D’abord, souhaiter, avec respect, que cet ouvrage publié chez Michel Lafon et admirablement bien conçu techniquement -le même éditeur, en son temps, du Président Wade- que votre ouvrage donc, dont le premier tome fait ici l’objet de notre humble lecture, soit publié un jour, si cela était envisageable, en livre de poche, pour être accessible au plus grand nombre des Sénégalais lettrés, avec des versions dans les langues nationales. Puissent les trois tomes, si cela pouvait également être envisagé, être rassemblés en un seul tome afin de servir de « livre rouge » pour l’histoire. Nous souhaitons que ce travail puisse être confié, le moment venu, s’il était validé, à un rigoureux collectif d’éditeurs sénégalais.
Nous avons pu donc, Monsieur le Président, parcourir le premier tome de vos réflexions, sous le titre: « CONVICTION RÉPUBLICAINE Discours sur le développement ». Vous avez choisi le singulier à la place du pluriel. C’est encore plus puissant. Et d’ailleurs, la République n’est qu’une ! Vous y évoquez les institutions, la gouvernance, la paix, la sécurité, le développement et d’autres thèmes non moins prégnants qui touchent à la vie de la nation et les questions brûlantes qui tiennent éveillées la communauté internationale. Permettez-nous de saluer bien affectueusement votre Conseiller Spécial Abdoul Aziz Diop. Homme apaisé, respectueux et érudit, qui, après notre récital poétique musical au centre culturel français le 8 mai 2018 dernier -animé par l’Orchestre Symphonique du Sénégal créé par Modou Kara Mbacké, orchestre, hélas, très peu connu- nous a remis, en public, votre ouvrage. Celui-ci est attirant par sa couverture flamboyante illustrée par une reposante photo de notre Président que nous aimerions voir souvent avec ce visage sucré et rieur qui fait tant de bien, loin des tempêtes et des orages politiques et qui contraste avec celui grave et solennel dont nous nous sommes habitués. Charge oblige !
En nous remettant votre ouvrage, notre frère Aziz, comme il sait le dire avec élégance, nous a invités à un échange contradictoire constructif, au seul bénéfice de notre pays et du renforcement de sa démocratie. C’est à cet exercice que nous tentons ici de répondre, non comme un expert infaillible et prétentieux, mais comme un citoyen libre et fort humble qui porte cependant « souverainement » son regard sur sa société dont il entend battre chaque matin, chaque soir, le cœur social, économique, culturel et politique souffrant. Nous sommes peu nombreux sans doute, de ceux qui croient que les peuples ne devraient pas seulement retenir de leurs gouvernants leur échec à ne pas les rendre prospères et heureux. L’intérêt général devrait primer, à condition que celui-ci ne serve pas outrancièrement, en premier et toujours, les gouvernants. Cette image est hélas la plus répandue.
Mais venons-en justement à votre ouvrage, Monsieur le Président, votre ouvrage qui porte votre programme théorique de gouvernance, c’est à dire les petits et les grands discours qui tracent votre vision globale et expriment vos vœux de servir et votre peuple et l’Afrique et le monde, dans une pratique de gouvernance qui réponde à ce que la meilleure des démocraties puissent offrir. En un mot, comment le contenu théorique de votre riche ouvrage s’est-il traduit dans la pratique de votre 1er mandat ?
Dans votre Avant-propos, vous évoquez d’abord «votre plume » en ces termes : « …je ne me sépare jamais de ma plume. Je m’en sers tout le temps pour signer un avis, un arrêté, un décret…je m’en sers aussi pour écrire ou pour corriger ce que j’ai demandé à mes collaborateurs de rédiger… A force d’écouter, d’entendre, de lire, de relire, de corriger et d’écrire moi-même, l’idée de systématiser certaines de mes prises de position engageant la collectivité toute entière m’a plus d’une fois traversé l’esprit… ». Et puis vous évoquez le formidable travail de conviction du Secrétaire général de la présidence de la République, le ministre Maxime Jean Simon Ndiaye, qui vous a poussé à « dissiper un doute » au terme duquel vous affirmez ceci: «… l’essentiel de mes adresses sur tous les thèmes d’intérêt général peut enfin être mis à la disposition du public ». Vous ne manquez pas aussi de saluer « l’esprit d’équipe », « la contribution exceptionnelle » de votre Secrétaire général et de votre Conseiller spécial Abdoul Aziz Diop « à la conception et à la réalisation » de votre ouvrage. Bel hommage ! Touchante humilité !
