« L’argent, ah! Maudite engeance, fléau des humains! Il ruine les cités, il chasse les hommes de leurs maisons; maître corrupteur, il pervertit les consciences, leur enseigne des ruses criminelles, les initie à toutes les impiétés. » Sophocle, Antigone
L’univers politique sénégalais est décidément un labyrinthe d’intrigues, de dissimulations et d’autres funestes entreprises. Les révélations sur le processus de confection des listes de la coalition de l’ancien premier ministre Abdoul Mbaye sont d’une gravité extrême dans une démocratie. S’il faut être riche pour avoir le droit de figurer dans une liste à la députation, c’en est fini du mérite, de la légitimité et de l’exemplarité. Il n’y a pas pire service qu’on peut rendre à la démocratie que d’instituer une forme sournoise du suffrage censitaire ! Peu importe donc la probité morale des candidats, car l’éligibilité est tributaire de la capacité financière : ni les principes démocratiques ni la vertu ne sont désormais requis. Combien de militants et de sympathisants méritants sont ainsi sacrifiés sur l’autel de l’argent ?
En plus de consacrer la rupture flagrante du principe d’égalité des citoyens dans un régime démocratique, ce mode d’investiture est une violation des principes élémentaires d’une république. Une république est par essence, un État dans lequel, les institutions n’appartenant à personne, sont communes à tous. Or si la recette d’Abdoul Mbaye prospère cela voudrait dire que les moins nantis seront désormais exclus de la république. Un parti politique, une organisation syndicale ou citoyenne doivent avoir des ressources financières au service de leurs ambitions politiques et de leur vision.
Tout ce qui a un prix est vil en politique, car l’art politique requiert de la noblesse plus que toute autre activité. Si tous les arts étaient corrompus par les vices et la cupidité humaine, c’est à l’art politique que reviendrait la mission de les redresser « Joyanti » ou de les réinventer. Mais quand les médecins qui doivent prodiguer les soins sont eux-mêmes malades dans leur cœur et dans leur esprit, il n’y a plus d’espoir pour remédier aux maux dont souffrent les pauvres patients.
On ne sait pas quelle suite les institutions judiciaires et électorales donneront à cette affaire, mais elle devrait au moins être considérée comme une alerte face à un péril grave pour la survie de la démocratie sénégalaise. Il y a évidemment une anomalie démocratique dans ce pays : quarante sept coalitions dans des joutes électorales pour moins de deux cents députés et pour une population électorale de moins de cinq millions de votants, c’est quand même curieux !
Cette ruée effrénée de tout le monde vers la députation ne traduit pas forcément une vitalité démocratique. Nous pensons au contraire qu’elle exprime de façon cruelle un déficit de VOCATION. La vocation consiste à se sentir utile pour sa communauté, à se découvrir en se perdant (c’est-à-dire son égoïsme) dans les services rendus aux autres comme dirait Gandhi. La vocation est la grande victime d’une démocratie de la roublardise et son linceul s’appelle cupidité. Nous manquons de vocation dans ce pays car toutes nos actions obéissent au calcul, à l’intérêt immédiat et matériel. Il faut que nous apprenions à nous sacrifier pour nos idées et nos valeurs ; il faut que nous ayons la culture du sacerdoce ; il faut que nous acceptions de faire du mérite le principal levier de l’ascension sociale.
Cette floraison de listes électorales est très suspecte : avec le bruit assourdissant des flots du pétrole escompté, il y a des possibilités que des lobbies se cachent derrière des politiciens pour hypothéquer les chances de faire la lumière sur les transactions en cours ou passées. C’est pourquoi le Mouvement citoyen LABEL-Sénégal propose une réforme de notre système électoral et qu’une loi sur le financement des partis politique permette de contrôler la régularité de leurs actions. Cette réforme prendra en compte les données de la géopolitique et exigera des candidats à la députation (et plus généralement à des postes de ministres et de directeurs de société) :
1) de faire valoir une expérience professionnelle ou une exemplarité attestée par une enquête de moralité confiée à des professionnels. On nous rétorquera qu’une telle entreprise demande beaucoup de temps et de moyens humains et matériels, mais la sécurité du pays et son indépendance n’ont pas de prix. Un paysan peut être jugé en fonction de ses productions, un ouvrier par ses pairs, etc.
2) l’élimination systématique du plus fort reste et l’institution de la proportionnelle intégrale. C’est absurde de faire du seul calcul mathématique un tremplin de promotion politique.
3) que les prérogatives de la CENA soient étendues et qu’elle puisse connaître de l’origine licite de la caution versée par les candidats à la présidentielle et par les listes de candidats à la députation. Il y a des soupçons légitimes que certaines listes sont en réalité financées par le régime pour fausser le jeu démocratique ; et c’est proprement inacceptable.
4) restreindre l’acquisition des licences des médias de masse : c’est un grand danger pour la démocratie que quelques citoyens puissent contrôler le paysage audiovisuel. Une radio, un journal, un site en ligne, une télévision et une licence d’opération de téléphonie mobile pour une seule personne, c’est en faire un gourou de la démocratie. Les consciences de nos concitoyens ne doivent pas être abandonnées à des lobbies financiers et médiatiques. Le népotisme et la tyrannie squattent les faiblesses de la démocratie et c’est pourquoi elle doit toujours se remettre en cause pour rester telle.
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
Secrétaire général du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal