d’être une campagne drôle. Cette campagne charrie un mélange de genres qui perturbe nos sens citoyens et nos convictions politiques. Le brouhaha permanent, causé par cette pléthore de listes et de Coalitions, étouffe le sens même de l’urgente finalité de ces élections législatives, qui est, avant tout, comme son nom l’indique, d’élire des hommes et des femmes à-mêmes de proposer des projets de loi, et d’initier des engagements politiques forts qui amélioreront le vécu quotidien et l’environnement des Sénégalais.
Au lieu de cela, que voit-on ? Une litanie de propos insipides et guère excitants qui auraient comme but de déclencher chez les Sénégalais l’envie de vivre autrement et de susciter, en eux, la décision d’adopter des comportements nouveaux, porteurs des valeurs nobles qui ont construit le Sénégal et fait rayonner sa culture et son image dans le monde entier. Autres temps, autres mœurs… Au lieu de vivre une campagne électorale constellant de projets et d’idées qui nous sortiraient du marasme et de l’incantation obsédante du Sénégal Emergent, nous assistons à une campagne électorale présidentielle.
Le Gouvernement en campagne est en vacances pour cause de scrutin et d’obéissance à l’injonction présidentielle d’aller se battre ou de périr. Et, en guise de programmes, les candidats de la Mouvance présidentielle convoquent les réalisations du Chef de l’Etat, mènent campagne avec son effigie, au mépris de la Loi et de la Constitution. Niant, du coup, leurs capacités éventuelles d’exercer un leadership politique, abrités, plutôt planqués qu’ils sont tous derrière le boubou de leur guide politique, véritable «tengadé» de la liste pétaradante de suffisance.
D’ailleurs, il conviendrait par esprit de loyauté envers le peuple sénégalais, de désigner aux électeurs et en toute clarté, ceux qui vont devenir les suppléants des ministres investis, à l’Assemblée Nationale, nous montrer à quoi ils ressemblent, nous convaincre de leurs compétences et de leurs tempéraments patriotiques, ce qui éviterait que l’on pensât à un grand «NAKHEMBAAY».
Ensuite, il y a comme une conspiration du silence, notamment de la part de certaines Coalitions, un silence assourdissant à propos des millions de Sénégalais qui ne sont toujours pas entrés en possession de leurs cartes d’électeurs. Un sondage du Cabinet Statinfo, réalisé du 4 au 9 juillet, indique que 48% seulement des Sénégalais ont retiré leurs cartes d’électeurs. Si des candidats à la députation ne se saisissent pas de cette épineuse et cruciale question, c’est à désespérer de l’état de notre démocratie.
Enfin, cette campagne est drôle, parce que les images que nous renvoient les meetings et les caravanes des autres Coalitions nous montrent, à en pleurer de rire, les mêmes groupes de femmes décoratives qui assistent en alternance aux meetings des divers candidats souvent adversaires, conséquence du business auquel se livrent ces «groupements féminins» qui louent leurs «mbothayes» aux plus offrants, vantant en les surestimant, bien sûr, leurs capacités de porteuses de voix.
Dans bien des Coalitions de l’opposition, on ne parle de programmes. Ce sont des attaques contre le Président Sall, son frère Aliou Sall, tel ou tel autre ministre. Mais elles ne nous disent, presque pas, ce qu’elles feront, si on les envoyait à l’Assemblée nationale. Même Gorgui, entendez l’ancien Président Abdoulaye Wade n’a pas dérogé à la règle de ces discours creux. Du haut de ses 91 ans, 93 pour certains, il ne nous parle que de son fils, Karim, la haine qu’il a à l’endroit de son successeur ou encore des foules qu’il draine. Ni plus ni moins.
Il serait temps de grandir et de ne pas insulter l’intelligence des Sénégalais, qui ne sont pas dupes et dont la sagacité illustre, à l’envie, le titre d’une émission célèbre qui s’appelle, opportunément «Dakar ne dort pas». Ils ne sont pas de ceux qui regardent le doigt, quand on leur montre la lune. A bon entendeur… salut…
Sambaay Bathie (Actusen.com)