La cacophonie provoquée par toutes ces recommandations de Nafilasqu’on voit circuler relève de ce que les oulémas sunnites appellent innovation blâmable de type « Bid ‘ah idhâfiya » En effet, différemment de la Bid ‘ah au sens strict du terme qui consiste à accomplir des pratiques cultuelles qui n’ont pas de référence ou de modèle dans la sounna du prophète Muhammad (saws), ces recommandations de Nafilasintroduisent une nouveauté à travers les expressions du genre : « qui fait tant de Rakaas tel jour de Ramadan en récitant telle ou telle sourate aura tel ou tel bienfait spirituel et/ou matériel »Dans le cas de ces Nafilasla recommandation prophétique de faire des prières surérogatoires les soirs de Ramadan est respectée mais associée à une codification déterminée pour chaque jour sans que sa légitimité légale du point de vue de la sounna ne soit établie.
Selon les références connues de la Sounna, il est recommandé de faire des prières du soir en communauté ou individuellement notamment durant le mois de Ramadan sans qu’il y ait consensus sur un nombre précis de rakaasou des sourates données à réciter. On peut dire que c’est la tradition des premières générations de musulmans depuis celle des compagnons du prophète Muhammad (saws) qui a perpétué la récitation de tout le Coran durant ces prières. Dans ce cadre, il est rapporté que le prophète Muhammad (saws) révisait le Coran avec l’ange Djibril tous les mois de Ramadan et qu’il le fit deux fois au complet l’année où il fut rappelé à Allah exalté soit-Il.
Pour les prières surérogatoires, les hadiths précisent des temps légaux pour les accomplir, le nombre de rakaas ou sans le préciser, de même pour les sourates à réciter. Tout cela indique que ce n’est pas par oubli que le prophète (paix sur lui) n’a pas donné de modalités précises sur les prières du soir durant le mois de Ramadan. C’est pourquoi les oulémas qui se veulent prudents et précautionneux en matière de culte considèrentque la Bid’a que véhicule ces « recommandations utiles aux croyants » réside dans l’acte de « recommander » des modalités précises (le jour, le nombre de rakkaas, les sourates à réciter) en leur associant des rétributions spirituelles ou matérielles déterminées. D’ailleurs, on note que la référence scripturaire n’est jamais précisée, et les « diffuseurs » de ces agendas cultuels du Ramadan se limitent à dire que ce sont des « saints » et autres « hommes de religion » qui les ont donnés.
Et plus le temps passe et plus il y a le risque que les gens finissent par s’attacher à ce culte « recommandé » par on ne sait qui et sur quelle base, au détriment de ce qui est dû à un culte obligatoire ou clairement recommandé dans la sounna. On pourra toujours dire que c’est juste des prières et que c’est toujours utile,mais alors pourquoi ne pas prier n’importe quand et faire n’importe quel nombre de Rakaas ? Eh bien, parce-que les pratiques cultuelles y compris la prière sont réglementées par la Sounna dont le rôle est justement de nous guider vers la modalité agrée d’Allah. En matière de culte, disent les jurisconsultes, « tout est interdit sauf ce qui est prescrit », sous-entendu, venant d’Allah et de son prophète (saws).
Pour finir, disons que le caractère supposé utile d’un acte cultuel n’en justifie pas la légitimité et la validité du point de vue du culte musulman. Par exemple, on sait qu’il est utile le Coran, toutefois, la sounna interdit de réciter des versets de Coran dans les positions de roukou(génuflexion) ou soujoud (prosternation) ! Et qui aurait la légitimité de dire que tel ou tel bienfait est associé à une lecture de tel verset ou telle sourate selon qu’on est tel jour de la semaine en se justifiant de ce qui est « utile aux croyants » ? C’est très recommandé de faire des Nafilas qui complètent les manquements de nos actes cultuels et nous rapprochent d’Allah mais à la condition de s’en tenir aux enseignements de la Sounna. Et dans ce cadre il y a ce qui est codifié selon des modalités précises et ce qu’il est laissé libre au fidèle de faire comme il le souhaite ou le peut.
Ce qui est établi chez les oulémas sunnites et qui mérite d’être respecté, c’est d’accomplir des prières surérogatoires les soirs du mois de Ramadan en groupe ou seul par deux rakaas en récitant ce qu’on veut ou peut du Coran et de clôturer par un nombre impair. Donc, il faut recommander aux promoteurs de ces « recommandations » de faire confiance à la sounna. Si on se permet toutes ces « recommandations », on va finir par se demander à quoi sert le modèle prophétique notamment en matière de culte. N’oublions pas que le prophète (saws) est le seul légitime à pouvoir dire : « prenez de moi vos actes cultuels »
Ahmadou Makhtar Kanté
Imam, écrivain et conférencier
Email : amakante@gmail.com
Fait à Dakar, le 31/05/2018 – Ramadan 1439H