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Sur fond d’élections en Catalogne, le Clasico s’annonce plus politique que jamais

Les Ramblas ne désemplissent pas. Le ballet des touristes et des passants qui déambulent sur l’artère emblématique de Barcelone est ininterrompu. Il fait un grand soleil, 15 degrés, le ciel est azur. Tous les dix mètres, des guetteurs vous alpaguent pour vous convaincre d’entrer dans un restaurant, un pub ou d’acheter du cannabis. Les retardataires se pressent vers le Corte Inglés de la Plaça de Catalunya pour les derniers cadeaux du Papá Noël qui pique chaque année des parts de marché aux Reyes Magos (les Rois Mages). Il y a du monde aux terrasses. Une journée comme une autre en apparence.

Pourtant, l’instant est critique, à plus d’un titre. La Catalogne va connaître une partie de son avenir politique, avenir probablement incertain et sombre car la région est devenue une poudrière ingouvernable. A leur une, les journaux nationaux comme El País et El Mundo exposent une litanie de pourcentages abscons sur la situation institutionnelle ainsi qu’une montagnes de chiffres vertigineux (15 000 policiers mobilisés, près d’un demi-million d’électeurs à trouver pour les unionistes et un million d’indécis).

Les quotidiens catalans El Punt AvuiEl Periódico et Ara mobilisent également les électeurs. Bref, on parle plus d’instabilité, de la fin du catalanisme politique, de la lutte de pouvoir entre indépendantistes et unionistes que de systèmes tactiques, de joueurs blessés et de Cristiano Ronaldo qui s’entraîne à part.

 » Le Barça et le Real Madrid sont deux anomalies du franquisme »

Le Clásico de samedi n’a pas encore vraiment débuté et il devra encore patienter. Après les résultats des élections, le cœur de l’Espagne, Catalogne comprise, battra vendredi au rythme du tirage au sort du « Gordo de Navidad » (le gros lot de Noël), cette loterie modèle géant dont les billets sont en vente depuis de nombreux mois et dont le tirage est… chanté par des enfants en direct à la télévision publique.

Vu le contexte, le Clásico revêt une dimension plus que jamais particulière. La Catalogne est complexe et protéiforme. La politique n’est jamais très loin, y compris quand il s’agit de football. « Ce Clásico a beaucoup d’importance car Barcelone et Madrid représentent deux blocs opposés dans les élections en Catalogne », explique David Vega, journaliste au quotidien sportif en catalan L’EsportiuCes considérations politiques ont rejailli depuis bien longtemps sur le football. Interrogé par la revue Libero, le philosophe et journaliste Josep Ramoneda considère que le développement de cette rivalité exacerbée entre le Real Madrid et le Barça s’est constituée pendant la dictature.

« Le Barça et le Real Madrid sont deux anomalies du franquisme. Dans un pays qui n’est pas centralisé comme ailleurs, cette rivalité n’existerait pas. Le franquisme a permis au Real Madrid de devenir une grande équipe qui a très bien su utiliser les institutions de l’État et a permis au Barça de se convertir en une sorte de sélection catalane. A partir de cette confrontation, un jeu s’est formé, a perduré et s’est perverti. Les deux clubs existaient avant ça – le Barça un peu plus que le Real Madrid, mais la rivalité était bien moindre. Ce que distord l’espace footballistique espagnol, c’est cette polarisation. Josep Tarradellas [président de la Generalitat de Catalunya entre 1977 et 1980, NDLR] me l’avait très bien expliqué : le Real Madrid n’était pas l’équipe du régime mais le régime était au service du Real Madrid ».

Une unité effritée

Dans les années 1960, l’écrivain Manuel Vázquez Montalbán a qualifié le Barça d' »armée désarmée de Catalogne« . Qu’en est-il à l’heure actuelle, dans un climat qui a rarement été aussi tendu à tous les niveaux ? « La société catalane est divisée et le club aussi, observe David Vega. Des penyas basées sur le reste du territoire espagnol ont annoncé qu’elles se dissoudraient en cas d’indépendance. On peut être unioniste et supporter du Barça mais le club restera plus proche des indépendantistes qui sont, selon moi, une majorité de la population ».

Actuellement, la logique sportive a pris l’ascendant sur l’aspect symbolique, chez les dirigeants comme au sein du vestiaire culé. En quelques années, la communication a énormément évolué au gré des élections présidentielles. Josep Ramoneda considère que « Laporta était un radical, un militant, un exhibitionniste. Rosell et Bartomeu sont soit plus peureux soit plus prudents. Il ne s’agit plus de familles souverainistes mais de familles économiques. Ils étaient socios mais pas amis. Depuis le début, Rosell a fait le lit de Laporta. Ensuite, on a découvert que c’était un racket économique. Bartomeu est un personnage gris qui assume le catalanisme du Barça seulement parce qu’il ne peut pas dire le contraire. Avant, l’étendard c’était le Barça. Désormais, c’est l’estelada (le drapeau indépendantiste). Au sein du club, il y a suffisamment de personnes des sphères de l’indépendantisme, mais ils ne sont pas comme Laporta. Je dirais que s’ils sont indépendantistes, ils le sont de façon adaptative ».

Un huis clos qui a fait parler

Les prises de position a minima du Barça laisse l’afición dans l’expectative au moment où bon nombre de supporters aimeraient savoir sur quel pied danser. « On voudrait tous que le Barça prenne parti, même s’il doit aussi conserver son équilibre et respecter les façons de penser, constate Francesc Figueras, ancien vice-président de la Penya Blaugrana Paris. Il faut reconnaître que le club laisse les gens s’exprimer au stade, ce qui n’est pas le cas en déplacement car, par exemple, les drapeaux sont contrôlés ». Une fois encore, l’interprétation varie en fonction du prisme que l’on choisit.

Pour David Vega, « José María Bartomeu a été très critiqué par les partis indépendantistes et une large partie de la population quand il a décidé de faire jouer le match contre Las Palmas à huis clos, le 1er octobre dernier ».

Mais, bien qu’elle soit remise en perspective, la notion de « més que un club », la décision n’a pas eu que des détracteurs. « Pour en avoir discuté avec de nombreux amis supporters, nous ne sommes pas tous du même avis, relativise Francesc Figueras. Personnellement, sur ce coup-là, je pense que Bartomeu a bien fait. Le jour du referendum, deux images ont fait le tour du monde : la Guardia Civil qui frappait les gens qui essayaient de voter et le Camp Nou vide. Si le match avait été annulé, il n’y aurait pas eu d’images et les images ont de l’impact sur plus de monde. Finalement, son action a permis d’internationaliser ce qui s’est passé ».

Un million de Vikings

Si, indiscutablement, partout dans le monde, la Catalogne c’est le Barça et le Barça c’est la Catalogne, la situation est différente sur place. Elle est même étonnante. Les Blaugrana sont certes majoritaires mais il ne faut pas croire que toute la Catalogne souhaitera une victoire du Barça samedi.

En raison notamment des flux migratoires qui ont fait de la région une terre d’adoption pour de nombreux Espagnols, le Real Madrid est loin d’être isolé et ce n’est pas uniquement pour le troll que la Casa Blanca a une boutique sur les Ramblas qui expose fièrement une maquette de Santiago-Bernabéu et une réplique de la Ligue des champions. « Même si nous ne sommes pas recensés officiellement, il y a un million de supporters du Real Madrid qui vivent en Catalogne [sur une population d’environ 7 millions de personnes, NLDR]« , affirme Pepe Ribó, président des peñas madridistes de Catalogne.

Pour corroborer ces chiffres, un sondage publié par La Vanguardia dans les années 1980 avait établi que 60% de la population catalane était pour le Barça et 20% pour le rival merengue. « Ce qui nous irrite, poursuit-il, c’est qu’ici on a l’impression que pour être un bon Catalan il faut 1/ être et parler catalan, 2/ être indépendantiste, 3/ être supporter du FC Barcelone et d’aucun autre club, y compris l’Espanyol, et 4/ évidemment regarder TV3 [chaîne favorable à la sécession, NDLR]. Ces pré-requis ne coïncident pas avec la réalité. Moi par exemple, je suis Catalan, je parle catalan, je ne suis pas indépendantiste, je suis pour le Real Madrid et je ne regarde pas TV3. Nous sommes fiers de vivre le madridisme en Catalogne même si ça peut être un problème au travail, dans des entreprises très catalanes. Et avec le thème de l’indépendance, il faut parfois savoir se taire ».

 » Bernabeu sera le porte-voix du bloc unioniste »

Si l’issue du match est incertaine, le vainqueur médiatique du Clásico ne sera pas le camp indépendantiste. Pour David Vega, cela ne fait aucun doute : « Peu importe qui l’emportera samedi : ce match sera le porte-voix du bloc unioniste. Santiago-Bernabéu sera rempli de drapeaux espagnols ». Mais de manière encore plus certaine, quand les répercussions économiques seront connues, on se rendra compte à nouveau que le Real Madrid a besoin du Barça comme le Barça a besoin du Real Madrid.

« Une chose est claire : Il y a un commerce qui repose sur les deux clubs qui sont les principaux actionnaires d’un marché qui l’un sans l’autre ne vaudrait rien, assure Josep Ramoneda. En cela, le Barça est aussi un rempart contre l’indépendance de la Catalogne. Si, à la place de l’article 155 de la Constitution [la mise sous tutelle de la région, NDLR] on menaçait d’exclure le FC Barcelone de la Liga, l’indépendantisme prendrait fin en 24 heures. Ou alors, ça déclencherait une grande révolution ».

Avec Eurosport.fr

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