Bien que vivant en France, ils rêvent de changement pour le Mali, où ils sont nés. À l’approche de la présidentielle, rencontre avec des jeunes en campagne pour des candidats depuis l’Hexagone, qui abrite la plus grande diaspora malienne d’Europe.
Ils sont nés au Mali, sont venus étudier en France – certains y travaillent aujourd’hui – et rêvent de changement pour leur pays natal. À l’approche de l’élection présidentielle du 29 juillet, de jeunes Maliens ont décidé de s’engager en politique en intégrant les équipes de campagne des partis depuis la France. Très courtisés par les candidats, ils offrent un accès inégalé à la diaspora malienne de France, la plus importante d’Europe. France 24 est parti à la rencontre de quelques-uns de ces jeunes, en Île-de-France.
Lancée officiellement le 7 juillet 2018, la campagne présidentielle suscite un engouement très fort parmi les Maliens de l’intérieur comme de l’extérieur, et notamment de France. Elle intervient dans un contexte sécuritaire compliqué, près de six ans après le déploiement des militaires français de l’opération Barkhane pour stopper l’avancée des groupes jihadistes vers le sud.
Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) avait été élu en 2013 pour rétablir la sécurité et mettre en place un processus de paix. Porté au pouvoir en sauveur avec plus de 77 % des voix, le président ne suscite plus le même engouement, même s’il tient toujours la corde.
La situation sécuritaire s’est dégradée au centre du pays et la présidence est visée par plusieurs affaires de corruption. Les partis d’opposition traditionnels et nombre de ses anciens alliés font aujourd’hui campagne contre lui : pas moins de 24 candidats sont ainsi en lice pour une élection à l’issue incertaine.
Le camp IBK
Karim Agaly Cissé, le chef de la section jeune du RPM (Rassemblement pour le Mali) en France nous reçoit dans son QG, sorte de hall au premier étage d’un immeuble vétuste de Montreuil. Il se saisit de l’organigramme des vingt-quatre candidats, et coche onze profils. « Tous ceux-là ont été nommés à des postes par le président. Certains ministres sont sortis du gouvernement à peine quelques mois avant l’élection », lance-t-il. « Leur but est de monnayer leur soutien pour le deuxième tour, ce qui les intéresse c’est leur gain personnel », regrette-t-il.
Jeune homme de bonne famille, Karim est venu en France pour poursuivre des études. Il est en deuxième année de thèse en droit. Pour développer son réseau, il est d’abord passé par le milieu associatif, comme beaucoup de jeunes maliens ambitionnant un jour de se lancer en politique. Il a présidé l’association des étudiants maliens d’Île-de-France, une organisation dite apolitique qui conseille et aide les jeunes dans leurs démarches administratives, la recherche d’emploi et de logement.
En 2016, il s’encarte au RPM, le parti du président, avec en ligne de mire, l’élection présidentielle de 2018. Accompagné d’une poignée de militants, il travaille aujourd’hui en étroite collaboration avec la section des femmes, elle aussi chargée de fédérer les sympathisants autour du candidat au service du secrétaire général du parti en France. Pour lui, il ne fait aucun doute qu’IBK sera réélu : « l’opposition a voulu instrumentaliser la question sécuritaire en affirmant que les élections ne pourraient avoir lieu, » dénonce-t-il. « Mais le président a pu aller faire campagne au nord jusqu’à Kidal sans problème ! »
Une opposition active
Outre celle du chef de l’État, deux équipes de campagnes sont particulièrement actives en France ; celle de Soumaïla Cissé, opposant de longue date, arrivé second aux dernières élections, et celle Cheik Modibo Diarra, ancien astrophysicien à la NASA, et ex-premier ministre par intérim.
Rehanna Yattara, 29 ans, a toujours voulu faire de la politique au Mali. Venue en France grâce à une bourse étudiante, elle a intégré l’équipe de Soumaïla Cissé. Aujourd’hui ingénieure en télécommunication, elle s’occupe notamment de sa campagne numérique. « Il est le candidat le plus expérimenté : il a été ministre, a dirigé plusieurs instances internationales et a une vraie connaissance du terrain. Il a le programme le plus solide, notamment sur le plan économique et cet aspect est très important pour moi », explique Rehanna.
Celui qu’on décrit comme le troisième homme, Cheick Modibo Diarra, avait remporté moins de 3 % des voix en 2013. Il est pourtant aujourd’hui considéré comme un challenger sérieux, notamment grâce au ralliement d’une figure de poids, l’ancien premier ministre Moussa Mara.
S’il ne bénéficie pas du même ancrage sur le territoire malien que ses rivaux, il suscite un enthousiasme certain parmi la diaspora française. Moussa Djiré, jeune étudiant franco-malien de 23 ans, l’a rejoint, séduit par son discours d’ouverture : « Ce qui me plait, ce sont les propositions sur la bonne gouvernance, la réduction du nombre de ministres à vingt, la parité homme-femme, la mise en place d’un système d’évaluation pour les fonctionnaires… C’est ça dont le Mali a besoin. On en a assez des présidents qui réservent les postes de pouvoir à leurs proches », dit-il.
Séduire la diaspora
Outre les questions récurrentes que sont la sécurité, la santé et le développement, les équipes de campagnes mettent en avant les propositions spécifiques destinées aux Maliens de l’extérieur. En France, cet aspect est crucial, car l´Hexagone abrite la plus importante communauté malienne d’Europe (120 000 ressortissants officiels mais entre 200 000 et 300 000ápersonnes au total, selon les estimations).
Plus que leur nombre, c’est leur poids économique qui intéresse les politiques, car les Maliens de France envoient chaque année des dizaines de milliers d’euros au pays pour faire vivre leurs proches, participant ainsi de manière indirecte mais significative au PIB du Mali.
En meeting, l’équipe d’IBK vante la création d’un fonds de financement pour les Maliens souhaitant rentrer au pays développer des projets, l’ouverture d’un deuxième consulat à Lyon pour faciliter les démarches en région ou bien encore la construction de la Maison des Maliens de l’extérieur à Bamako, inaugurée en grande pompe quelques mois avant l’élection.
L’astrophysicien Cheick Modibo Diarra, lui-même longtemps expatrié aux États-Unis, propose de réserver une partie des postes gouvernementaux et administratifs à la diaspora pour faire revenir les talents aux pays. Quant à Soumaïla Cissé, il promet aux Maliens de l’extérieur une représentation à l’Assemblée nationale afin qu’ils puissent peser sur les choix politiques du Mali.
Le casse-tête des cartes d’électeurs
L’accès au vote représente un enjeu majeur pour les jeunes militants de France dont l’un des rôles est de faciliter et de coordonner le scrutin en lien avec l’ambassade du Mali. Cette année le gouvernement a opéré un retour à la carte électorale, jugée plus fiable que la carte d’identité. Mais si les nouvelles cartes ont été fabriquées à temps, il n’est pas toujours aisé pour les Maliens de France de les récupérer.
« Je m’étais inscrite dans le 92 [Hauts-de-Seine, ndlr], mais on m’a envoyé au centre de Meaux [dans le 77, Seine-et-Marne] pour récupérer ma carte. J’y suis allé deux fois, mais là-bas, impossible de la trouver, ils sont très mal organisés » explique Rehanna, agacée. « C’est quand même incroyable, on incite les gens à aller récupérer leurs cartes pour voter et nous on n’arrive même pas à obtenir les nôtres ! »
Même son de cloche du côté d’Hermann Diarra, chef de campagne de Cheick Modibo Diarra en France, qui a tout de même réussi à faire transférer par la poste sa carte d’électeur : « on voit bien que rien n’est fait pour faciliter le vote de la diaspora », lance-t-il, mettant en cause le gouvernement. Chez IBK, les militants temporisent : « oui, il y a des erreurs, mais depuis le recensement de 2016, certains Maliens ont déménagé et n’ont pas pensé à actualiser leurs situations. D’autres, en situations irrégulières ne veulent même pas entendre parler de recensement », affirme Karim.
Lui met en avant d’autres problèmes récurrents, comme l’illettrisme. Pour savoir où récupérer les cartes d’électeurs, il faut consulter le site de l’ambassade, tâche pour laquelle les militants des partis sont très souvent sollicités. Enfin, en région, c’est la répartition des bureaux de vote qui coince ; il faut parfois parcourir de longues distances et les partis doivent s’organiser pour venir chercher les électeurs n’ayant pas les moyens de se déplacer.
À quelques jours de l’élection, les nouvelles ne sont pas bonnes. D’après l’ambassade, moins de 30 % des cartes d’électeurs auraient été récupérés dans les bureaux. Un coup dur. Mais pour les jeunes militants maliens, le combat continue.