Le 60ème anniversaire du référendum du 28 septembre 1958 (il y a quatre jours) a été totalement passé sous silence, alors que le décès du chef du protocole de la présidence de la République a fait l’objet d’obsèques nationales avec des témoignages élogieux en provenance des secteurs politiques les plusieurs divers. Pas un mot sur l’événement sexagénaire dont les implications sont tellement évidentes sur le présent et le devenir du Sénégal. Les acteurs, en outre, étaient des personnages de bien plus grande envergure que M. Bruno Diatta.
Le général De Gaulle est venu faire campagne à Dakar le 26 août 1958 afin que les Sénégalais votent « oui » et restent sous domination française ou choisissent le « non » et prennent leur indépendance. Le jour de l’arrivée du chef de l’Exécutif français, les deux principaux dirigeants sénégalais, Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia, se sont arrangés pour s’absenter. L’un s’est rendu en Suisse, l’autre en France pour des raisons médicales qui, apparemment, ne pouvaient pas attendre. De Gaulle, sans interlocuteur véritable, pouvait se défouler devant des porteurs de pancartes qui réclamaient l’indépendance et le ministre de l’Intérieur Valdiodio Ndiaye dont le discours clairement en faveur de l’indépendance, a sauvé quelque peu l’honneur national.
L’histoire nous apostrophe encore avec une cruelle instance. En écho à De Gaulle qui rappelait que le Sénégal était « depuis trois cents ans lié à la France », et pas l’inverse, la compagnie pétrolière française Total use d’un droit de préhension multiséculaire pour s’emparer à sa guise (ou au moins prendre sa part) du pétrole sénégalais. Sékou Touré choisit le « non » et le dit face au président français venu faire à Conakry le même appel indécent à la soumission. Il proclame une doctrine qui « mène l’homme d’Afrique vers la richesse de son sol, la lumière de son ciel et la maîtrise de son destin».La France lui construit une destinée de bouffon sanglant.
Faut-il ressasser nos tribulations avec l’ancienne métropole ? Certainement pas. Mais il faut connaître cette histoire pour ne pas reconduire certaines légitimités coloniales qui continuent d’exister parce qu’elles sont de prorogation tacite. Mamadou Dia révèle dans ses mémoires (P. 93) que Senghor était partisan d’une attente de vingt ans d’autonomie avant l’accession à l’indépendance nationale que le Sénégal aurait obtenue en … 1980. On peut se demander si Senghor n’était pas trop optimiste au vu de la domination économique et militaire que ce pays exerce encore sur le nôtre.
L’élection présidentielle de février 2019 est généralement considérée comme un tournant. Mais on ne fait presque jamais référence à la trajectoire dont elle doit dévier sous peine de continuer dans la perte de l’initiative et de la « maîtrise de [notre] destin ». Il s’agit des conditions d’octroi de l’indépendance, deux mois seulement après que la France eut semblé se donner autant de mal pour garder ses ex-colonies d’Afrique. Comment s’est opéré le passage des colonies à la françAfrique ?
Répondre à ces questions aurait certainement été d’une grande contribution à l’éclairage des enjeux de la présidentielle de 2019. Mais l’indifférence républicaine leur a réservé un enterrement de première classe.
Chronique Mame Less Camara (SourceA)