Comment un vieillard de 91 ans a-t-il réussi à faire de l’ombre aussi bien à ses jeunes alliés de l’opposition qu’au camp du Président ? Comment un ex président lynché jusque dans les familles maraboutiques a-t-il réussi une si grande résurrection politique ? Comment un ex président accusé par son successeur d’avoir volé des voitures et des tapis au Palais présidentiel a-t-il submergé toutes les coalitions en lice pour ces législatives ?
La première lecture qu’on doit en faire est que Macky Sall a échoué dans son entreprise industrielle de diabolisation de Wade, mais aussi dans sa gestion du pays et dans sa lecture de la nouvelle citoyenneté sénégalaise. Il faut dire qu’il n’avait pas prévu cet ultime sacrifice de Wade : il ne s’y attendait pas du tout. Après avoir emprisonné Khalifa Sall, tétanisé Abdoulaye Baldé et neutralisé Karim Wade, il croyait avoir acquis un parapluie électoral solide. Quelle erreur !
La deuxième lecture qu’il urge d’en faire est que le génie politique de la nouvelle génération ne suffisait assurément pas à faire face à l’adversité déloyale de Macky Sall. Lénine disait que l’arme de la critique ne doit pas faire oublier la nécessité de la critique des armes, car « la violence est la vérité de la politique ». Nous ne parlons évidemment pas ici de violence physique, mais de virilité, voire de virulence politique.
Il faut dire d’ailleurs que dans un univers où tous droits sont bafoués et les canaux d’expression de la liberté bouchés, la violence est très souvent inévitable. Quand la violence devient une institution ou que les institutions elles-mêmes deviennent une forme sournoise de la violence, les citoyens n’ont plus d’autre issue que la révolte. On ne peut pas entretenir un débat civilisé avec des interlocuteurs qui n’ont que la violence comme arme.
La troisième lecture qu’il convient d’en faire est qu’un charisme construit pendant plus de cinquante ans est un outil politique que l’opposition ne pouvait pas se permettre de ne pas utiliser. Des hommes politiques comme Wade l’histoire met beaucoup de temps à en sculpter : ce serait dès lors un gâchis que de ne pas en profiter. On ne peut dès lors pas être résolu à combattre Macky Sall sans tirer le maximum de profit de l’apport considérable que Wade est en mesure de fournir parce que les circonstances historiques, la logique démocratique pure et son charisme le veulent ainsi. Vouloir combattre Macky et en même temps un autre adversaire c’est se divertir ou tomber dans le piège de l’extrême originalité qui n’est que déraison et lyrisme politique trop candide pour constituer une alternative.
On entend un très vieille rengaine : tous ces enfants qui suivent les cortèges de Wade ne votent pas ! Ceux qui se rappellent les sommaires réflexions des partisans de Diouf en 2000 savent que de tels propos n’expriment rien d’autre qu’une profonde anxiété démocratique : la sérénité n’est plus de mise dans le camp présidentiel. Ce tâtonnement pré-électoral est l’auréole de l’amateurisme par lequel Macky Sall gère ce pays depuis 2012. Jamais des élections n’ont été pilotées avec autant d’informel : à une semaine des joutes électorales personne ne sait exactement ce qu’il faut faire. C’est quand même inédit !
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
SG du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal