Comme chaque année, le 26 décembre rime avec Boxing Day en Angleterre. Cette période toujours éreintante, avec quatre matches de championnat à négocier en une douzaine de jours, est une véritable tradition autant adorée des supporters que crainte des managers. Foot Mercato retrace l’histoire de cette journée si particulière.
C’est bien connu, l’Angleterre ne fait jamais rien comme tout le monde. On y roule à gauche, on y a conservé la Livre Sterling quand toute l’Europe adoptait l’Euro, on se rend à l’école en uniforme et on joue au football à marche forcée durant la trêve hivernale alors que le reste du continent est en hibernation. Point d’orgue de cette période un peu spéciale, le 26 décembre et le traditionnel Boxing Day, ou littéralement « jour des boîtes », férié depuis 1871. Cette année encore, 9 matches auront lieu le lendemain de Noël pour le compte de la 19e journée de Premier League. En guise de digestion du christmas pudding et pour passer la gueule de bois, les supporters anglais se rendent au stade, le plus souvent en famille et parfois déguisés, honorant une vieille tradition très loin d’être anachronique malgré les apparences.
« C’est un rendez-vous incontournable de la saison, expliquait en 2015 le sociologue Martin Johnes, historien du sport outre-Manche, à Eurosport, une date qu’on identifie tout de suite. Un fan de Tottenham par exemple va regarder, quand sort le calendrier, le premier et le dernier match de la saison, quand son équipe joue Arsenal et qui elle rencontre pour le Boxing Day. Dans beaucoup de familles, on planifie les fêtes en fonction du calendrier. » Malgré un calendrier surchargé à cette période et les nombreuses critiques des joueurs et des managers, le Boxing Day traverse les époques, conservant une vieille tradition comme on les aime tant sur les îles britanniques.
L’origine du Boxing Day encore incertaine
Tel un mythe, on ignore encore avec certitude les origines du Boxing Day. Une explication revient tout de même le plus fréquemment. Dans l’Angleterre victorienne du XIXe siècle, le personnel de maison des familles riches profitait de ce jour chômé pour retrouver les leurs, après avoir travaillé à Noël. Ces petites gens repartaient chez eux une boîte (la fameuse boxe) sous le bras. Le plus souvent, elle contenait de la nourriture, souvent les restes du repas accordés par les maîtres, et même parfois des petits présents. Depuis ce temps-là, on consacre ce 26 décembre au sport en se rendant dans les hippodromes ou les stades pour assister aux matches de football, de rugby mais aussi de cricket et aux courses hippiques.
Cette version ne convient pas à tous les historiens. D’autres estiment que cette tradition apparaît plus tôt. Durant le XVe siècle, on collectait des offrandes placées dans une boîte que l’on déposait dans les églises. Le contenu était ensuite redistribué aux pauvres. Enfin une troisième hypothèse fait référence au passé marin des Britanniques. Avant de partir vers une aventure en mer incertaine, les marins entreposaient des caisses remplies d’argent et d’objets de valeur sur les bateaux pour s’attirer le bon œil. En cas de retour sans encombre et si l’expédition revenait les cales pleines, les marins offraient le contenu des caisses à l’église pour qu’elle puisse le reverser aux plus pauvres du diocèse.
Les légendes du Boxing Day
On est encore bien loin des terrains à l’herbe grasse mais on y arrive. Il faut remonter au 26 décembre 1860 pour retrouver trace d’un premier match de football en ce jour pas comme les autres. En cette année, le Sheffield FC, club doyen de toute l’histoire du football, affronte l’autre club de la ville, le Hallam FC, fondé quelques mois auparavant, pour un match qui s’est tenu à 16 contre 16 (!). Si c’est bien la ville de Derby, à 1h de route plus au sud, qui a accouché du terme éponyme pour définir un match entre deux équipes d’une même localité, on estime encore aujourd’hui que cette opposition est le premier derby de l’histoire. Cette notion d’affrontement entre voisins est importante car elle est toujours en vigueur quasiment 120 ans après, alors que le football s’est depuis développé, modernisé puis professionnalisé et les règles normalisées.
Le Boxing Day a toujours résisté au temps. Dès la première saison de Premier League en 1888/1889, le 26 décembre est inclus dans le calendrier du championnat. Jusqu’au milieu des années 50, les organisateurs avaient même prévu des matches à Noël, les joueurs devant être sur le pont deux jours de suite. La période de l’après-guerre liée au boom économique et aux grands changements sociaux a fini par avoir raison des matches le 25 décembre. Le syndicat des transports a notamment gagné son bras de fer avec le patronat pour conserver son jour férié, gênant le déplacement des supporters. Dès lors, le Boxing Day a alors pris une plus grande importance, devenant une journée à part dans les familles anglaises.