Vous résumez vos ambitions démocratiques en écrivant ceci: « Sous l’éclairage du Siècle des lumières, c’est en effet un enfant de la France, Montesquieu, qui enseignait que contre les risques d’abus du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. Il en est ainsi parce que c’est dans la vertu de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs que l’idéal de démocratie s’incarne et se revitalise à l’épreuve du temps ». Vous êtes au Sénat français le 20 décembre 2016 quand vous prononcez ces mots. Cette confession semble vous tarauder tout le long de votre ouvrage et tout le long de vos nombreux discours et prises de paroles au Sénégal et de par le monde. Le renforcement de la démocratie vous préoccupe. Vous écrivez, parlant du renforcement de l’État de droit en Afrique: « Parce qu’il ne s’agit pas seulement de textes à adopter et d’organes à créer, mais surtout de réticences à vaincre et de comportements à changer ». Comme vous avez raison, mais les évolutions vont à dos d’âne en Afrique et les gouvernants en sont les premières abominables causes! Et sans tarder vous ajoutez que « Dans ce combat inachevé sur plusieurs fronts, il est fort utile d’engager le débat, d’échanger nos points de vue et nos expériences respectives pour améliorer nos perspectives ». Hélas, l’Union Africaine aurait dû être un de ces puissants réceptacles. Elle ne l’est point comme elle devrait l’être et c’est triste, sinon désespérant, depuis près de 60 ans d’indépendance ! Pour notre part, il serait utile de faire le bilan du chemin parcouru au Sénégal, non pas d’ailleurs seulement sous votre 1er mandat, mais depuis les longs mandats de Senghor. Ce bilan ne saurait être fiable que s’il est porté avec rigueur et honnêteté par les organes et organismes indépendants de compétence nationale, africaine et internationale, hors du gouvernement, même si c’est son rôle de porter dans la continuité de l’État ce bilan, hors des partis politiques claniques. Partout, nous devons apprendre à nous soumettre à l’évaluation, au-delà du seul travail des gouvernements qui ne s’arrêtent souvent qu’au satisfecit face aux performances et résultats de nos institutions, face au respect ou non de notre démocratie. Il y faut beaucoup d’indépendance, beaucoup de vertus, beaucoup de courage et d’engagement au service du peuple, beaucoup de responsabilité. Pour plaider et convaincre d’une gouvernance juste et éthique, il faut à un Chef d’État ou un gouvernement beaucoup de renoncements, de dépassements, de courage. Il est rare dans la gouvernance mondiale, quel que soit le pays, qu’un Chef d’État ou qu’un gouvernement mette également en exergue ses failles, ses échecs, ses fautes. Et pourtant, comme cela ferait du bien aux gouvernés d’entendre de ceux à qui ils ont confié leur destin, qu’ils n’ont pas tout réussi et qu’il leur faut encore travailler davantage.
Il a été réconfortant de vous entendre dire et témoigner à propos de la « Charte de gouvernance démocratique » établie par les « Assises nationales » pour un « Sénégal nouveau », et dont vous précisez que vous l’avez signé après vous en être imprégné: « Cinq ans après mon élection à la Présidence de la République (…) il convient de montrer que mon discours et mon action, à défaut d’une conformité parfaite qui ne tiendrait pas compte de ma propre trajectoire et des réalités politiques, économiques et sociales de 2012, cadre avec l’essentiel des indications phares de la Charte ». Des observateurs pointus et libres vous diraient: « Non Monsieur le Président ! Vous avez plutôt choisi ce qui vous était essentiel. Votre référendum du 20 mars 2016 a fait un tri partial, même si des acquis indéniables ont été conquis, comme la généralisation de la candidature indépendante à tout type d’élection. Cela, l’histoire le retiendra. » Vous écrivez et ajoutez encore ceci: « Les signataires de la Charte comme moi ambitionnaient de « mettre un terme à la tendance à la concentration excessive des pouvoirs à la Présidence de la République » et « à toute immixtion du Président de la République dans le fonctionnement du législatif et du judiciaire ». Les Sénégalais jugeront ou ont déjà jugé si vous avez donné suite ou non « à la concentration excessive des pouvoirs à la Présidence de la République, sans compter l’immixtion du Chef de l’État dans le législatif et le judiciaire. » Pour cette dernière, on pourrait vous demander pourquoi avoir renoncé à vous décharger de vos fonctions de Président du Haut Conseil de la Magistrature et de laisser la justice se gouverner au lieu d’être gouvernée ? Pourquoi, par ailleurs, le statut de l’opposition entériné par le Référendum tarde t-il encore à être concrétisé dans les actes ? N’est-ce pas s’arrêter à la théorie et aux bons vœux que de penser également qu’une Assemblée nationale largement acquise à la majorité présidentielle, évaluera sans état d’âme les politiques publiques mises en œuvre par votre gouvernement ? Quelque chose coince dans le mécanisme, mais ce qui coince pourrait ne pas toujours relever de vous, car tout pouvoir rêve de détenir les moyens de sa gouvernance et tant mieux si vous avez la majorité à l’Assemblée nationale, ce qui vous permet de mettre en œuvre votre politique de développement comme élu légitime du peuple qui attend beaucoup de vous ! Demain, d’autres, arrivés au pouvoir, mettront sans doute « toute » la Charte en application. La suite des « réalités politiques » -c’est votre propre expression- démontrera si les propositions les plus audacieuses et les plus innovantes des « Assises nationales » donneront une démocratie plus avancée, avec des pouvoirs qui enfin arrêtent des pouvoirs. Revenant à l’indépendance de la justice, telle que l’on croit qu’elle le sera mais surtout qu’elle s’exercera, vous avez reçu en ce mois de mai 2018 un rapport des corps de la justice, dont on ne connaît pas la suite que vous allez lui réserver. Attendons de connaitre la fin de l’histoire.
Tout le monde ou presque rêve de l’indépendance des juges, sans savoir ce qu’il en adviendra. N’en vivons nous pas déjà un avant-goût, sans oublier les hurlements de l’opposition face à une Cour constitutionnelle se réclamant trop souvent, avec agacement, « non compétente » ? La justice n’est-elle pas déjà indépendante quand on sait que l’article 92 de la Constitution prescrit, comme vous le rappelez d’ailleurs vous-même à la page 42, que « Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours » ni de la part du président de la République, ni de l’opposition, ni d’un quelconque citoyen ? Pourquoi, pour éviter le soupçon de partialité des juges et celui de la mainmise du Chef de l’État sur eux, ne pas partager équitablement leur nomination entre le président de la République et le chef de l’opposition reconnu par la loi, ou toute autre formule impartiale ?
Vous avez, par ailleurs, donné votre explication sur votre renoncement à la promesse de vivre un quinquennat à la place d’un septennat. Vous écrivez, page 43, « …le Conseil constitutionnel considère que le mandat en cour au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, dont la durée, préalablement fixée dans le temps, et par essence intangible, est hors de portée de la loi nouvelle ». En un mot, votre promesse a été vaincue par la loi constitutionnelle. La polémique a été pénible, mais entre votre promesse et la loi, vous avez choisi la loi. Sur les pages d’histoire de votre vie de Chef d’État, cette posture a déjà son signet. La postérité jugera. Aujourd’hui, nous sommes des acteurs trop près du feu, pour être sans doute équitables.
