Depuis un certain temps, les Sénégalais assistent à des échanges épistolaires entre l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye, et l’actuel Premier ministre Mahammad Boun Abdallah Dionne, sur des questions essentielles touchant la gestion des ressources naturelles, notamment le pétrole et le gaz. Mais ce qui devait être un débat à fleurets mouchetés, a laisser la place à des attaques frontales par presse interposée entre les deux hommes. Et pourtant, tous les deux se disent guidés par la transparence qui est une pratique sociale guidée par la sincérité.
En adressant au Président Macky Sall une lettre pour la publication des contrats signés par l’Etat avec des sociétés pour l’exploitation du pétrole et du gaz, l’ancien Pm n’a fait qu’exercer son droit en vertu de l’article 25-1 nouveau de la Constitution qui stipule : «Les ressources naturelles appartiennent au peuple. Elles sont utilisées pour l’amélioration de ses conditions de vie. L’exploitation et la gestion des ressources naturelles doivent se faire dans la transparence et de façon à promouvoir le bien-être de la population en général et de façon à générer une croissance économique».
Dans sa réponse, le Pm Dionne l’a renvoyé au rapport du Comité national de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (Cn-Itie) qui sera publié le 16 octobre 2016. Ce qui, du premier coup, paraît logique. Mais à bien des égards, cette orientation ne donnera pas les réponses adéquates aux questions posées par Abdoul Mbaye. Et cela, pour plusieurs raisons.
D’abord, rappelons que l’Initiative pour la transparence des industries extractives (Itie) est une norme internationale de transparence. Elle vise à améliorer la transparence des revenus des activités extractives des pays riches en ressources minières, pétrolières et gazières. Rappelons aussi que l’Itie ne gère pas les conditions d’obtention des permis ou contrats miniers. Mais seulement des divulgations de paiement couvrant les années d’exercices comptables.
En assurant à Abdoul Mbaye que le prochain rapport traitera de l’ensemble des questions qu’il a posées, Mahammad Dionne n’ignore donc pas que les choses ne se passeront pas comme il le dit. Le rapport Itie dont il parle ne couvre pas les périodes 2015 et 2016. Ce qui fait que les contrats miniers et pétroliers signés, s’il y en a, ne seront pas pour le moment connus des Sénégalais. Idem pour les paiements effectués par certaines compagnies à l’Etat durant ces périodes, comme ce fut le cas de Kosmos et Cairn Energy qui ont effectué leur paiement de 2015 au gouvernement du Sénégal.
L’autre fait qui prouve que le rapport de l’Itie ne permet pas de donner toutes les réponses, c’est le fait qu’il ne garantit pas la publication de toutes les données des entreprises. Et là, le dernier rapport de Conciliation de l’Itie 2013 en constitue une parfaite illustration. A la page 17, il a été clairement mentionné que 6 entreprises du secteur des hydrocarbures et 5 entreprises du secteur minier ont refusé de donner leurs déclarations Itie.
Sur la fiabilité des données présentées aussi, le rapport souligne que sur les 27 entreprises extractives ayant participé à l’élaboration de ce rapport Itie, seules 2 entreprises du secteur des hydrocarbures et 7 entreprises du secteur minier ont transmis des déclarations attestées par un auditeur externe.
Comment concilier transparence et confidentialité ?
Cette attitude des entreprises, qui sont réfractaires à la transparence dans le domaine des mines, ne doit étonner personne. Puisqu’elles sont couvertes par l’article 66 du Code minier sénégalais qui garantit «la clause de confidentialité dans les contrats entre les gouvernements et les entreprises». Cette disposition porte potentiellement atteinte à toute initiative de transparence financière, telle que l’Itie.
Pourtant, dans le registre des exigences de l’Itie, il est prévu que «les gouvernements doivent supprimer tout obstacle à la mise en œuvre de l’Itie». Pourquoi le gouvernement du Sénégal ne l’a pas fait ? Abdoul Mbaye, alors Premier ministre n’a en tout cas pas œuvré dans ce sens, tout comme aujourd’hui son successeur.
Ainsi, jusqu’à présent, cet article est encore en vigueur. Son maintien laisse apparaître une contradiction notoire. Car, «transparence et confidentialité» ne peuvent pas aller ensemble. Espérons que la révision du Code minier en cours va suspendre cette clause, au lieu de la maintenir sous une autre forme.
Autant d’éléments qui prouvent que le rapport Itie Sénégal est loin d’être un modèle de transparence, même s’il faut louer les efforts qui sont en train d’être faits.
Mahammad Boun Abdallah Dionne a donc tort de se décharger sur le Rapport Itie. Pour certaines questions posées, il peut et il doit apporter des réponses, parce qu’il détient toutes les informations. En renvoyant la patate chaude au Cn-Itie, le Pm met la pression indirectement sur l’Itie et le met aussi dans une situation inconfortable. Les membres du Comité savent bien qu’il leur sera très difficile, voire impossible de donner toutes les réponses à toutes ces questions, le 16 octobre prochain. De toutes façons, les Sénégalais attendent avec impatience cette date pour être édifiés sur la gestion de leurs ressources naturelles.
Quant à l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye, autant il est dans son droit dans sa recherche de transparence aujourd’hui qu’il est opposant, autant il est tenu d’éclairer sur le pourquoi il n’a pas soulevé toutes ces questions au moment où il exerçait les fonctions de Premier ministre du premier gouvernement du Président Macky Sall. D’autant plus que c’est lui-même qui avait acté la création du Comité national de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives.
Jacques Ngor SARR
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