Osons un truisme. C’ est pour mieux jauger l’avenir. Pas celui politique. C’est le futur des médias qui nous interpelle. Celui de l’Agence de Presse Sénégalaise me préoccupe particulièrement, personnellement.
Produit de l’APS, je suis. Acteur décisif dans le traitement du FAIT à l’Agence nationale, je peux revendiquer aussi, aux côtés d’autres Cestiens de la même génération. Je n’en étais ni Directeur, ni Rédacteur en chef. Mais une fréquentation saisonnière du « grossiste » de l’information depuis mes années de stage, m’y avait donné une place dans l’appréciation des responsables et autres devanciers. Aussi avais-je déjà pu bénéficier de préjugés favorables quand j’y entrais recruté en mars 1979.
J’y avais déjà un nom de code. Il s’agit de trois lettres qui me collent à l’appel, depuis que l’opérateur Mansour KEBE, obligé de mettre des initiales à la fin d’un article (mon premier sur le fil comme stagiaire en juillet 1976), dût se contenter d’abréger mon patronyme. Mon nom de famille était la seule donnée me concernant, inscrite au tableau dit de « reportages », où sont portés et le menu de la journée et les reporters à envoyer sur des activités à couvrir.
A la fin d’une dépêche d’agence ordinaire, il n’est pas porté de signature d’auteur autre qu’en des initiales. BAKHOUM était beaucoup trop long pour tenir dans l’espace dédié. A ce début de soirée-là, il n’y avait personne pour donner au technicien, le prénom du stagiaire. Mansour trouva une astuce : me voila désormais appelé BKM, jusques et aujourd’hui encore, par habitude pour certains des confrères et collègues d’alors, voire quelque complice avec qui je partage quelques troisièmageries.
C’est fort de l’expérience que j’ai du journalisme d’agence (exercé à l’APS et ailleurs) et de son importance dans la circulation des informations, partout dans le monde, que je peine à comprendre comment on a pu en arriver à laisser l’Agence Nationale végéter dans des difficultés de nature à menacer son existence.
Attribut de souveraineté
Venons-en au truisme. Il n’est pas envisageable qu’un Etat puisse se passer de Ministères chargés des questions intérieures et de sécurité publique, des questions diplomatiques et des questions de Justice. Pour ne prendre que ces exemples. Il en est de même dans le secteur des médias. Il n’existe plus au monde un seul Etat qui ne s’appuie sur les diffuseurs de masse pour asseoir ses politiques, après que ses dirigeants ont grandement profité du travail des journalistes pour vendre leurs projets, aux électeurs.
Dans les « démocraties représentatives » ou semi représentatives comme le fait observer Vincent Levrault Enseignant de sciences économiques et sociales chez Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative), la question de la représentation démocratique ne peut exister sans représentation médiatique. Un autre truisme, doit-on admettre, car le même auteur écrit : « les citoyens n’exercent leur pouvoir qu’à travers l’élection ». Ce faisant, « les médias permettent ainsi qu’entre deux élections, les représentés ne disparaissent pas totalement derrière leurs représentants ; la presse maintient l’existence d’une opinion publique ».
Le travail d’influence des médias ne se limite pas à servir de baromètre pour évaluer les décideurs internes et la perception qu’en ont les publics. Le pays et ses dirigeants ont besoin de s’appuyer sur la presse pour être présents dans la Communication mondiale. La télévision n’y suffit pas. La radio et la Presse (écrite ) non plus. Les réseaux sociaux et ce qu’ils charrient sont aux antipodes de l’Information journalistiquement traitée.
Par ailleurs, tout le monde n’a pas intérêt à reprendre à l’interne les images produites par d’autres pour faire parler de soi par ces mêmes autres, surtout dans ses succès et bonnes pratiques. D’ailleurs, qui le ferait mieux et aussi souvent que les médias nationaux. Sauf pour le diffuseur étranger, à être payé pour faire la propagande de l’Etat-annonceur. Encore que cela finirait par ennuyer et affecter la crédibilité d’un organe diffuseur reconnu coupable de connivence avec des Etats autres, dans le seul but de gagner de l’argent. Les peuples concernés savent faire la différence entre information et communication.
Positionner son pays dans le concert des Nations
Dans un contexte mondial où chacun veut se positionner, il est peu pensable qu’un Etat puisse réduire à quasi rien, ce qui devrait porter sa voix dans le concert des Nations, car c’est sous ce rapport qu’il faut évaluer l’apport des médias du service public dans la gouvernance nationale.
C’est le lieu de faire observer que l’essentiel des informations d’intérêt général qui façonnent les opinions dans le monde est produit par les Agences de Presse. Pour la raison que voilà, il ne doit pas y avoir beaucoup de pays où on ne dispose d’Agence nationale ou assimilée. Les Maghrébins et les anglophones (le Nigeria notamment) ont été les premiers à l’avoir compris dans la région Afrique.
C’est au milieu des années 70, alors que certains Etats avaient bouclé leur première décennie d’indépendance, que les Africains avaient enfin compris que les organes internationaux qui parlaient du continent ne le faisaient que sous le prisme de leur lecture des relations internationales et de l’image déformée d’un continent condamné (et incidemment encouragé) à rester zone de tensions, de famine, de maladies et toujours dans le besoin d’aide.
La riposte a été, sous l’égide de l’Organisation panafricaine (OUA) de lancer une Agence de Presse. La PANA nouvellement portée sur les fonts baptismaux avait besoin des agences nationales pour alimenter son réseau d’informations.
Aujourd’hui encore, les médias et institutions très au fait de l’importance et de la qualité du travail des agences, continuent d’en faire leurs principales sources d‘informations, surtout quand les moyens ne permettent pas d’être présent en permanence sur les théâtres des opérations et rencontres internationales. La raison de cette confiance réside dans la réputation qui accompagne le travail des «grossistes de l’information » : sérieux dans le traitement, rapidité, rigueur, concision et précision dans la narration.
Lorsqu’on vend à plusieurs abonnés, lorsqu’on a la réputation d’être une source sérieuse à laquelle d’autres journalistes peuvent se fier du fait du professionnalisme dont on est crédité, on ne fait pas dans la banalité. Encore moins dans la plate et abusive propagande. Ceux qui attendent la presse dans cet unique rôle travaillent à son affaiblissement et au leur par effet induit.
Là où le FAIT n’est pas travesti
Ceux qui achètent n’ont pas les mêmes orientations, ni les mêmes intérêts. Ils veulent savoir et élaborer la matière première fournie par l’agence, selon leur ligne et politique éditoriales spécifiques.
C’est la conscience de leurs responsabilités dans le traitement du FAIT qui fait des agenciers ce qu’un ancien directeur général de la RTS et tout aussi journaliste respecté appelait « l’autre faune » des médias. En cela Pathé Fall DIEYE mettait l’accent sur ce que sont vraiment les journalistes de l’APS : sobriété, discrétion, sérieux dans le traitement de l’Information. C’est un homme de radio et de télévision qui savait parfaitement, qu’à l’opposé de ce qui se passe dans le monde de l’audiovisuel, les agenciers s’astreignent à ne verser ni dans le vedettariat, ni dans la gymnastique des stars du petit écran.
Tout comme Pathé, il y a Babacar TOURE. Cet autre professionnel, grand connaisseur des Médias, anciennement Président du CNRA, précédemment Président du Groupe Sud Communication et non moins ancien stagiaire (sic) à l’APS a eu des mots encore plus explicites. « C’est à l’APS que l’on trouve les meilleurs journalistes de ce pays ». Parlait-il seulement de la Presse écrite ? Son jugement était d’autant plus de conviction, qu’il n’y avait sur les lieux de ce témoignage, aucun de ceux dont il saluait le professionnalisme. Il était au même moment, à la tête d’un Groupe de Presse ayant différents organes.
Des professionnels toujours sollicités
Les premières années de Sud Hebdo ont notamment été marquées par des chroniques à succès dont notamment celles d’un agencier dont la signature Yamatélé était largement plus connue que les initiales du même auteur à l’APS. Hors de l’Agence, peu de gens pouvaient dire qui était derrière les initiales « MA » pour Mamadou Amath, aujourd’hui membre de la CENA et jusques il y a quelques années, dans la Communication de la CEDEAO, à Abuja.
Les Espagnols ne s’y sont pas trompés quand ils ont voulu avoir un correspondant basé à Dakar pour couvrir le Sénégal et d’autres pays africains. Saliou TRAORE fait l’affaire depuis plus de deux décennies pour l’Agence EFE. A l’APS, il était réduit à « ST ».
Abdou Gningue successivement reporter, Rédacteur en chef et Directeur général de l’APS, a été choisi par l’Américaine Associated Press (AP), et cela bien avant ses fonctions administratives à l’Agence nationale. La liste est loin d’être close, quand on n’a pas cité Souleymane GUEYE (actuellement à la Pana). Madieng Seck devint chef du Bureau Régional Afrique de l’Ouest de l’Agence SYFIA (Système francophone d’Informations agricoles) Cheikh T. Ndiaye est actuellement formateur au CESTI, Oumar Abdourahmane FAYE et Oumar DIENG respectivement identifiés OAF et OD ont contribué à propulser Apanews.net (continentale) au rang d‘Agence au service de l’Information sur une Afrique capable de lever la tête. Ces deux Oumar font partie des ces anciens correspondants-chefs de bureaux régionaux. Ils ont été précédés sur le terrain par une génération d’hommes et de femmes dévoués à la tâche, faisant le tour de leurs zones d’affection, parfois sans aucun moyen de déplacement affecté par l’employeur mais toujours disponibles pour ouvrir l’intérieur du Sénégal au reste du monde, à travers leurs productions journalistiques sur les productions agricoles, pastorales et halieutiques mais aussi sur les périodes de détresse et les épisodes de crispations entre communautés. Sans oublier leur participation à l’expression des diversités culturelles locales. Gouverneurs, Préfets, Sous Préfets, élus locaux et structures d’encadrement n’avaient que l’APS pour rapporter leurs apports au développement du pays. Et cette période a duré des décennies avant l’avènement d’antennes locales de radios, outre quelques stations de la RTS.
L’’initiative lancée récemment par Mamadou Koumé, ancien Directeur général, a réveillé les anciens de la maison, après la mobilisation de toute la presse, la semaine dernière. Il le fallait bien. Aucun parmi les signataires de la Lettre de soutien et de solidarité avec les collègues de Bamba Kassé qui se battent aujourd’hui pour sauver l’APS, n’avait reçu de formation d’agencier au CESTI dont ils sont quasi tous diplômés. La formation d’agencier « sur le tas » après une formation journalistique généraliste à l’Institut dédié (UCAD) a été rendue plus facile par ce qu’on se faisait raconter sur le passage à la maison APS de personnalités qui sont par la suite allées monnayer leur talent ailleurs.
Parmi ces personnalités et plumes respectées, il y avait feus Bara DIOUF plus tard PDG de la société éditrice du quotidien Le Soleil, Mame Less DIA, fondateur du « Politicien », premier journal satirique du Sénégal, après avoir été Rédacteur en chef de l’APS, Alcino DACOSTA qui atterrit à la direction de la Communication de l’Unesco à Paris, Ciré Thiam devenu Consul du Sénégal au Brésil, Mamadou Seyni Mbengue et Aly Dioum tous deux successivement, ambassadeur en Chine, Henry Mendy Directeur régional de l’Agence britannique Reuters, à Abidjan..
