Gros plan sur la situation humanitaire dans la province du Tanganyika en RDC. Fin août, les autorités ont vidé et détruit coup sur coup trois des treize sites officiellement recensés comme accueillants des déplacés aux alentours de Kalemie du chef-lieu de la province. Près de 24 000 déplacés sont concernés sur 86 000. Les autorités parlent de « retours volontaires ». La société civile, parle, elle de retours forcés. Une partie de ces déplacés sans que l’on sache exactement combien se retrouvent livrés à eux-mêmes, quand d’autres déplorent la « brutalité » de la méthode employée.
Le processus de démantèlement des sites de déplacés de la province du Tanganyika a débuté en RDC. Fin août, les autorités ont vidé et détruit coup sur coup, trois des treize sites aux alentours du chef-lieu de la province Kalemie. Des Congolais qui avaient fui le conflit communautaire qui a éclaté en décembre 2013 entre Bantous de l’ethnie Luba et Pygmées de l’ethnie Twa.
C’est après un vaste un incendie, d’origine inconnue, le 10 août dernier, dans le site de Katanika que les autorités ont enclenché le processus de démantèlement. Une semaine plus tard, le premier site était évacué. Arguments avancés par les autorités : des conditions de vie déplorables sur ces sites, un risque sécuritaire lié à ces incendies répétés et à des armes qui auraient été retrouvées.
Egalement le fait, selon le gouverneur du Tanganyika, Richard Ngoy Kitangala, que ces sites auraient en fait accueilli une majorité de « faux déplacés » : « A Katanika, 90% n’étaient même pas des déplacés internes. Et ils ne vivaient là que pendant la journée. La nuit, ils rentraient à la cité. Et ils connaissaient d’avance que tel jour, telle ONG viendra donner de l’argent. C’est alors qu’ils se pointaient et qu’ils restaient dans leur hutte ».
Les ONG empêchées de se rendre sur le site
La communauté humanitaire n’a pas été associée à ces fermetures. Pendant plusieurs jours, l’accès à certains sites lui a même été refusé. Un « manque de concertation » que déplore Modeste Kabazi, coordonnateur de la société civile du Tanganyika.
Pour lui, contrairement à ce qu’assurent les autorités, il s’agit bien de retours forcés : « On les a embarqués de force et on a brûlé le camp. Ce n’est pas normal. Quand on prend les gens, on les embarque dans des camions, on les retourne dans un milieu là où à peine arrivés, ils dorment à la belle étoile. C’est-à-dire que ce n’est pas bien préparé. On aurait pu les faire partir dans des conditions qui sont beaucoup plus humaines ». Combien parmi ces déplacés sont effectivement retournés chez eux aujourd’hui ? Impossible à dire, dans la confusion qui a régné autour de ces opérations. Reste les témoignages de ceux qui disent avoir été brutalisés, par la police et par l’armée ou bien « abandonnés », avant d’atteindre leur village, et contraints de se réinstaller dans d’autres sites situés plus loin de Kalemie, dans des conditions encore plus précaires qu’autrefois.
15 000 déplacés à Katanika
Le site de Katanika est donc le premier à avoir été démantelé. Il abritait environ 15 000 déplacés. L’opération s’est déroulée sur plusieurs jours. Entre 17 et le 20 août avec intervention les deux derniers jours de la police et de l’armée, selon des témoins, venue déloger de force ceux qui avaient refusé de monter dans les bus affrétés par les autorités, soit par peur de rentrer dans les villages qu’ils avaient fuis, ou bien tout simplement parce que les bus ne s’y rendaient pas.
Une partie de ces déplacés a trouvé refuge tout près d’une église à quelques centaines de mètres de l’ancien site de Katanika dont plus rien ne subsiste aujourd’hui et où l’armée est encore présente. Des déplacés qui dorment désormais à la belle étoile sous des moustiquaires de fortune et qui témoignent de la brutalité de leur évacuation.
Devant la moustiquaire qui lui sert d’abri de fortune, Balthazar nous montre les stigmates des coups de fouet qu’il dit avoir reçus ce 19 août lorsque l’armée et la police sont venues déloger sa famille du site de Katanika : « Regardez, j’ai des cicatrices au niveau du dos, des côtes et même mes doigts sont encore tout abîmés. Ma femme aussi a été tabassée. Les militaires nous disaient qu’il fallait libérer le site parce que les autorités ne voulaient plus qu’on reste et que désormais ce serait un site pour les militaires ».
Des « échauffourées » pour les autorités
Mado, elle n’a pas été frappée. Elle dit avoir pris ses jambes à son coup lorsqu’elle a vu les militaires arriver : « Non seulement ils chassaient les gens, mais ils ont endommagé nos ustensiles, nos assiettes, nos bidons en avec leurs bottes en les piétinant. Et ils arrachaient nos bâches en partant ».
Aujourd’hui, à l’emplacement du site, seuls quelques piquets de bois subsistent des abris d’autrefois au milieu d’une vaste étendue déserte. Julienne s’en approche parfois dans l’espoir d’accéder au petit champ qu’elle cultivait jadis. Mais la présence d’une poignée de militaires l’en dissuade. Ils occupent désormais l’ancienne clinique mobile installée pour les déplacés aux abords du site : « Face à quelqu’un qui porte une arme, il faut avoir peur. Quand je regarde le site aujourd’hui, moi qui déjà avais fui la mort en quittant mon village, je me dis que nulle part je ne suis en sécurité. Ce qui s’est passé c’est comme le naufrage d’un bateau ou un crash d’avion ».
Le ministre de la Solidarité et l’action humanitaire, Bernard Biando, qui sera notre invité ce soir, dit ne pas être informé des cas de brutalités rapportées au cours de l’évacuation du site de Katanika. Selon lui, il pourrait s’agir « d’échauffourées » lors d’une opération de maintien de l’ordre après la découverte « d’armes de guerre dans le site », opération destinée à mettre les propriétaires de ces armes « hors d’état de nuire ».
Rfi.fr