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Contribution

Pourquoi l’appel de Yoff pose-t-il problème ? 5e et dernière partie

L’erreur de la communauté abrahamique selon le crédo layène : être dans l’avènement messianique sans le savoir

Avant d’arrêter sans conclure, il nous semble utile de dire un mot au sujet des miracles. A ce propos, les oulémas nous disent que ce qui importe le plus et qui détermine le reste, c’est de savoir qu’il y a une différence entre des faits prodigieux et des miracles au sens théologique du terme. Le miracle au sens de la théologie musulmane renvoie à des faits extraordinaires que Dieu réalise par le biais d’un individu pour manifester son Omniscience et Omnipotence dans le but d’attester de son statut de prophète ou de pieux. Les oulémas font une différence entre les miracles qui, par la permission de Dieu, sont accomplis par des prophètes et ceux qui relèvent de personnes proches de Dieu par leur degré élevé de piété.

Toutefois, le Coran comme les hadiths font le récit de « faits » extraordinaires accomplis par des humains qui ont pactisé avec le Diable. Un cas emblématique est celui des magiciens du Pharaon qui ont confronté Moïse (paix sur lui) à la place publique. Le Coran rapporte que ces magiciens avaient « travaillé » les yeux des spectateurs de sorte à susciter chez eux l’impression de voir des serpents en mouvement dès qu’ils (les magiciens) ont lancé leurs cordes et bâtons.

Lorsque Moïse (paix sur lui) lança son bâton, celui que le vrai et unique Dieu avait doté de propriétés nouvelles et phénoménales, il avala les vrais faux serpents des magiciens qui avaient, notons-le au passage, juré sur la puissance de Pharaon que la victoire serait au rendez-vous. Les magiciens en conclurent que la force qui avait agi était plus puissante que le Diable qui les appuyait et n’importe quel autre phénomène de l’univers. Au final, ils se prosternèrent tous en signe de révérence devant Dieu et reconnurent à Moïse (paix sur lui) le statut de messager de Dieu.

Du côté des hadiths, les musulmans ont été avertis en ce que nombre de « Dajjâl » (faux messies) apparaitront jusqu’à ce que le plus grand d’entre eux le fasse à « la fin des temps »Ces imposteurs vonttenter les gens à travers des prodiges trompeurs. On trouve les mêmes avertissements dans les sources judaïques et chrétiennes. Tout au long de l’histoire et de l’actualité et un peu partout dans le monde, juifs, chrétiens et musulmans n’ont pas échappé et n’échapperont pas dans le futur à la manifestationde faux messies jusqu’à ce qu’advienne la « fin des temps »Nous n’en diront pas plus étant donné que le sujet de cette discussion se limite aux croyances de la communauté layène.

Le « Dajjâl » atteindra le summum des faux miracles mentionnés dans les hadiths de façon très proche de ce que la Bible notamment l’ancien Testament dit de l’Antéchrist à la « fin des temps » D’ailleurs la puissance des pouvoirs de l’Antéchrist ne pourra être contrée et annihilée que par la pureté de Jésus (paix sur lui) et les pouvoirs dont Dieu a fait de lui le seul dépositaire d’entre tous Ses prophètes et messagers (paix sur eux). Tout cela pour dire qu’il ne suffit pas de voir faire des faits prodigieux ou de les imputer à un individu pour en faire un prophète ou un proche de Dieu.

Lorsque les références scripturaires de l’islam nous disent que la révélation est close, que le sceau des prophètes est venu, que la religion est parachevée, il ne peut plus être question de nouveau prophète réincarné ou non, peu importe qu’il y ait prodiges ou non. Sinon, le « Dajjâl » qui fera apparemment pleuvoir le ciel, se transformer des montagnes en or, provoquer des sécheresses et famines, voler sur un engin bizarre, parcourir toute la terre, ressusciter les deux parents d’un individu en donnant leurs images à deux diables, etc., serait considéré comme un prophète ou un proche de Dieu ! D’ailleurs ce sera le cas pour certains même de ceux qui se pensaient vrais croyants avant. Dieu nous en garde ! C’est donc l’ensemble des critères qui établissent le statut de prophète de même que de Mahdi et de Messie qu’il faut considérer et si un seul fait défaut, c’est le tout qui s’effondre peu importe les « miracles » imputés à tel ou tel individu.

Pour les musulmans, il est clair que la base d’une discussion sérieuse sur un soi-disant prophétisme après le rappel à Dieu du prophète Muhammad (saws), ainsi que sur le « Mahdisme » et le Messianisme ne peut être que le Coran et les hadiths. Et la compréhension de la grande majorité aussi bien des sunnites que chiites est qu’il n’y aura plus de prophète (nabi)et à fortiori de messager (rasûl)après Muhammad (saws). C’est dans les conditions critiques de la « fin des temps » que viendront deux figures spéciales qui vont représenter le triomphe de la foi sur la mécréance, à savoir, le Mahdi descendant du prophète Muhammad (saws) et le Messie Jésus (paix sur lui), fils de Marie comme l’appelle le Coran.

