ACTUSEN
Contribution

NDIOL AJJANA TU ES …

L’attente était longue. La cible n’était pas encore dans la ligne de mire. Entassés les uns contre les autres, nous étions tous déjà prêts. Une cinquantaine de photographes, les yeux sur le viseur, attendant que le roi du mbalakh apparaisse dans nos champs. Je n’ai pas pu immortaliser l’entrée en scène de Youssou Ndour. Parce qu’à l’instant T, le moment où mon doigt allait appuyer sur le déclencheur, j’ai été poussé sur le coté. Dans les premières secondes, je pensais que les 1500 personnes présentes au Grand Théâtre m’étaient tombées dessus.

J’étais énervé, très énervé d’avoir raté cette photo, à tel point que la douleur au niveau de mon épaule droit n’était pas une préoccupation.  En essayant de me relever pour shooter à nouveau, je suis tombé nez à nez avec un géant qui me tendait sa gigantesque main avec un sourire. J’étais hypnotisé par ce sourire de gamin au format 30 fois 40 maladroitement scotché sur ses lèvres. ‘’ Jeggeul ma samaxaarit. Jeggeul manguirrr Yaala’’, murmura-t-il comme s’il avait lui même peur de moi. Ce fut là, l’anecdote de ma première rencontre avec toi, Ndiol.

Et aujourd’hui, à l’annonce de ton décès, j’ai déroulé ce film mille et une fois dans ma tête, espérant trouver le socle de la pellicule avant qu’une lumière ne fuite de ma chambre noire de douleur.

Me voilà donc face à ces multiples clichés des moments vécus sous une sous-exposition correcte à coté de ce colosse au cœur d’or. Au lendemain de  l’incident du Grand Théâtre, tu m’avais rendu une visite inopinée. ‘’ Thieuyy borom photo you raffetyii’’ – C’est comme cela tu m’appelais – ‘’ Je suis venu te montrer mes photos d’hier. Si tu les veux, je te les laisse. Mais avant, je veux ton avis sur mon travail’’ – On avait longuement parlé de photographie, avant que tu ne repartes avec mes photos. C’est à ce moment que J’ai compris que Ndiol était un de ces rares photographes qui me suivaient. A chaque fois que tu avais un peu de temps,  tu revenais pour  discuter de photographie, notre passion commune. Tu étais fan de moi. Et moi, je te respectais pour ta simplicité, ton engagement dans le travail et ta détermination. Tu voulais faire partie des ‘’vrais pros’’ comme tu aimais me le rappeler à chacune de nos séances. Je respectais ce gars aux allures de Mohamed Ndao Tyson qui n’avait pas honte de demander, d’apprendre sans cesse pour devenir un ‘’Pro’’.  C’est pourquoi tu étais sur tous les terrains et à toutes les heures. A tes débuts, beaucoup de personnes, y compris des photographes, n’avaient pas bien capturé l’image que tu renvoyais. Ndiol, tu ne respectais aucune règle sur le terrain. ‘’Dreudjieman’’ aguerri,  ce que pensaient les autres étaient le tiers de tes soucis. Tu venais d’entrer dans ce milieu dit des ‘’Pro’’. Les yeux rivés sur ton objectif fixé sur une ouverture 2.8 afin de faire face à la puissance destructive des lumières dures et brutes qui jalonnent le métier. Le géant débraillé au Képi bien vissé sur la tête, avait toujours sur le dos, un sac lourdement rempli. Ndiol connaissait ses limites et pour les compenser, il se débrouillait pour disposer de deux appareils autour du coup. Il usait aussi de ses muscles pour être à bonne distance et face à la cible. Ndiol, tu n’hésitais pas à balancer tout sur son passage pour avoir le bon angle de prise et le meilleur point de vue. Certains avaient essayé de te recadrer. Parfois avec moqueries et  insultes.  Tu répondais toujours par ton sourire. Aujourd’hui, dans ma chambre noire de douleur, je revois une à une ces photographies de nos multiples rencontres, gravées à jamais dans mon boitier. Quand tu étais devenu ‘’Pro’’, j’étais déjà nostalgique  de tes conneries de débutant, surexposées chez nous les photojournalistes. Aujourd’hui, aucun remplissage ne peut combler le vide que tu viens de laisser.

Je revis ta joie immensément démesurée quand tu me montrais ton premier appareil acheté par le Groupe Futurs médias. Un canon 600D, si ma mémoire n’est pas piquée par le virus de ta douloureuse perte.

Je n’ai pas versé de larmes comme la première fois que je t’ai vu à Fan. Tu t’en souviens bien sûr. J’étais avec Moussa Sow, président de l’Union Nationale des photojournalistes du Sénégal à l’époque et Cheikh Tidiane Ndiaye. Cloué dans ton lit d’hôpital, tes gros muscles n’avaient plus assez de force pour supporter ton poids. La maladie commençait à prendre le dessus sur ton corps. Ton sourire en revanche, brillait. Sans doute que cette maudite maladie était aussi tombée sous le charme comme toutes les personnes qui ont croisé ton chemin. Et avec ce sourire tu nous avais réconforté oubliant même que c’était toi le malade. Et tu avais dis ‘’ je vais bien les gars. Excusez-moi d’abuser de votre temps. Je sais que le travail vous attend. Mais rassurez-vous, je me porte de mieux en mieux.  Depuis que je suis ici, Youssou Ndour se charge de payer tous mes frais d’hospitalisation. Dieu a mis sur mon chemin des gens biens comme vous et lui. Bientôt, je vais vous bousculer sur le terrain’’.

Aujourd’hui, plus que jamais je me pose cette question : pourquoi n’a-t-on jamais pensé à t’appeler  Ndiol Makka. Peut-etre que El Hadji Sam Mbaye n’a pas été à la Mecque. Mais je sais que tu avais tout pour porter ce nom magnifique. De la même manière, je suis convaincu que tu es déjà entrain de tout bousculer là où tu es, fort de ta joie de vivre.

Ndiol Ajjana tu es … devenu. Reposes en paix !

PAR BOUBACAR BADJI photographe seneplus.com

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