ACTUSEN
Contribution

Pour la vérité et pour la dignité, nous sommes tous Elimane Touré

Ce lundi 13 mars dernier, comme si une force diffuse nous tirait vers l’avant, nous nous enfoncions dans les  ruelles étroites et cahoteuses qui serpentent Yeumbeul avec l’espoir de trouver au bout une vérité qui nous apaiserait.

L’accueil fut cordial, sincère et simple. Assis en face de Madame Ndèye Ndiaye, mère de notre défunt compatriote Elimane Touré,  entourée de son père,  sa sœur et son frère Modou, nous avons été tenaillés, pendant un moment, par un sentiment de révolte intérieure face à la destruction de la vie d’Elimane et la déstabilisation de sa famille.

Assane NIANG et moi, avons écouté Madame Ndiaye nous raconter le récit de la mort de son fils cadet. Elle nous a parlé calmement pour nous dire sa vérité. Une vérité simple, cohérente et explicite. Son fils ne reviendra pas et elle le sait. Mais si la mort d’Elimane pouvait permettre d’éviter que d’autres mères ne perdent leurs enfants dans les mêmes conditions, nous sommes sûrs que sa peine en serait amoindrie.

Madame Ndèye Ndiaye ne cherche que des explications. Qu’on lui dise seulement pourquoi son fils est mort, comment est-il mort et qui lui a ôté la vie?

En allant leur présenter nos condoléances, nous avons pensé le faire au nom de tous nos compatriotes peinés et révoltés par les conditions dans lesquelles Elimane Touré a perdu la vie dans les locaux de la police du Port,alors qu’il était parti de chez lui quelques heures auparavant, debout sur ses deux jambes et bien portant, laissant derrière lui père, mère, frère, sœur et enfants.

Deux petites filles  de 7 et 9 ans que lui a laissées sa femme rappelée à Dieu deux ans plus tôt.  Des fillettes devenues subitement orphelines de père et de mère et qui grandiront peut-être sans  jamais savoir pourquoi leur père n’est pas revenu ce fameux dimanche.

Elimane Touré est rentré, après sa mort, dans tous nos foyers. Qui parmi nous n’a pas vu ou entendu son oncle El hadji  Alé Seck sur les chaines de radios et télévisions, réfutant la thèse du suicide avec une assurance solide et des arguments jusqu’ici inviolés. Qui n’a pas entendu sa soeur Kani Touré raconter les conditions de sa convocation à la police, qui ressemble fort à un enlèvement, puisque ne répondant pas aux procédures en vigueur en de pareils cas. Nous ne pouvons pas et ne devons pas oublier Elimane.

Ceux qui utilisent nos institutions, nos forces de sécurité ou nos moyens contre nous et commettent forfaits et crimes ne comptent que sur notre passivité et notre esprit fataliste.  Ils espèrent qu’avec le temps, nous finiront, comme toujours, par oublier tous les actes, y compris les plus vils et les plus cruels, et passer à autre chose…en attendant les prochains crimes et forfaits.

Le récit que la famille Touré raconte inlassablement est limpide. Il tombe sous le sens et nous convainc jusqu’à ce qu’il puisse être réfuté avec des arguments imbattables. La famille n’a pas reçu de rapport d’autopsie mais seulement un certificat de genre de mort. Le soir de la mort d’Elimane, on a dit à son frère que ce dernier se serait pendu avec une corde ramassée dans sa cellule. Le lendemain, on leur dit qu’il s’est pendu avec un drap. Mais ni drap ni corde n’ont été montrés à la famille.

Aucune autorité administrative ou politique d’un certain niveau de responsabilité  n’est allée présenter les condoléances à la famille éplorée. Personne n’est allé partager leur peine. Personne n’est allé les écouter, leur parler et leur donner l’assurance que  toute la lumière sera faite sur la mort d’Elimane, ne serait-ce que par humanisme, à défaut de l’être par responsabilité.  Dans les pays « civilisés », un Ministre, au moins, se serait déplacé dans la maison mortuaire pour apaiser la famille et transmettre aux proches les condoléances de la République.

Nous avons l’obligation morale de tout faire pour que les enfants d’Elimane ne gardent pas de leur père l’image dévastatrice d’un père qui s’est suicidé. Cette obligation n’incombe pas seulement à sa famille. Nous devons la porter et l’assumer tous. Si Elimane ne s’est pas suicidé, alors il a été tué. Que justice soit faite et que son honorabilité soit rétablie. Faisons-le pour ses enfants et pour l’honneur de notre société.

La grandeur d’une société et sa force morale se mesurent, en effet,à sa capacité d’indignation, sa compassion et son attachement à la justice. Une société qui perd ces valeurs ou ne leur donne pas de l’importance requise amorce sa décadence.

Elimane n’était pas quelqu’un parmi d’autres. Il était l’un d’entre-nous. Ce qui lui est arrivé aurait pu arriver à chacun d’entre nous.  Voilà pourquoi je suis Elimane Touré.  Nous sommes tous Elimane Touré. Voilà pourquoi nous continuerons à nous battre auprès de sa famille et de ses avocats  pour le triomphe de la vérité.

Dr Cheikh Tidiane DIEYE et Assane NIANG

Concitoyens et compatriote d’Elimane

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