Monsieur le Président, êtes-vous au courant qu’un étrange personnage parcourt le pays et tient un langage singulier et énigmatique aux foules qui l’écoutent: « Dites au Président que des enfants trop vite grandis racontent l’histoire admirable d’un guide qui avait tenu un testament moral mais que les lois de la République ne lui avaient pas permis d’honorer. Alors, tenaillé par l’éthique, il décida sans que personne ne sut le prévoir ni l’imaginer, de ramener à « trois » tables les « cinq » qui lui étaient dressées, quand il remporta son second mandat. Il avait ainsi tenu à rétablir sa souveraineté morale propre sur celle de la République et démontrer aux hommes, contrairement à ce qu’ils croyaient, que sa parole était d’or et que cette fois-ci, c’est lui qui avait imposé son verdict aux lois, attristé ses partisans, dérouté ses adversaires, ému son peuple aux larmes, ce peuple qui en le réélisant pour un second mandat, ne lui avait pas tourné le dos comme on voulait le faire croire » !
Nul élu à la magistrature suprême ne saurait tout réussir au cours de ses mandats constitutionnels ! Les premiers comme Senghor, moins formés en économie mais maitrisant la prospective et la méthode, ont bâti à la fois une république et une nation, installé des fondamentaux, c’est à dire des valeurs, une discipline, une rigueur, une autorité républicaine, une morale et une éthique de gouvernance d’où étaient exclus le pouvoir de l’argent mal acquis, la médiocrité érigée abjectement en promotion, le manque hilarant de culture et de finesse d’un si grand nombre d’hommes politiques. Oui, c’est un poète -et les poètes font sourire- qui a érigé le Sénégal en République, qui lui a donné un hymne national et un drapeau, mis en symbiose toutes les spiritualités, forgé une école et une université au savoir-faire et au savoir-être retentissants, érigé et proclamé une armée nationale invincible, inapte a commettre des coups d’État militaires, parce que tenue par des officiers et des sous-officiers formés au latin et au grec en plus des mathématiques et de la physique. Une république était posée pour résister, à ce jour, à tous les séismes, jusque sous Macky Sall. Mais le temps faisant, le Sénégal a changé, muté même. Et c’est là, Monsieur le Président, que nous comprenons mieux vos inquiétudes quand vous invoquez Montesquieu pour que « le pouvoir arrête le pouvoir », à moins que ce ne soit le peuple qui arrête le pouvoir.
Tous les Présidents sénégalais ont écrit des livres. Vous venez de poser théoriquement dans un livre les fondements de votre gouvernance politique, en reproduisant et laissant parler vos discours. Senghor avec sa série des « Liberté » et par une haute et fine réflexion à la fois politique, idéologique, sociale, philosophique même, avait défini ses champs d’actions. Abdou Diouf a écrit ses mémoires qui ont fait polémique. Il a choisi le moins réflexif en nous racontant dans un fauteuil son parcours singulier et si rare, qu’il ressemble à un conte de fée ! Abdoulaye Wade a porté rageusement le combat panafricaniste de l’Afrique. Il a beaucoup théorisé et indiqué des chemins de sortie du colonialisme comme du néocolonialisme. Il fut un redoutable débatteur. Professeur comme Senghor, ils sont allés tous les deux taquiner les forces et les ruses de la pensée et des idéologies dominantes.
Mais revenons à vous, à votre ouvrage, Monsieur le Président.
Votre livre est dédié, comme vous l’écrivez, à vos concitoyens. Avoir pensé à eux, est un acte républicain touchant. Ils vous ont mis là où vous êtes aujourd’hui. C’est eux également qui décideront en février 2019 de vous garder ou non au pouvoir.
