Il était allé prendre du bon temps et assister à des matches de football pendant que la majorité les paysans sénégalais et leurs troupeaux souffraient de la faim dans de nombreux départements du Sénégal. Il a décidé de marquer son retour par un fracassant communiqué portant le titre suivant : « Le monde agricole imaginaire de monsieur Abdoul Mbaye ».
Ne lui en déplaise, des compétences non sénégalaises et plus expertes que notre Ministre de l’agriculture sur les questions d’insécurité alimentaire et pauvreté dans le monde rural se sont donné la peine de faire le travail de terrain pour s’assurer de l’état d’insécurité alimentaire dans la partie nord du Sénégal. Le Ministre, dans ce qu’il admet comme imaginaire, oublie que lors de l’atelier d’identification des zones à risque et des populations en insécurité alimentaire tenu du 12 au 17 mars 2018, Mme Lena Savelli, Directrice et représentante résidente du Programme alimentaire (Pam) au Sénégal, avait sonné l’alerte sur la situation de sécurité alimentaire compliquée au nord du pays en ces propos,: « Les pluies tardives et erratiques notées au Nord au cours de la campagne agricole 2017/2018 vont certainement provoquer une situation d’insécurité alimentaire et nutritionnelle assez préoccupante. Il y a deux semaines, j’ai moi-même visité Podor et Matam pour voir la situation des populations du Nord. De mes discussions avec les communautés agricoles touchées par la sécheresse, les pasteurs et les autorités locales, le message était clair. La situation est difficile, la période de soudure est déjà là et de nombreux ménages ont commencé à en subir les effets. Si nous n’agissons pas rapidement, la situation va certainement se détériorer dans les mois à venir et les populations les plus vulnérables en souffriront ».
On comprend donc mieux pourquoi le texte du Ministre est si laborieux, se réfugiant le plus souvent derrière des déclarations motivées par les statistiques qui sont celles précisément contestées par Monsieur Abdoul Mbaye.
« Je mens, on applaudit, donc j’ai dit la vérité » pourrait être le nouvel adage inventé par notre ministre que l’avenir aura de la peine à retenir comme le meilleur que nous ayons eu dans notre pays. Mais les vraies statistiques sont têtues et pleines d’enseignement. Ainsi au sein de l’UEMOA, le dernier rapport de la situation d’insécurité alimentaire de 2018 faisait ressortir qu’au Sénégal 800 000 personnes sont en situation d’insécurité alimentaire et que 3,6 millions sont en état de stress d’une probable insécurité alimentaire. Les seuls pays de l’UEMOA évoqués dans ce rapport sont, en sus du Sénégal, le Burkina Faso, la Guinée Bissau, le Mali et le Niger.
Les vrais statistiques parlent d’elles-mêmes : le Burkina Faso, le Mali et le Niger, pays enclavés, donc sans grande possibilité de maitrise de l’eau en agriculture irriguée et avec des populations plus importantes que celles du Sénégal (plus de 20 millions d’habitants), font état respectivement de 300 000, 600 000 et 1 300 000 personnes en situation d’insécurité alimentaire sur des échantillons d’appréciation presque similaires. La Guinée Bissau quant à elle s’en sort avec zéro personne en situation d’insécurité alimentaire. Pis encore, parmi les pays côtiers de l’UEMOA seul le Sénégal est en situation d’insécurité alimentaire, nécessitant des actions urgentes pour sauver des vies et non des polémiques d’un Ministre négationniste sur les faits constatés (voir carte).
Il est évident que les anciens collègues de l’UEMOA de Abdoul Mbaye ne raillent pas cette triste situation du Sénégal qui est très éloignée de performances agricoles records, mais plutôt la remarquable capacité du régime de Macky Sall et de son gouvernement à donner des statistiques non fiables dans le but délibéré de cacher la situation chaotique au nord du Sénégal au lieu d’y faire face.
Malheureusement, les nombreuses lignes du communiqué du Ministre Papa Abdoulaye Seck se dispensent cependant de justifier l’essentiel : comment explique-t-il que de si belles performances agricoles, décidées sur ses ordres ou d’autres, puissent être compatibles avec la présence de la famine au Sénégal ? Car cette dernière, n’en déplaise à monsieur le Ministre, n’a malheureusement rien d’imaginaire.
Quelle grave injure à l’endroit de cette terrible souffrance de nos concitoyens dans les zones rurales que de la minimiser à ce point!
Mais souvenez-vous que c’est également lui qui a affirmé l’autosuffisance en riz du Sénégal en 2017 et qui a tenu – malgré les affirmations contraires de Monsieur Abdoul Mbaye – cette ligne de contre-vérité jusqu’au mois de juin 2017…
La fin de son texte dramatique nous réserve toutefois le plus cocasse. Après avoir démontré que ses performances agricoles statistiques ne doivent rien à la pluie, il prie pour un bon hivernage… Les non experts en questions agricoles mais doués de raison sauront apprécier.
Mais surtout taisons-nous ! La saison agricole 2017 du Sénégal doit rester celle des records dans l’attente d’être dépassés par ceux de 2018. La faim au Sénégal et le bétail qui y meurt ne sont que fruits de l’imagination.
Dakar le 9 juillet 2018
La Cellule des Cadres de l’ACT