Formés discrètement dans la douleur du texte non retenu
On en laisse forcément, même quand on aura fini de parler de Mademba Ndiaye (aujourd’hui Banque Mondiale), Alpha Abdallah SALL ancien Secrétaire général du Synpics, Ibrahima Niane aussi à l’aise en arabe qu’en français dans le traitement de l’Information. Et ces autres venus au métier de journaliste après d’autres parcours et dont l’apport est resté inestimable :
Amadou Mactar Wane, ancien Rédacteur en Chef, Souleymane DIOP « Darsié » ancien chef de Desk central, Moustapha SOW, Souleymane « Julaps » Ndiaye, Amadou S. Hagne, Abdoul Djigo, Mbargou DIOP, Khalifa Badiane et ceux qui m’excuseront de n’avoir pu les citer tout au début, mais dont la mémoire plane quelque part encore dans les productions APS. Sur cette liste, Amadou Dieng un des premiers Sénégalais diplômés de l’Ecole de Journalisme de Lille. C’est lui à l’époque directeur de l’APS, qui avait recruté l’auteur de ces lignes. L’APS était l’autre école du Journalisme au Sénégal. On y faisait ses armes dans le presque anonymat, avant de passer s’illustrer ailleurs. On y prenait aussi quelques leçons de vie, quand le très disponible Mamadou Diène faisait preuve de solidarité et de soutien aux jeunes. Ces derniers pouvaient compter sur « grand Diène » pour porter quelques doléances à l’administration. Paix à son âme !
Les plus jeunes à cette époque, avaient trouvé appui professionnel sur un agencier très disponible pour faire à distance, des remarques-corrections sur nos dépêches de débutants. Kader DIOP aujourd’hui membre du Tribunal des Pairs du CORED, ne se privait pas, alors qu’il était à l’Agence France Presse (AFP) d’appeler pour nous recadrer.
Patrimoine immatériel
Peut-on parler de média sans un tour chez ces personnes de l’ombre, hommes et femmes des services techniques, sans qui aucune radio, aucune télévision aucun journal ne peut diffuser le moindre son, la moindre image, la plus simple page ?
Il en est ainsi des Al Fousseyni Seydy, Mamadou Diagne, Niokhor Diouf, Keba Diouf, Cheikh Tidiane Couloubaly « Thiopy », Mame Bouh Kounta etc. Il y a aussi ceux qui, tous les matins, qu’il fasse froid ou qu’ils pleuve, se réveillait avant tout le monde pour faire le toyur de la ville dans le service de « ramassage » des agents. Ces chauffeurs entre autres Amadou Baidy Guèye, Amary Camara, Ameth Dieng, Gougoute Gaye et on en laisse mérietnt qu’on leur tire le chapeau. La maison doit beaucoup leur dévouement, quand le salaire était des plus dérisoires.
L’APS un organe misogyne ? Des femmes de valeur y ont servi et continuent de le faire dans tous les secteurs de la production : elles sont journalistes, informaticiennes, commerciales, relationnistes etc. Salimata Traoré, Maguette Mbengue et Yacine Ndiaye ont vu défiler bien des journalistes qu’elles ont orienté vers la comptabilité pour leur première paie, dans le service dirigé par Cheikh Daouda Diouf.
C’est ce patrimoine immatériel encore très difficilement maintenu en vie, que les nouvelles autorités, sur la lancée de leur prédécesseurs, sont en train d’enfouir parce qu’insuffisamment informées – euphémisme – sur ce qu’est une Agence nationale et sa place dans la communication gouvernementale d’un pays et au-delà.
Les jeunes qui (en jours sans grève) mettent du contenu le fil de l’APS, sont ceux-là qui, quasi dans l’anonymat mais avec beaucoup de professionnalisme et de sacrifices, permettent aux médias de s’alimenter en informations d’intérêt public, sans touche de propagande, ni écarts dans la forme. Les pouvoirs se succèdent depuis quelques années, les difficultés de l’Agence suivent le rythme dans un sens ascendant. Un Sénégal sans Agence de presse Nationale, qui en prendrait la responsabilité devant l’histoire ?
Ceux qui depuis quelques temps se signalent à l’autorité par des grèves perlées ne demandent qu’à préserver un outil de communication nationale où l’information est traitée avec un sens très élevé de la responsabilité. Exactement ce qu’il faut à tout décideur pour comprendre ce cri du cœur, en soutien à la lutte des travailleurs de l’APS. Celle-ci ne doit pas porter sur la seule et fondamentale question des salaires. L’Agence nationale ne peut être laissée en retrait des évolutions technologiques qui impactent toutes offres d’information grand public dans le monde.
Ibrahima BAKHOUM