Vous vous prononcez sur l’Administration sénégalaise en commençant fort votre propos: « Ce n’est qu’avec la vérité et la franchise drapées d’un courage résolu, que l’on vainc les hésitations et les résistances. » Et vous assénez sans faire trembler votre plume: « Les agents de l’État doivent adopter le culte du résultat, et cultivez davantage la probité, la loyauté, l’humilité, le respect et la courtoisie. » Vous dites: « S’adapter pour être une administration de développement ». Nous savons tous, hélas, ce qu’est devenue l’Administration sénégalaise. Elle a sombré ou presque, comme l’école sénégalaise. Le Président Abdoulaye Wade n’y était pas allé par quatre chemins. Son raccourci était détonnant: « On a jamais vu une administration développer un pays ! ». Et paf ! Comment guérir et faire face à ce mal ? La réponse n’est pas aisée. Elle trouve son malheur dans ce que sont devenues nos écoles d’administration dans la formation des cadres de la hiérarchie A et B. Le niveau n’y est plus, dit-on, à tort ou à raison. Il s’y ajoute nos postures culturelles propres dont certaines desservent plus qu’elles ne servent l’Administration. On ne travaille pas, on fait semblant de travailler. Et puis vient la corruption, ce cancer âpre à extirper que de maigres salaires face à des ambitions démesurées, des « paraître » et des charges sociétales vaniteusement assumées, nourrissent. L’honneur et la probité ont baissé les armes. Il s’agit non de vivre mais de survivre et à tous les prix. On a égorgé tout sentiment de honte, assassiné toute dignité. Il faut alors réformer l’Administration, Monsieur le Président, la rapprocher des usagers dans vos propres choix de mots: « l’efficacité », la « simplicité », la « performance ». Il faut en effet la moderniser pour qu’elle puisse échapper à l’appétit féroce de ceux qui se servent au lieu de la servir. Il s’agirait de procéder à une véritable révolution où les responsabilités seraient renversées afin de faire de l’usager l’arbitre, le veilleur de jour, pour une Administration plus surveillée, plus transparente, plus pratique, moins honteuse et irresponsable. Innovez Monsieur le Président ! Vous en avez le pouvoir et la charge ! Déménager vos ministères à Diamniadio est déjà une révolution ! Donnez en location au privé le building administratif rénové, ancien siège « fédéral » de vos ministères. Il rapportera à l’État des dividendes pour sa trésorerie qui tirerait moins la langue. Sous la même formule, avec des clauses d’occupation souveraine chaque fois que de besoin, délestez l’État de certaines charges et faites rentrez de l’argent dans ses caisses. Nous pensons à la cession des stades L S Senghor, Demba Diop, le Grand Théâtre, la future arène de lutte, le Centre international Abdou Diouf.
Quand vous évoquez votre politique et votre vision de l’agriculture sénégalaise, on se plaît à vous lire. Et là, vous avez réussi Monsieur le président de la République, sans doute parce que vous avez fait le bon choix en nommant un ministre hors des partis politiques, donc moins distrait, moins concentré, moins soumis et moins envahi par la terrifiante fourmilière du parti, mais surtout un ministre reconnu par la communauté internationale et dont l’expertise a été saluée par nombre de fonctions pointues occupées dans le domaine de la recherche, par nombre d’universités et d’académies de par le monde. L’agriculture est un poumon fragile et il est le premier moteur, avec l’industrie, du véritable développement. Vous le dites d’ailleurs si bien: « En premier, la modernisation de l’agriculture (…) sera bâtie sur notre vision d’une agriculture multifonctionnelle au triple plan de la sécurité alimentaire, de la génération de revenus pour les populations rurales et de la protection de l’environnement ». Dans la difficile lutte contre le chômage, donnez des bras à l’agriculture, attirez la jeunesse vers elle, non seulement en la formant à court terme, mais en offrant des emplois à cette multitude qui attend devant les interminables théières ou entassée dans des amphithéâtres bouchés, en créant des projets comme: « Un hectare, dix jeunes ! ». Il s’agit d’affecter des terres à un groupe de jeunes, dans toutes les régions du Sénégal, et de les accompagner pour un temps dans leur exploitation, avant de les laisser s’autogérer à la sueur de leur front !
