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Contribution

Réflexions sur le fanatisme (Par Seydina Ousmane Dramé, Juriste)

Le thème du fanatisme est à la fois grave et passionnant. Grave, parce que le début du siècle à été marqué par un attentat des plus sanglants, celui du 11 septembre 2009 contre les tours jumelles à New York. On a vu à l’œuvre à la fois la passion guerrière, le suicide, le meurtre collectif et l’idéologie politique. Et depuis des événements similaires n’ont cessé de marquer l’actualité.

Passionnant, parce que la chute du mûr de Berlin sonnait normalement le glas des idéologies ou marquait « la fin de l’histoire », expression chère à Francis Fukuyama. De plus, les avancées scientifiques et techniques devaient normalement faire de l’époque dans laquelle nous vivons une ère de rationalité et de lumière, mais paradoxalement le fanatisme demeure plus que jamais une question brûlante d’actualité.

Le terme fanatique vient de l’adjectif fanatique de la racine latine « fanaticus », relatif au fanum qui signifie le temple. A l’origine, il désigne l’expression des transes violentes des prêtres qui étaient au service des divinités païennes comme Siebel et Baal. La Bible nous  donne un exemple de ce fanatisme mortifère dans le livre premier des rois, chapitre 18 verset 28.

C’est un contexte de conflit entre le monothéisme hébraïque représenté par le prophète Elie face aux prophètes païens : «  Les prophètes de Baal appelèrent à grand cris, se tailladèrent  selon leur coutume à coup d’épée et de lance au point que le sang ruisselait ». Il y a une sorte d’anesthésie hypnotique  et une déconnection du réel. Par extension, le fanatisme signifie une passion intraitable et hostile en défense à une croyance religieuse ou une idéologie politique ou autre.

Le fléau du fanatisme a causé beaucoup de malheurs à l’humanité. Les médias et la littérature l’ont beaucoup dénoncé, raison pour laquelle, il est aussi utile d’essayer de comprendre le fonctionnement de cette perversion de la conscience humaine. Le fanatisme d’un point de vue psychologique est caractérisé par la « passion du même » qui se décline sous différentes formes.

La « passion du même » chez le sujet fanatique se traduit par un rejet violent de toute idée contraire aux siennes. Il a en aversion le débat et la controverse. Cette phobie de l’altérité est en effet une peur du doute. Il croit détenir la vérité absolue et est prêt à tout pour la défendre. Il fantasme sur un monde uniforme. Il verse dans la dénégation devant les évidences qui contredisent son système de pensée, cause  pour laquelle il brandit à tout-va des théories fabuleuses de complots. Il est déconnecté de la réalité.

Cette malheureuse disposition d’esprit trouve ses racines dans un complexe narcissique. Il y a « nous et les autres » qui nous veulent du mal. C’est une vision manichéenne du monde. Au plan individuel, ce complexe remonte souvent à l’enfance. En France on remarque que la plupart des auteurs d’attentats sont des enfants de l’assistance publique : les frères Kouachi, Coulibaly par exemple. Victimes d’un manque affectif, ils essaient  d’apaiser leur angoisse existentielle dans une idéologie « rassurante à cent pour cent » parce qu’immunisée contre le doute et ils compensent  aussi avec des actes de violences.

Au plan collectif, le fanatisme  prend forme avec la dynamique de la foule. Après des périodes de guerres, de misère ou d’humiliation, un leader charismatique peut trouver dans les frustrations collectives un lie pour une idéologie fanatique. C’est l’exemple du 3e Reich en Allemagne après la défaite de 1914 et le Traité de Versailles.

Le fanatisme  se manifeste comme un dédoublement de personnalité. Qu’est-ce à dire ? Au 18e les philosophes des lumières comme Voltaire, Diderot, d’Holbach ou Hélvétius croyaient naïvement que le savoir ou l’éducation étaient la panacée contre les fanatismes. Mais cet optimisme ne correspond pas à la réalité. Le fanatique peut être un homme cultivé  et bien distingué dans la sphère sociale. Pour prendre un exemple dans la politique, un dictateur est un fanatique du pourvoir.