Un jour toujours spécial
« A l’origine, on jouait aussi à Noël qui a toujours été un jour pour les activités physiques à l’extérieur et les fêtes communales, appuie Martin Johnes. Dans le temps, les maisons de la classe ouvrière n’avaient rien de confortable et on allait dehors dès que possible. Lorsque le sport a commencé à devenir professionnel à l’époque victorienne (à partir des années 1840), il était donc naturel d’organiser des matches à Noël et au Boxing Day. Lorsqu’on a arrêté de jouer à Noël dans les années 1950, le Boxing Day est mécaniquement devenu encore plus important. » Certains 26 décembre sont alors entrés dans la postérité.
En 1963, les 39 matches des deux premières divisions ont eu la chance d’être le théâtre de 157 buts ! Rien qu’en First Division, les spectateurs ont eu droit à 66 buts marqués, dont un 10-1 à Craven Cottage infligé par Fulham à Ipswich Town. Depuis 1979, les supporters de Sheffield Wednesday eux hurlent leur chant favori faisant référence au « Boxing Day Massacre ».
« Hark now hear,
The Wednesday sing,
United ran away,
And we will fight for ever more,
Because of Boxing Day.. »
« Écoutez maintenant,
La chanson de Wednesday,
United s’est enfui,
Et nous nous battrons toujours plus,
À cause du Boxing Day… »
Ce 26 décembre là, ils accueillent leur voisin de Sheffield United, alors leader de la 3e division, pour ce qui est le 100e derby de la « Steel City ». Devant 49 309 spectateurs, un record qui tient toujours pour un match à cet échelon en Angleterre, les Owls de Wednesday giflent les Blades 4-0 sur un terrain complètement boueux. Jack Charlton, frère du célèbre Bobby, légende de Manchester United, avait fait passer ses consignes à ses ouailles avant la rencontre, les poussant à tacler dans tous les sens. « Ne vous en faites pas si vous prenez un carton jaune ou si vous êtes exclus. Je devrais dire que je vais vous sanctionner financièrement car c’est ce que la presse attend mais je ne vous sanctionnerai pas. Je m’assurerai que la sanction soit annulée. » United ne s’en remettra pas. Il s’écroule durant la seconde partie de la saison et terminera 12e. À l’inverse, les Owls réaliseront une incroyable série de 16 matches de suite sans défaite et parviendront à valider leur ticket pour la seconde division.
Les managers étrangers n’en veulent plus
Encore aujourd’hui, le Boxing Day apporte son lot d’incertitudes comme on aime tant en avoir en matière de football. Il n’est pas rare de voir à cette période des membres du Big Four s’écrouler à Selhurst Park ou au St Mary’s Stadium. Il devient ainsi l’ennemi des managers, surtout étrangers, qui pestent contre ce calendrier surchargé. « Vous avez trop de matches, c’est certain, avait râlé Jürgen Klopp en décembre 2015, deux mois à peine après son arrivée à Liverpool. Vous n’avez pas de pause, trop de compétitions. Je pense que tout le monde sait que cela n’est pas la meilleure façon d’obtenir des succès (en coupes d’Europe, ndlr). » Louis van Gaal évoquait le même problème pour expliquer les mauvais résultats anglais des dernières années. « C’est la chose la plus diabolique de leur culture. Ce n’est pas bon pour le football anglais, pour les clubs ni l’équipe nationale. L’Angleterre n’a rien gagné depuis combien d’années ? Parce qu’ils sont épuisés à la fin de la saison. »
Les managers non-anglais vont devoir prendre leur mal en patience. Le Boxing Day n’est pas près de s’arrêter d’après Martin Johnes. On ouvre ses cadeaux comme on se rend au stade le 26 décembre. Le taux de remplissage est d’ailleurs indécent : entre 95 et 100 %. « Ce sont les chaînes de télévision qui font la pluie et le beau temps et je ne vois pas pourquoi elles voudraient une trêve d’hiver. Peu importe ce que demandent les joueurs, peu importe si c’est néfaste pour l’équipe nationale, la Premier League danse aux millions de Sky et va toujours privilégier l’argent. Si la Premier League se sentait concernée par les résultats de l’équipe d’Angleterre, ça ferait longtemps que le calendrier serait réformé. (…) Noël est une affaire de traditions. L’idée que certaines choses vont toujours exister participe à l’essence même de Noël. Les supporters tiennent au Boxing Day parce que cela fait partie de Noël. Le football du Boxing Day est comme Noël, il ne disparaîtra jamais. » Joyeux Boxing Day.
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