Si vous les voyez porter un ruban rose, en plein mois d’Octobre, ne les prenez pas pour des fêtards. Loin s’en faut ! En effet, il s’agit plutôt de Sénégalais, engagés dans une croisade commune, qui garde toute sa part de noblesse : le combat contre le cancer du sein.
Placée sous le sceau de «Octobre Rose», la campagne de sensibilisation et de collecte de fonds pour le cancer a pour objectif d’augmenter le taux de participation des femmes âgées de 50 à 74 ans au dépistage.
Entre cris de cœur de cancérologues pour le démarrage de la Radiothérapie, parce que les patientes de cette maladie ô combien mortelle souffrent à longueur de journée et témoignages poignants de victimes du cancer du sein, Actusen.com invite ses internautes à un voyage au cœur de l’initiative «Octobre Rose», version sénégalaise.
Définie comme une tumeur maligne ou bénigne, le cancer du sein est une maladie caractérisée par une prolifération désorganisée des cellules, qui se développent au niveau de la glande mammaire, dont la fonction est de secréter le lait. Au Sénégal, les experts en cancérologie avancent environ 6776 cas de cancer, par an. Ce, en dépit d’un sérieux problème de registre et d’archivage noté.
Une situation qui reste aggravée par l’absence de détection précoce ; d’où, la volonté «d’Octobre Rose» lancé, il y a une vingtaine d’années par des femmes américaines. Se faisant remarquer par le ruban rose, symbole du combat contre le cancer du sein, la campagne de sensibilisation et de collecte de fonds pour le cancer « Octobre rose », un mois de prise en charge, a pour objectif d’augmenter le taux de participation des femmes âgées de 50 à 74 ans au dépistage.
Les femmes sont les plus touchées par la maladie, mais peu sont celles qui viennent à l’hôpital pour se dépister. «La plupart des Sénégalaises ne sont pas habituées à faire le dépistage, à temps, car la maladie n’était pas bien connue. Et «Octobre Rose» a joué un rôle déterminant sur la sensibilisation du cancer du sein et des autres cancers», indique Dr Doudou Diouf.
La cherté de la mammographie à 40 000f et la pauvreté de la population font, aussi, partie des causes, qui, peut-être, réduisent le taux de candidates au dépistage. «Chaque cure coûte 320 000 francs Cfa, sans compter les analyses, le transport ; ce qui fait que la plupart des malades viennent en consultation à des stades avancés» a lancé Docteur Doudou Diouf, cancérologue à l’hôpital Aristide Le Dantec.
« La cherté de la mammographie à 40 000f et la pauvreté de la population font, aussi, partie des causes, qui, peut-être, réduisent le taux de candidates au dépistage »
De plus en plus, consciente de cette pathologie, la population sénégalaise se rend compte des conséquences, qui sont à la portée du cancer. Pour Dr Diouf, «le diagnostic de la maladie du cancer est bouleversant chez certaines patientes, voire dramatique. Psychologiquement, elles sont affectées, mais malgré le choc, la grande majorité finissent par se reprendre en main et commencent le traitement avec pas mal de difficultés rencontrées».
«Il n’y a que du bénéfice de parler du cancer, c’est un élément positif et un moyen, pour que les gens soient édifiés sur la question. Et c’est dommage que le programme de lutte contre le cancer ne se limite qu’au mois d’Octobre, car parler «d’Octobre Rose» pousse les autres à aller se consulter», ajoute-t-il.
Les actions faites en faveur des malades du cancer du sein, durant le mois d’Octobre
Pendant «Octobre Rose », les femmes, entre la trentaine et la soixantaine, bénéficient des dépistages et des bons gratuits pour faire des mammographies. Quant aux femmes moins âgées, elles en bénéficient si seulement si elles présentent des symptômes du cancer du sein», explique Lidie Diémé, une étudiante d’une vingtaine d’années qui fait du bénévolat à la Ligue sénégalaise contre le cancer (Lisca).
La Lisca, qui compte 17 Associations, au total, organise, régulièrement, des dépistages gratuits du cancer du sein et du col de l’utérus. A Sacré-cœur 3, le Siège de la Ligue sénégalaise contre le cancer ne passe pas inaperçu. Des étendards roses, des rubans roses…sont suspendus aux murs. A l’intérieur, c’est le même constat : tout le personnel a un ruban accroché à la poitrine.
Très accueillante, la chargée de communication, Maimouna Dièye, explique : «nous sommes à notre 5e édition d’«Octobre Rose» que nous voulons organiser à l’image du monde entier, parce que c’est un événement international et en Afrique, le Sénégal est l’un des premiers pays à l’avoir célébré».
Dr Doudou Diouf, cancérologue : «on espère que la radiothérapie sera installée, d’ici au mois de décembre, car les malades continuent de souffrir»
Face à une panne de la radiothérapie pour des milliers de patients atteints de cancer, certains malades ont été évacués à l’étranger pour recevoir des soins. «Des moments particulièrement difficiles pour les malades mais aussi pour le personnel.
Avec beaucoup d’émotion, on a dû faire le choix, vu que seulement 5 sur 10 malades par semaine sur les 30, pouvaient bénéficier de la prise en charge de l’Etat. Et c’est, d’ailleurs, toujours le cas, car, jusqu’à présent, la nouvelle machine, qui est arrivée n’a pas démarré. On espère que l’appareil sera installé, d’ici au mois de décembre, car les malades continuent de souffrir», a souligné le chirurgien cancérologue.
Pour lui, «le cancer n’est pas une fatalité et l’espoir de guérison est permis». Et par rapport aux Associations de lutte contre le cancer, l’oncolgue se veut formel : «elles font un travail remarquable, mais sont trop divisées. Etant donné qu’on est dans un pays, avec si peu de moyens, le mieux serait qu’elles se regroupent toutes derrière la Lisca (Ligue sénégalaise contre le cancer) afin de trouver un budget national, en dehors des autres aides qu’elles reçoivent», conseille-t-il.
«Un plan national de lutte contre le cancer a été élaboré par des professionnels et qui prend, également, en compte, plusieurs aspects. Mais jusqu’à présent, le budget n’est pas déposé», renseigne Dr Diouf
Le cancérologue lance, cependant, un appel à la population et à l’Etat du Sénégal, d’avoir un esprit d’anticipation, concernant le dépistage. «Un plan national de lutte contre le cancer a été élaboré par des professionnels et qui prend, également, en compte, plusieurs aspects (formation, éducation, sensibilisation et l’équipement).
Mais jusqu’à présent, le budget n’est pas déposé», renseigne Dr Diouf. Le cancérologue pense vraiment qu’il aura du suivi venant du gouvernement du Sénégal», finit de dire M. Diouf
Interpellé à un arrêt-bus, le ruban rose accroché sur sa chemise blanche attire notre attention. Babacar Diop, étudiant en Faculté de Médecine, Pharmacie et d’Odontologie, à l’Université Cheikh Anta Diop, affirme : «le cancer est une maladie très mal connue, ici, au Sénégal ; une raison qui fait que lorsqu’on est porteur de la maladie, on pense, tout de suite, à la mort. Or, ce n’est pas le cas.
La vérité, dit-il, est que la plupart des personnes atteintes du cancer cherchent à résoudre le problème seules, alors qu’il faut aux patients beaucoup d’assistance».
Maïmouna Dièye, chargée de Com’ de Lisca : «La détection précoce est cruciale et je pense que la Lisca a un rôle à jouer, car très tôt détectée, la femme peu avoir jusqu’à 100% de chances de guérir»
Pour Maïmouna Dièye, «c’est un mois qui représente une opportunité pour beaucoup communiquer, et impliquer les populations, l’Etat, la Société civile, les structures privées comme publiques pour vraiment créer cette mobilisation dans le combat contre le cancer.
«La détection précoce est cruciale et je pense que la Lisca a un rôle à jouer, car très tôt détectée, la femme peu avoir jusqu’à 100% de chance de guérison», dit-elle.
« Chaque année a sa particularité ; nous avons déjà fait notre premier événement avec un dépistage gratuit. Il y en aura un autre à la fin du mois et nous attendons 2000 femmes avec un grand lancement.
Nous avons aussi, avec les Associations qui sont en dehors de la Ligue, organisé une «quête rose » qui consiste à inviter toutes les femmes à se mettre en rose et rendre visite aux malades à l’Institut du cancer que l’Association cancer du sein Sénégal (Ac2s), un démembrement de la Lisca, composée d’anciennes malades guéries du cancer ».
Cela permet, explique la chargée de communication, de créer un « ruban humain » et, pour cela, tout le monde sera habillé en rose avec des rubans et des casquettes de couleur rose.
«Les malades sont accompagnés dans cette Association, financièrement et psychologiquement. Les personnes atteintes du cancer du sein, sont réunies, tous les premiers mercredis du mois, et sont assistées par des psychologues et des personnes qualifiées pour la prise en charge», fait noter Maïmouna Dièye.
La ligue a eu à faire bénéficier plus de 120 malades d’une prise en charge de la chimiothérapie, grâce à l’appui de «Challenge Ladies» et à l’aide des Sénégalais de la diaspora qui ont aussi organisé une grande soirée. Cet argent a servi à acheter des médicaments pour les malades.
Les regrets de Babacar Diop, étudiant en Faculté de Médecine, Pharmacie et d’Odontologie, à l’Université Cheikh Anta Diop
Aussi, Babacar Diop lance-t-il un appel pressant : «je demande au Gouvernement du Sénégal de songer à offrir des bourses aux étudiants qui veulent se spécialiser en cancérologie.
Un Institut de recherche en Odontologie existe à Dakar, mais peu de fils du pays en profitent, à cause de la cherté de la formation. C’est pourquoi l’Institut n’est occupé que par d’autres nationalités, ce qui est dommage».
Trouvée dans son bureau, une jeune fille (Ndlr : Actusen.sn la rebaptise Fatou Diallo), âgée de 26 ans, visage triste, a beaucoup de mal à reparler de son histoire, pardon, de l’histoire de sa génitrice.
Témoignage poignant d’une fille sur le cancer de sa mère : «à une certaine période de la maladie, ma mère ne voulait plus se regarder dans une glace. Elle a subi plusieurs séances de chimiothérapie qui lui faisaient perdre petit-à-petit ses cheveux»
Revenant sur les circonstances du décès de sa génitrice, Fatou Diallo se livre à des témoignages bouleversants : «ma mère avait eu un cancer du sein et on l’a découvert, tardivement. Un cancer terrible, qui a duré un an. Un an durant lequel c’était impossible qu’elle se réveille avec zéro douleur» souffle-t-elle la main sur la tête.
Derrière le trémolo de sa voix, Fatou Diallo embraie en ces termes : «j’ai vécu sa maladie, avec beaucoup de difficultés. Elle avait 47 ans. Et était de taille moyenne, teint clair. Mais arrivée à une certaine période de la maladie, elle ne voulait plus se regarder dans une glace.
Elle a subi plusieurs séances de chimiothérapie qui lui faisaient perdre petit-à-petit ses cheveux. Pour une fille, voir la beauté de sa mère disparaître, c’est terrible».
Selon elle, «il ne se passe pas un jour, sans que je ne pleure sa mort. Aujourd’hui, la seule chose qui me console, c’est d’avoir intégré une Association de lutte contre le cancer et qui me permet de sensibiliser, d’aider et de susciter une lueur d’espoir dans les yeux de chaque personne atteinte du cancer».
Le cancer est une épreuve coriace, mais il peut aussi être une aventure significative. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment on apprend à vivre avec», a confié Fatou Diallo.
Toutefois, les malades rencontrent des problèmes dans leurs entourages et se replient souvent sur elles-mêmes.
«Dans certains cas, il peut arriver que la patiente dégage une certaine odeur, pas agréable et quand la malade voit cela, elle se referme sur elle-même»
«Des femmes se replient sur elles-mêmes, parce qu’elles ne veulent pas que les gens les regardent d’un certain œil. Mais il faudrait surtout retenir que, dans la globalité, la prise en charge est difficile, parce que les accompagnants ne savent pas ce que c’est le que cancer et n’ont pas cette sensibilité qui incombe à l’environnement proche du malade pour comprendre ce dont elles peuvent avoir besoin ou ce qu’il faudrait faire pour mieux les suivre» se lamente-t-elle.
Venue chercher son bon de mammographie gratuit, une dame de 49 ans, Ngoné Thiam, habillée en robe trois-quarts, de couleur noire, confie qu’elle fait, tous les deux ans, une mammographie, consciente qu’elle est exposée au risque du cancer du sein à son âge.
Malheureusement, beaucoup de patientes « sont stigmatisées dans leur entourage, quand elles souffrent du cancer du sein. Lors des séances psychologiques, elles ont besoin de parler pour se libérer et ce sont les mêmes histoires qu’on entend », regrette la chargée de communication de la Lisca.
Pis, pour éviter la stigmatisation ou par peur d’être rejetées par leur entourage, certaines femmes ne s’ouvrent pas à leurs proches pour leur expliquer ce qui leur arrive.
Confessions d’un bénévole de la Lisca, au sujet de la maladie du cancer de sa nièce
Rencontré par Actusen.com, un bénévole de la Lisca qui a suivi sa nièce en secret jusqu’à sa guérison, confie : «sachant que je fais du bénévolat dans une Association qui aide les personnes atteintes du cancer, ma nièce s’en est ouverte à moi. Je lui ai tout de suite demandé de faire un dépistage ».
Heureusement, pour elle, son cas n’était pas encore développé et elle a pu faire une chimiothérapie, sans même que les membres de sa famille n’en soient informés. Nous étions les seuls, moi et ma tante, à être au courant de sa maladie» révèle le bénévole.
Penda DIALLO & Anna MENDEZ- Stagiaires (Actusen.Com)