Des dictateurs comme  Amine Dada et Paul Pote correspondent à ce profil. Dans un autre registre les  pirates de l’air des attentats du 11 septembre avaient tous fait des études, étaient issus de la classe moyenne et n’étaient victimes d’aucune oppression politique. Hélas ! c’est de cette manière perverse que peut être partitionné l’esprit humain : on peut à la fois paraître cultivé, décent et en même temps croire qu’il est nécessaire de tuer des innocents pour servir sa foi. « L’homme est une bête féroce par elle-même apprivoisée » a dit  Pierre Reverdy (Le livre de mon bord 1948). Et à Carl Gustav Jung (médecin psychiatre suisse, 1875-1961) d’enfoncer le clou : « L’humanité connaîtra son déluge, il ne sera pas physique mais psychique ».

Au 19e siècle,  la thèse de l’éducation solution radicale contre le fanatisme sera remise en cause par les écrits des aliénistes qui sont les ancêtres des médecins psychiatres. Les aliénistes constatent que le fanatique n’est pas nécessairement un sauvage ignare. En effet, il peut être cultivé mais profondément soumis à une passion intraitable pareille à certains malades des asiles psychiatriques. Des auteurs comme Gustave Lebon (1841-1931, médecin, anthropologue, psychologue social et sociologue français) voient un lien étroit entre le fanatisme et le comportement de la foule.

Dans la foule, l’individu à la pensée libre disparaît  au bénéfice de la masse amorphe guidée par des meneurs charismatiques, eux-mêmes dominés par une idée fixe. Cette idée fixe peut être d’obédience sacrée ou laïque. Ainsi  les fanatiques inquisiteurs qui brûlent les hérétiques au nom de la foi sont comparables  aux fanatiques jacobins qui  tuent leur ennemi au nom de la raison et de la révolution.

Au fait, la ligne de démarcation ne passe pas entre telle ou religion, ni entre les croyants et les athées mais entre les esprits libres et tolérants qu’ils aient ou non une religion et les esprits fanatiques, quel que soit le dieu auquel ils se réclament ou quand bien même ils n croiraient en aucun dieu. Les foules croyantes peuvent être aussi intolérantes que les foules sceptiques.

A partir des années 1920-1930, cette idée de la foule irrationnelle  est battue en brèche à son tour par la psychanalyse et en ce sens la pensée freudienne mérite d’être mise en exergue. Sigmund Freud (neurologue autrichien, 1856-1939) étudie le fanatisme sous l’angle de la vie subjective intime de chaque individu dans son ouvrage « Malaise à la civilisation ». Selon lui le fanatisme est une tentative de purification du monde par la violence. Il émet l’idée contestable selon laquelle le monothéisme hébraïque est à l’origine de l’intolérance.

C’est une idée reprise par Alain Benoit, un théoricien de la nouvelle droite dans son ouvrage intitulé « Peut-on être païen ? » et par Michael Onphray plus récemment. Selon cette thèse, le polythéisme dans la mesure où il admet la pluralité des divinités, est donc favorable à la pluralité des opinions et par conséquent à la tolérance. Alors que le monothéisme, en affirmant l’existence d’un dieu unique refuse toute possibilité de pluralité dans le monde. Mais cette théorie ne résiste pas à l’analyse des faits sociologiques.

D’abord, on constate aisément que pour les trois religions monothéistes à savoir l’Islam, le Christianisme et le Judaïsme, le fanatisme ne concerne qu’une infime minorité par rapport à la majorité de fidèles qui vivent leur foi dans le respect des lois de la République.

Ensuite, le polythéisme a aussi connu des périodes d’intolérance. Il faut se rappeler pour s’en convaincre la féroce persécution  du judaïsme par les grecs au second siècle avant l’ère chrétienne. C’est ce qui conduira à l’insurrection des Maccabées. Plus tard, on verra des exemples de persécutions romaines contre le christianisme. C’est le cas des empereurs comme Néron et Marc Aurèle, philosophe stoïcien. Et pour donner un exemple actuel, la minorité musulmane en Birmanie, pays à majorité bouddhiste, où les Rohingyas sont persécutés par l’armée birmane même. Ils sont victimes d’un génocide du fait de leur religion et de leur ethnie.

En dernière instance, nous retiendrons que le fanatisme  est une sorte de maladie mentale qui se manifeste dans une trilogie des passions extrêmes : fanatisme, masochisme ou pulsion mortifère et terrorisme. Trilogie dont l’élément essentiel est la pulsion mortifère. Un désir  intraitable qui est prêt à tout  pour défendre une foi ou une idéologie. Soit la pulsion mortifère se dirige contre la mauvaise idée alors on est dans le fanatisme, le refus de l’altérité et de la controverse. Soit la pulsion mortifère se dirige contre les personnes et les biens à l’origine de la mauvaise idée et là on est dans le terrorisme.

Le fanatisme est un phénomène social. Son éradication parait difficilement concevable du fait des facteurs sociaux endogènes qui le favorisent à savoir les inégalités sociales, l’injustice et surtout le manque d’accès aux bonnes informations qui sont autant de facteurs de frustrations. Ce qui est alarmant, c’est la capacité de destruction sans cesse croissante qui est aujourd’hui à la portée de l’homme du fait des progrès scientifiques et techniques. Ces avancées scientifiques surtout dans le domaine de l’armement, si elles tombaient entre les mains de groupement de groupes extrémistes, ce serait un véritable danger pour la civilisation.

Lutter contre le fanatisme, c’est d’abord réduire les inégalités sociales. Une société inégalitaire, une société où une classe de privilégiés  fait la pluie et le beau temps, une société où il n’y a pas d’égalité des chances, une société dans laquelle la justice est manipulée produira forcément des frustrés qu’elle met au banc. Tôt ou tard un clown catalyseur viendra galvaniser ces déficients affectifs avec la fièvre d’une idéologie totalitaire.

L’homme est un être de passion. Il porte le fanatisme en germe. Nous sommes tous des fanatiques potentiels. Une simple introspection nous le fera remarquer. Au fond, lorsque quelqu’un n’est pas d’abord avec une opinion que l’on affectionne, il nous dérange, quelque part, on le regarde comme « un marginal ». On apprend seulement à tolérer, à accepter et à reconnaître  à l’autre le droit à une opinion dissidente qu’avec une certaine maturité intellectuelle que l’on acquiert avec l’éducation. Plus on est cultivé et ouvert au monde, plus on a des chances de se libérer de notre narcissisme intellectuel. C’est pourquoi l’éducation  reste une piste clef dans la lutte contre le fanatisme. Le nombrilisme le plus puéril consisterait à se dire « Il y a plusieurs communautés dans le monde avec leurs valeurs mais la communauté dans laquelle je suis né a les meilleures valeurs, par conséquent, je dois les imposer aux autres ».

Enfin, la résolution du conflit israélo-palestinien est d’une nécessité impérieuse parce qu’il est le creuset de tous les fanatismes religieux. C’est une sorte de cancer dont les métastases envahissent le monde. Pourtant plusieurs plans de paix ont été adoptés, depuis 1973, vingt-cinq au total qui se sont révélés infructueux. Tous les Etats  devraient reconnaître officiellement l’Etat palestinien. De grandes puissances l’ont déjà fait : la Chine, la Russie, l’Inde. Les arguments contre la reconnaissance de l’Etat palestinien, nous semble-t-il,  ne tiennent pas la route.

Primo : « Il faut attendre l’issue des négociations israélo-palestinienness avant de reconnaître l’Etat palestinien ». La quasi-totalité des Etats reconnaissent déjà Israël alors que les négociations sont en cours. Secondo « Il n’y a pas de territoire palestinien clairement défini », il n’y a pas de territoire israélien clairement défini non plus. Tertio « Il n’y a pas de gouvernement palestinien clairement identifié, celui du Hamas et celui de l’autorité palestinienne ». Le même problème se pose entre Pékin et Taïwan, pourtant cela n’empêche pas aux Etats de reconnaître une seule Chine. Toutefois, en termes d’idéologie dégagée, il vaudrait mieux reconnaître l’autorité palestinienne au lieu du Hamas qui prône l’islamisme armée. A l’analyse de ces arguments nous voyons donc qu’il y a deux poids et deux mesures.

L’idée générale qui soutient qu’il n’existe pas de solution de paix possible au conflit israélo-palestinien est un mythe. Il existe bel et bien le plan de Genève, qui est un plan de paix complet conçu par des membres de la société civile de la Palestine et d’Israël parmi lesquels d’anciens négociateurs officiels des deux côtés. Le document reprend les éléments d’autres textes célèbres : les grandes résolutions des Nations Unies 232 et 348, le paramètre Clinton qui avait été conçu par Bill Clinton en 2000 pour arriver à la paix, l’initiative arabe pour la paix de 2002 et  la feuille de route proposée par le Quartet pour le Moyen-Orient de 2003. Cependant ce plan de paix est constitué de concessions difficiles et douloureuses des deux côtés mais nécessaires pour voir enfin Israël et  Palestine vivre côte à côte en paix :

  1. Concernant, la question des réfugiés palestiniens, il n’y en a plus de cinq millions qui sont en exode depuis la création de l’Etat d’Israël, ils sont soit les enfants de parents palestiniens soit les petits enfants de grands parents qui ont vécus l’exode. Ils sont surtout répartis entre la Jordanie, la bande de Gaza, la Cisjordanie et le Liban. Le plan de Genève prévoit qu’Israël indemnise chaque famille de réfugiés et les pays qui les ont recueillis.
  2. Les réfugiés ont le droit de rester dans leur pays d’accueil ou d’en changer mais avec l’accord du pays d’accueil du pays choisi. En pratique, cela veut dire que les réfugiés doivent abandonner le droit au retour dans le territoire qui est maintenant Israël. C’est une concession très douloureuse parce qu’Israël n’acceptera jamais un droit au retour qui rendrait les citoyens de confession juifs minoritaires, cela reviendrait à détruire démographiquement l’Etat juif. Il faut donc que les réfugiés palestiniens renoncent à ce droit de retour en échange d’indemnisations et d’une reconnaissance du préjudice subi. 2 S’agissant des frontières, c’est une concession douloureuse du côté d’Israël.
  3. Il faut évacuer quasi totalement la Cisjordanie, 98% pour être précis. 98% de la Cisjordanie seront rendues aux palestiniens, c’est un démantèlement quasi intégrale des colonies Israélienne à la charge d’Israël. C’est-à-dire Israël ne sera pas indemniser pour cela et gardera 2% des territoires qui sont déjà des colonies très développées d’un point de vue urbain. Israël doit en échange donner à la Palestine des terres de même superficie et de même qualité collées à la bande de Gaza ou à la Cisjordanie. C’est une concession qui est inévitable de la part d’Israël. Il est à noter que la colonisation actuelle de la Cisjordanie par Israël est totalement indéfendable du point de vue du droit international.

III.  Jérusalem est partagé entre Israël et la Palestine. Donc les quartiers qui sont majoritairement juifs deviendront la nouvelle capitale d’Israël qui est actuellement Tel Aviv et les quartiers majoritairement arabes deviennent la capital de la Palestine, c’est-à-dire il y aura le retour d’un Jérusalem-est Israélien et  d’un Jérusalem-ouest palestinien. Quant à la vieille ville qui est un territoire sacré pour plusieurs grandes religions, une force internationale de maintien de la paix dépendant de l’ONU s’occupera d’en faire une zone  de libre circulation avec une liberté de culte et une liberté de  pèlerinage.

S’agissant  de l’entretien du patrimoine culturel et architectural dans ce sanctuaire qui fait l’objet de beaucoup de contentieux, il doit être soumis à des règles strictes et à l’autorité de l’Unesco. C’est une concession inévitable à faire du côté israélien. Parce que Jérusalem est la ville symbole du conflit, la laisser sous l’hégémonie d’Israël sans partage avec la Palestine, c’est une évidente injustice.

La résolution du conflit du Moyen-Orient est une question d’ordre public international. Il faut y imposer la paix sous peine de sanctions. Les Nations unies parviennent bien à le faire dans d’autres régions du monde, pourquoi pas au Moyen-Orient ? Peut-être y a-t-il derrière un manque de volonté politique motivée par des conflits d’intérêts ? La résolution de ce conflit reste le nœud gordien de la lutte contre le fanatisme.

                                                                    Seydina Ousmane Dramé, Juriste

                                                seydinausmane@hotmail.com

                                                               Le 10 Mai 2017

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