Les conditions et critères donnés par les références scripturaires et les interprétations les plus satisfaisantes qui en sont données par les oulémas établissent que nous sommes encore dans le temps de l’attente du Mahdi et du vrai Messie, Jésus, comme du faux Messie « almasîhud-dajjâl » Les musulmans attendent l’apparition du Mahdi qui est un descendant du prophète Muhammad (saws), le hâchimite et quraychite, issu de la lignée du prophète Ismaël (paix sur lui), fils ainé du prophète et patriarche Abraham (paix sur lui) et aussi le retour de Jésus fils de Marie (paix sur lui), elle-même appartenant à la lignée du prophète Jacob (Israël – paix sur lui), fils du prophète Isaac (paix sur lui), deuxième fils d’Abraham (paix sur lui).

Pour leslayènes et quelques autres communautés marginales, la grande majorité de la communauté abrahamique (juifs, chrétiens et musulmans) se trompe car avec Limamou, le temps de l’attente est révolu et nous sommes dans le temps de l’avènement messianique. Mais, si l’âme du prophète Muhammad (saws) s’est retrouvé dans un autre corps, qui nous dit qu’il n’en sera pas de même demain, et cela va s’arrêter quand le cas échéant ? Et si Jésus (paix sur lui) peut être enfanté par un père et une autre mère que Marie alors quand finira l’ère messianique ? Si un individu se dit Mahdi et/ou Messie, que doit-il penser et que devons-nous penser d’un autre qui a la même prétention que lui ? Si ce n’est pas un cercle vicieux…Le Coran et les hadiths éclairent notre lanterne sur ce sujet délicat il faut le reconnaitre, en nous apportant une guidance qui nous affranchit de la séduction maléfique de Satan et de ses tentations inlassables jusqu’à la « fin des temps » C’est sur la base de cette double source de guidance que l’on peut acquérir les moyens de discernement nécessaires pour arbitrer entre toutes ces revendications concurrentes du statut de prophète, Mahdi, Messie, Calife de Dieu…

Dans ce cadre, c’est le Coran et les hadiths qui doivent orienter notre analyse des faits et dires de tout prétendant autoproclamé ou considéré comme dépositaire des statuts susmentionnés par ses adeptes. C’est très important et même décisif car toute prétention à ces statuts devra faire face à cette double source de guidance mentionnée dans le célèbre hadith : « je vous ai laissé deux choses, vous ne vous égarerez point tant que vous y tiendrez solidement : le livre de Dieu et la Sounna de Son envoyé »Il en découle qu’il ne s’agit pas de se faire une croyance et puis d’aller chercher et forcément trouver de vrais faux arguments dans le Coran et les hadiths par le truchement d’interprétations alambiquées et tirées par les cheveux ou d’un jeu d’omissions et autres « oublis » de références scripturaires incontournables sur le sujet. Il faudra aussi s’affranchir des arguments d’autorité et circulaires qui ne fonctionnent que pour la communauté déjà « convaincue » ainsi que des « avertissements » du genre : « les voies de Dieu sont insondables ou infinies »

C’est justement pour anticiper sur ce genre d’expression dont on peut tirer n’importe quelle croyance que le testament du prophète Muhammad (saws) susmentionné dit ce qu’il dit : c’est-à-dire que c’est en tirant nos arguments de cette double source de guidance que nous nous donnons les moyens d’échapper à l’égarement surtout pour des sujets aussi délicats portant sur le « ‘âlamulghayb » De plus, si cette double source de guidance ne nous permet pas de savoir quelque chose sur qui est Prophète, Mahdi, vrai Messie, faux Messie, alors comment y croire ? Et à quoi servent nos références scripturaires si on ne peut en tirer une faculté de discernement à même de nous permettre de séparer la bonne graine de l’ivraie ? Là on est loin de cette attitude propagandiste qui nous dit : « ne réfléchissez pas trop car le mystère de Dieu est infini »

Si Limamou est le prophète Muhammad (saws) réincarné en chair et en âme dans sa personne et son fils Issa Rouhoullah, Jésus fils de Marie engendré par lui, et si le premier est aussi le Mahdi et le second le Messie, alors, tout individu qui se réclame de la communauté abrahamique, doit obligatoirement les suivre pour assurer son salut. En ce qui nous concerne, l’Appel de Yoff n’est pas conforme aux enseignements de l’islam dument établis sur les figures, les événements et les lieux de la « fin des temps » mais aussi sur les statuts de prophète, Messie et Mahdi. C’est pourquoi nous ne lui réservons pas une réponse favorable. Et c’est pour expliquer cette position que nous avons discuté de ce sujet le long de ce texte. Au-delà du crédo layène, ce débat porte sur le sujet ô combien sensible du messianisme dans la communauté abrahamique. Après la Torah, l’Evangile et le Coran, après Moïse, Jésus et Muhammad (paix sur eux) le plus grand débat mais aussi les plus grandes tribulations de l’humanité en cours et à venir auront à voir avec la question du vrai et du faux Messieainsi que du vrai et du faux Mahdi.Libre à la communauté layène d’en avoir sa propre conception et libre à nous autres de ne pas la partager.

Ahmadou Makhtar Kanté

Imam, écrivain et conférencier

Email : amakante@gmail.com

Fait à Dakar, le 08/04/2018 – 1439H

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