Votre ouvrage, Monsieur le Président, aborde, encore une fois de plus, les institutions, la gouvernance, la paix, la sécurité, le développement. Vos discours reproduits sur chacun de ces axes donnent dans votre livre un éclairage heureux. Pour ce qui est de la paix comme de la sécurité, vous avez accompli de grandes avancées. La Casamance que nous aimons tant s’était tue. Ce n’est que « récemment », quand vous avez évoquez la rébellion dans un de vos messages à la nation, que le feu a repris, si étrangement, comme si les deux étaient forcément liés, comme certains observateurs l’ont relevé sans trop y croire. Mais la paix, vous la cultivez. Elle est sincère en vous. Prions mais travaillons encore plus pour la conforter, pour l’installer durablement depuis l’indépendance, dans notre pays. Mais la paix, Monsieur le Président, cher écrivain, c’est aussi la justice. Il ne peut exister de paix sans justice. Il ne peut exister également de justice sans liberté. Alors, pour vous protéger, pour installer le président de la République hors de tout soupçon d’ingérence, et pour donner l’exemple en Afrique et au-delà, prenez la mesure de l’histoire en répartissant courageusement et noblement le pouvoir, pour votre gloire, afin que celui-ci arrête réellement le pouvoir, comme vous l’écrivez vous-même et comme vous le souhaitez, malgré les obstacles qui ne manquent pas pour vaincre cet adage qui dit que « le pouvoir ne se partage pas » !
La sécurité est de nos jours inséparable du terrorisme. Vous vous prononcez en écrivant ceci: « …le terrorisme a tendance à se sanctuariser en Afrique, parce que ses cerveaux, agissent en réseau, considèrent le continent comme le ventre mou du système international ». Tout est dit ! L’on susurre dans les salons des Grands Blancs à Dakar, que le Sénégal, depuis Senghor, est doté du meilleur système de renseignements à la dimension de ceux des pays les plus développés. Ce système que vous avez renforcé en femmes et hommes de terrain et équipé des plus performants outils technologiques, veille sur nous et préserve notre pays du grand mal. Notre défense nationale est notre premier bouclier de sécurité !
Vous évoquez dans votre livre un sujet qui fait polémique et qui heurte certaines consciences dans une Afrique indépendante depuis près de 60 ans: la monnaie unique ! Vous écrivez: « Il est tout aussi nécessaire de résoudre l’équation que pose la pluralité de monnaies dans un espace dont la vocation est de se constituer en marché commun. » Puissiez-vous faire de ce combat, votre combat. Il est de ceux que l’histoire retient. Le FCFA disparaîtra avec sa parité avec l’euro. C’est programmé, inéluctable ! ll reste seulement d’en connaître l’échéance, mais cela est inscrit dans l’histoire de nos pays vers une indépendance monétaire, mais en phase et en harmonie avec les exigences de la politique monétaire internationale et ses organes de contrôle et de régulation. Ce qui appelle un temps d’organisation, de gestation, de mise en place des meilleurs mécanismes. Ce qui est fait est fait et appartient à une histoire coloniale qui s’est imposée à nous. Maintenant, sans hâte, sans rage, mais avec lucidité et un engagement inflexible, il s’agit de sortir de l’étau, de nous appartenir et non d’appartenir aux autres. Vous y avez votre part, Monsieur le Président et l’histoire -encore elle- vous épie.
