Le dialogue sur le Sahara occidental doit reprendre ce mercredi 5 décembre. Les discussions se dérouleront pendant deux jours, au Palais des droits de l’homme des Nations unies de Genève. Le Sahara occidental est situé au sud du Maroc, à la frontière avec la Mauritanie et l’Algérie. Depuis le retrait en 1976 de l’Espagne, qui l’avait colonisé, ce territoire est contrôlé à 80% par le Maroc alors que le Front Polisario, mouvement politique et armé sahraoui, demande son indépendance. Les négociations, sous l’égide de l’ONU, sont au point mort depuis 2012. Jusqu’à ce que, Horst Kohler, nouvel envoyé des Nations unies sur cette question, ne décide de ressusciter le dialogue en invitant tous les acteurs à Genève.
De notre envoyée spéciale à Genève,
C’est la grande nouveauté de ces discussions. Pour la première fois, le Front Polisario, le Maroc, mais aussi l’Algérie et la Mauritanie, ont été invités à s’asseoir autour de la table, avec le même statut. L’idée, c’est de sortir du clivage entre le Maroc et le Front Polisario, qui dure depuis plus de quarante ans. Le point de crispation majeur c’est celui du statut du Sahara occidental.
Le Maroc est disposé à accorder une autonomie au sein de sa souveraineté territoriale, quand le Front Polisario demande l’autodétermination grâce à la tenue d’un référendum, comme l’explique Mohamed Khaddad, membre du secrétariat national du Front Polisario : « La question du Sahara occidental est une question de décolonisation. Le passage des ans n’a pas changé cette nature du conflit. Le peuple du Sahara occidental a le droit de décider de son destin donc nous avons déjà, dans notre solution de 2007, proposé des garanties au Maroc sur le plan économique, sur le plan sécuritaire, sur le plan social. En somme, nous pouvons tout négocier sauf le droit à l’autodétermination. Bien entendu, la meilleure des options, c’est d’avoir un accord et un référendum et que l’on aille au référendum la main dans la main ».
Cette solution du référendum a été acceptée par les Nations unies dès 1991, mais depuis le Maroc a plusieurs fois rétropédalé sur cette question. Aujourd’hui, le problème, c’est que la situation au Sahara occidental a complètement changé, notamment parce que le royaume y a multiplié les investissements et a mené une véritable politique de peuplement.
Brassage de population
« Il y a eu un brassage de population, confirme Khadija Mohsen-Finan, chercheuse à la Sorbonne et spécialiste du Maghreb, qui était une volonté de Hassan II initialement de déplacer les populations du Maroc et de les installer au Sahara occidental. De mettre à leur disposition des facilités, et notamment des produits subventionnés comme des loyers très bas… De manière à ce que ce brassage de population rende les Sahraouis minoritaires et à ce que l’identité sahraouie, elle-même, soit diluée ».
Le Maroc est donc formel : le référendum aujourd’hui n’est plus une option. C’est en tous les cas l’avis de Shaibata Mrabih Rabou, président du Centre Sahara pour les études sur le développement, une institution marocaine : « On ne peut pas identifier qui est sahraoui pour voter. Le Polisario a toujours présenté des chiffres faux, il n’y a jamais eu de recensement de la population des camps de Tindouf et ces gens-là n’ont même pas une carte de réfugié. Donc, la question du référendum est dépassée. L’ONU était très claire avec la résolution 24-40 de saluer l’initiative marocaine de solutionner ce problème, ça veut dire l’autonomie élargie pour la région du Sahara ».
Rencontre préliminaire
Dans ces conditions, il n’y a pas grand-chose à attendre de cette rencontre de Genève. Les Nations unies elles-mêmes n’ont pas mis la barre très haute. Elles parlent d’une rencontre préliminaire. L’ordre du jour est des plus vagues. Il s’agit surtout de reprendre contact. Mais, la pression internationale, notamment des Etats-Unis reste quand même assez forte, car le blocage sur le Sahara occidental à de lourdes conséquences pour toute la région.
« Au niveau des économies de la région, il y aurait deux ou trois points de PBI par pays si le conflit venait à être résolu, estime Khadija Mohsen-Finan. Il y a une raison humaine, puisque ce sont des familles qui sont séparées depuis plus de quarante ans. L’autre question, c’est une question sécuritaire puisque l’on a une population qui est politisée, qui est aguerrie et qui n’a plus d’idéologie, n’a plus d’idéal et qui pourrait être tenté de rejoindre les groupes terroristes ».
Pour accélérer les choses, en avril, les Nations unies n’ont renouvelé le mandat de la Minurso, la Mission de l’ONU pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental, que pour six mois, au lieu d’une année.
■ La rencontre vue d’Alger
L’Algérie, qui fait du dossier du Sahara occidental une priorité, se réjouit de la reprise du processus.
Après six années de blocage, les discussions vont pouvoir reprendre. Voilà comment les médias officiels algériens présentent la rencontre qui s’ouvre en Suisse ce mardi. L’Algérie fait du dossier du Sahara occidental une priorité, mais elle ne se considère pas comme partie prenante et insiste sur le fait que sa position politique est la même que celle de l’ONU.
Pour Alger, il faut une « solution durable », « acceptable par les deux parties », qui « garantisse l’autodétermination » des Saharaouis.
Si l’Algérie estime que le blocage des négociations depuis 2012 est dû au Maroc, aujourd’hui le contexte pourrait être favorable à une solution : au mois de février, la Cour européenne de justice a dénoncé l’accord de pêche entre l’Union européenne et le Maroc, car l’accord prenait en compte les eaux des territoires revendiqués par les Saharaouis.
Même si, la semaine dernière, le Conseil de l’Union européenne a adopté malgré tout cet accord de pêche, les autorités algériennes ont déclaré leur soutien aux responsables du Front Polisario et espèrent que l’ONU sera en mesure d’organiser une « série de négociations » « dans les mois à venir ».
■ La rencontre vue de Rabat
Au Maroc, on reste vigilant quant à l’attitude attendue du voisin algérien dans ce dossier.
Le Maroc l’a obtenu et la presse locale s’en félicite, l’Algérie participera effectivement en tant qu’Etat voisin à cette table ronde.
Victoire diplomatique s’il en est pour Rabat face Alger qui a toujours considéré ne pas devoir intervenir dans un conflit qualifié de décolonisation.
Du côté des bruits de couloirs, la diplomatie marocaine demeure néanmoins méfiante quant à l’attitude d’Alger lors de cette rencontre.
« Si l’Algérie quitte la salle pour boire du thé ou du café, nous sortirons, nous aussi, pour siroter un thé ou un café », annonce le représentant permanent du Maroc à l’ONU Omar Hilale au site 360.ma, site d’information proche de l’administration. Le diplomate met plus généralement en garde contre ce que l’on qualifie à Rabat les manœuvres algériennes consistant à ne pas vraiment prendre part aux discussions.
Pour rappel, le Maroc insiste depuis plusieurs semaines pour reprendre un dialogue direct avec son voisin maghrébin et avait appelé, selon les termes de Mohammed VI, à en finir avec les différends. Une politique de la main tendue à laquelle a pour l’heure très tièdement répondu Alger, qui a proposé de passer par l’institution en sommeil de l’Union du Maghreb arabe.
Selon les observateurs chérifiens l’enjeu n’est pas dans l’avancée de négociations – sur le terrain diplomatique – le Maroc n’a pas changé de position – mais en l’ouverture d’un dialogue que l’on qualifie plus qualitatif avec le voisin algérien.
Rfi.fr