Par publicité nous entendons ici deux choses : d’abord l’action de vanter un produit afin d’inciter le public à le consommer ou à lui attribuer une valeur positive ; ensuite le caractère de ce qui est rendu public, ordinaire, commun et collectif. Le premier sens (plus commercial) est une technique de manipulation du public : cette publicité est contemporaine à la société de consommation. Notons que dans ce type de société la standardisation est telle que le conformisme tue toute attitude d’indépendance.
Le second sens de la notion de publicité est généralement utilisé par les spécialistes des sciences humaines. Ils tentent, par cette notion, de cerner les différents mécanismes psychosociologiques par les lesquels une attitude, une mode, ou une façon de percevoir est adoptée et reproduite par les masses qu’elle contribue d’ailleurs à façonner. Les deux sens de la notion de publicité ont un dénominateur commun : l’homme perd une partie de sa liberté au profit du public (société) ou du producteur de biens et services.
Comment la société sénégalaise contemporaine adopte-t-elle la publicité et/ou est-elle explorée par celle-ci ? Les droits du citoyen-consommateur sont-ils respectés par les formes de plus en plus provocatrices de la publicité ? La posture des médias de masse (radio et télévision) dans les formes de publicité forme-t-elle ou déforme-t-elle le citoyen dans une démocratie d’opinion comme la nôtre ?
Les « stars » de la télé, et plus particulièrement de la téléréalité, sont devenues aujourd’hui des vecteurs commerciaux de premier ordre. Ces stars lancent directement ou indirectement des modes vestimentaires, des styles, des façons de communiquer, des produits commerciaux et des « éléments de langage » qui permettent davantage de parler que de penser, de paraître que d’être. Dans cette entreprise extrêmement exigeante, elles puisent jusque dans les moindres forces de leur mental et de leur physique pour épater et appâter le public. Personne ne peut sonder à sa juste mesure l’énergie psychique et physique que dépensent les stars des émissions de télévision en général et de la téléréalité en particulier.
Leur vie de famille, leur vie de couple, leur originalité, etc. : tout est sacrifié pour plaire au public, pour faire exploser l’audience ou l’audimétrie. Si à France-Telecom on se plaint du taux élevé de suicides, chez nous les conséquences de ce dévouement obsessionnel à la télé ne sont pas encore cernées. Mais on commence déjà à parler d’histoire de maraboutage par-ci et de folie par-là : l’inauthenticité, la coquetterie et la cocasserie à tout prix ont un coût parfois très élevé. Les hommes et femmes de téléréalité souffrent, car il leur faut toujours inventer, improviser, appâter son public, sans être ridicule : ils finissent par être otages de la célébrité.
Le côté purement humain de l’homme est perdu car l’artificiel chasse le naturel jusque dans les ultimes recoins de la personnalité de l’individu. Patrick Sébastien animateur du « plus grand cabaret du monde », a qualifié la téléréalité de branche voisine de la prostitution : « Ce que je déplore dans la téléréalité, dit-il, c’est l’exemplarité. A quoi ça sert de faire des études, puisqu’en étant inculte, on peut gagner beaucoup plus d’argent et beaucoup plus vite ? ».
Même si la sentence est trop sévère, on doit admettre que quand regarde de près les émissions comme « Sen-petit Gallé », et toutes les émissions qui prétendent cultiver l’émulation chez les jeunes, on ne peut que regretter l’omniprésence du mercantile et sa suprématie sur l’intellectuel et le réflexif. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’imitation est la règle fondamentale de telles émissions : on fait tout pour standardiser les pensées et les actes, on fait tout pour infantiliser le peuple en le distrayant toujours davantage. On occupant le cerveau du citoyen de telles futilités on l’empêche de prendre conscience des vrais défis et des enjeux politiques et économiques cruciaux du moment.
Les célébrités font office de trame des séries télévisées et des feuilletons : Viviane, Wally Seck, Balla Gaye, Sa Thiès, etc. constituent désormais le décor de scenarii vides de sens. Des femmes sexy mais dépourvues de culture générale sont également utilisées dans ces productions pour occulter l’absence de contenu. Autrement dit, le creux est passablement comblé par la prestance scénique d’icones de la lutte ou du showbiz. L’astuce est toujours la course effrénée vers le plaisir et l’émotionnel. Une société dans laquelle l’émotion est reine est évidemment plus facile à manipuler. La logique qui sous-tend cette abondance du spectacle et de la sensualité dans les télévisions est la suivante : confiez-nous votre plaisir et nous ferons de vous des automates pour que votre liberté ne nuise pas à l’ordre économique et social.
Si l’obscénité ne devient pas elle-même scène, elle en constitue la substance. La télé perd ainsi son professionnalisme et devient un espace où la mode est l’essentiel. Dans certains cas, les animateurs qui n’pont pas de « sponsors vestimentaires » sont extrêmement exposés : car ce n’est pas très intéressant d’apparaitre à la télé avec des aspects ordinaires. Le scénique prend le dessus sur la réalité et sur le sens ; les capacités d’imitation sont survalorisées au détriment des capacités de créativité. Et c’est ainsi qu’on perpétue une société de CONSOMMATEURS. Les maîtres du divertissement régulent désormais tous les secteurs de la vie sociale, y compris la politique. Le transfert de sympathie produit ici un détournement de légitimité : de la légitimité artistique à la légitimité politique en passant par la popularité médiatique.