A propos d’histoire et de postérité justement, vous proclamez, en poète et en homme de paix -page 131- de faire « retentir le chant des rameurs, la mélodie des pasteurs et la romance des agriculteurs ». Alors, prenez beaucoup plus de soin à nos côtes, à notre littoral, à notre corniche, à notre architecture, à la création de bois de ville, d’espaces verts. Veillez à ce que vos services compétents n’abattent plus des arbres centenaires dans Dakar. L’Avenue Lamine Guèye en est l’horrible théâtre aujourd’hui. Par ailleurs, et surtout, ne laissez pas construire le port à containers de Ndayane à près de huit kilomètres de celui déjà en chantier de Bargny Sendou et dont les tragiques répercussions marines se font déjà sentir jusqu’à Joal ! Vous commettrez avec ce port de Ndayane un génocide écologique et environnemental unique dans l’histoire. Votre pire ennemi ne vous souhaiterait pas de laisser un tel drame dans l’histoire de votre pays, Monsieur le Président ! Allez voir par vous-même, sur le terrain, aves les populations, l’étendue du prochain désastre, vous qui, par vos fonctions, habitez la résidence présidentielle de Popenguine impactée par ce monstre de port qui s’étend jusqu’aux côtes de Toubab-Dialaw et occupe plus de 3850 hectares à l’intérieur des terres pour installer des entrepôts. Nous ne combattrons pas le développement, mais nous combattrons un développement qui apporte la mort, les maladies, le dépouillement, l’exil, la ruine des patrimoines, l’effacement des mémoires. Renoncez à ce port en ces lieux ! La côte et le littoral vers Saint-Louis du Sénégal vous offrent un océan géant moins habité par les baleines qui viennent se reproduire à Ndayane-Popenguine-Toubab Dialaw, des terres vierges moins fécondées par une nature miraculeuse et unique, moins occupées par les agriculteurs, les pêcheurs, les maraîchères, les infrastructures hôtelières au prix d’énormes investissements, les entreprises culturelles cotées à l’international. Ce projet de port, en un jour, effacera des pages et des pages d’histoire et de patrimoine d’un des paradis de sable et de plage, le seul accessible à 45 minutes de trajet de Dakar, ce qui est un miracle ! Non, vous ne serez pas ce tueur, Monsieur le Président ! Vous ne lui ressemblez en rien ! Vous êtes plus grand que lui, plus humain que lui !
Votre ouvrage, Monsieur le Président, est plein de lunes et de soleils. Mais vous savez qu’il pleut, que les orages sont là, que les matins portent des angoisses, que nos enfants pâlissent en songeant à leur avenir, que les soins de santé sont un luxe, que nos prisons sont pleines et qu’elles sont des mouroirs, que l’école décline. Puissions-nous voir l’avenir apporter les correctifs nécessaires et les sacrifices indispensables. Bref, comme vous l’écrivez si bien et si justement dans votre ouvrage, il s’agit de réussir « le pari irréversible de combattre les injustices sociales (…) de faire passer le Sénégal d’une logique de réduction de la pauvreté à celle d’émergence économique. »
La page 276 clôt votre livre. Comme pour tout résumer, vous dites, par un solide et lucide plaidoyer: « Parce que c’est dans l’ignorance, la pauvreté et l’exclusion sociale que certaines causes d’instabilité trouvent un terreau à leur éclosion. C’est dans ce terreau qu’il faut éliminer les germes du mal (…) Autrement, nous aurons traité les symptômes en laissant de côté la maladie ».
Monsieur le Président, refaites la route, mais sans chaussure, de votre théorie à la pratique de votre projet de gouvernance. Si vous marchez sans écorchure, que personne ne vous fasse pourtant croire que la route est lisse !
En espérant que vous produirez d’autres livres, nourrirez d’autres réflexions contemporaines, en espérant que vous continuerez à encourager la vie de la pensée et à la protéger dans tout son éclat et toute sa liberté, je conclus cette très humble et très sommaire note de lecture de votre tome 1, en repensant à mes lectures de Dostoïevski. Il disait que « Le besoin spirituel le plus élémentaire du peuple russe est la nécessité de la souffrance ». A quoi l’Ambassadeur de Tombouctou, souriant, répond avec ironie, comme à son habitude, que « le besoin matériel le plus élémentaire du peuple sénégalais est la nécessité de l’abondance ».
Bref, gouverner, Monsieur le Président, c’est souffrir ! Écrire, c’est se révéler !
Amadou Lamine Sall
Poète
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française