La télé qui excelle dans cette course frénétique du contrôle du plaisir, et par ricochet, de la conscience du citoyen, est celle de Youssou Ndour. Il faut remarquer d’ailleurs qu’à l’exception des femmes, cette télé n’a presque pas formé de grands hommes de média. A GFM on recrute des produits finis et déjà rodés, parce qu’on a compris que la fidélité aux stars de la télé occulte toutes les autres tares. Les Sénégalais ne se rendent pas compte que ce groupe de presse a réussi à phagocyter tous les autres groupes de presse et ce, non par la qualité de ses émissions, mais par une stratégie d’agglutination des différentes stars de radio et télé de la place. Le débauchage industriel auquel s’adonne ce groupe de presse est révélateur d’un stratagème que trahit le credo « miroir du Sénégal » : derrière ce credo il y a un désir sournois de monopole. Quand un média a la prétention d’être le miroir du Sénégal, c’est peut-être un jeu de mots qui cache une grande duperie : il cherche en réalité à faire du Sénégal son propre miroir.
Après s’être imposées comme de vrais apôtres de la divinité qui s’appelle Célébrité, certaines stars de la télé (journalistes, animateurs, et présentateurs) sont devenues de véritables directeurs de conscience. Le culte du plaisir a ainsi des millions d’adeptes, car regarder la télévision est, à défaut d’être une religion, devenue une culture définitivement ancrée dans nos mœurs. Ceux qui connaissent le mécanisme de conditionnement du plaisir et les subtilités par lesquelles la société organise une pénurie du plaisir pour contrôler les consciences savent combien la quête du plaisir est importante. Il y a une industrie du plaisir qui est en train non seulement de déposséder le Sénégalais, mais de l’exposer à des périls incommensurables. L’intimité est désormais exposée à la télévision par l’entremise de la valorisation outrancière et dévergondée de la beauté féminine. Les secrets conjugaux sont investis par la publicité du genre « il n’y pas de tabou ».
Des raconteurs de curieuses histoires de famille ou de couple ont même l’outrecuidance de sermonner les enseignants en n’ayant d’autres arguments que leur statut d’icône de platitudes télévisuelles. On monte des histoires de toutes pièces comme le font les parents qui racontent des contes à leur progéniture pour faciliter ou précipiter leur sommeil. Quand la télévision prétend incarner le rôle de médiateur de couple c’est qu’elle joue au sapeur pompier pyromane. Un personnage qui fait ce type d’émission n’a pas hésité à prétendre, en direct à la télé, qu’il fait du social ! Que font ces millions d’anonymes qui aident leurs parents, soutiennent des femmes et des enfants défavorisés ? Voilà comment la télévision permet d’instaurer le règne de l’imposture !
Quant à la publicité commerciale, elle est en train de faire la promotion de l’imposture dans tous les domaines. On joue même avec la santé de nos concitoyens : des produits de tout genre passent sans tabou dans des émissions publicitaires du genre « taabalou yaye Ngoné ». Une pratique sauvage et ouvertement mensongère de la publicité tourmente les femmes avec des promesses d’une beauté inaltérable ou d’une jouissance sexuelle au-delà du naturel. Exploitant sans gêne la misère sexuelle et le fantasme amoureux des femmes très souvent anxieuses dans une société comme la nôtre, on vend un plaisir chimérique.
Comment, peut-on, sans prendre les précautions et indications relatives à la limite d’âge requise, parler un langage aussi scabreux que celui-ci : « ki moom dangakoy diw sa alladji dikko mar » ? Un langage aussi ordurier passe tous les jours à la télévision sans que l’organisme chargé de réguler l’audiovisuel ne lève le plus petit doigt en signe de protestation. La légèreté avec laquelle les autorités gèrent les publicités de ce genre est scandaleuse : des tradi-praticiens en tout prétendent fabriquer on ne sait dans quelles conditions des poudres et des crèmes qui soignent tout ! Qui a homologué ces produits ? Les producteurs de telles alchimies connaissent-ils les impacts sur le plan de la santé des substances chimiques qui composent leurs produits ? Quels en sont les effets secondaires ?
Que dire de la publicité des personnes physiques ? Quand la publicité est infectée du virus du « griotisme » et du « Sambay Mbayaane », la tartufferie est désormais la règle de vie ; l’ostentation le style de vie ; et la morale qui régule tout cela a pour « valeurs » : la fausseté, l’infidélité, l’envie et la tricherie. Le port vestimentaire à la télé est déterminé par le marché (un sponsoring sous le mode du WOYAANE) et tant pis pour nos bonnes mœurs, car la vulgarité et l’obscénité deviennent normales. La pratique du « door » est devenue monnaie courante et inutile de préciser que les accointances entre le « door » et la politique menacent la démocratie et surtout l’excellence. Il suffit d’être prodigue envers ces « quarens quam devorat[1] » pour être imposé aux Sénégalais comme « kou yalla baakhal ».
Alassane K. KITANE, professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès