Macky Sall, maître dans l’art de l’autoglorification, confond souvent image et réalité, communication et faits réels. Après avoir lancé les travaux de son TER (train express régional) il s’est envolé pour la France où il va jouer le dernier chapitre d’une tragédie politico-économique dont les conséquences pour les générations futures sont incommensurables.
Alors que les travaux de l’autoroute à péage sont en cours et que l’aéroport de Diass est enveloppé dans un épais nuage d’incertitude et de risques, notre Président dont toute l’activité consiste à « ruminer » du Wade se lance hasardeusement dans la construction d’un TER. Macky veut coute que coute faire oublier les grandes réalisations de Wade dans le domaine des infrastructures.
Alors que SenBus industrie et SenIran auto sont confrontés à des problèmes d’écoulement, notre Président se lance dans un programme dont le coût, l’entretien et la rentabilité sont plus problématiques. Il n’est guère préoccupé (c’est à se demander s’il en est suffisamment informé) par les difficultés des entreprises locales, au moment où Hollande lui n’agit et ne s’intéresse au Sénégal que pour le bien être de l’économie française.
A la place d’un TER, un gouvernement suffisamment conscient des enjeux d’un transfert de technologie aurait parachevé le processus de développement des usines de montage de véhicules déjà installées au Sénégal. La négociation d’autres contrats ou l’investissement conséquent pour passer de la phase de montage à celle de fabrication industrielle de voitures (quitte à acheter un brevet) auraient été plus rentables à long terme pour notre pays.
Alors que la Casamance est presque coupée du reste du Sénégal par des problèmes récurrents de route et de panne de bateaux, la bonne option aurait été de faire une deuxième route selon les normes internationales (à défaut d’une autoroute) pour contourner la Gambie, car ce pont toujours chimérique ne saurait être une assurance à 100%. Le Sénégal n’a pas les moyens de se lancer dans un gigantisme de cette nature, car il a des priorités vitales ailleurs.
L’état des routes du Sénégal est absolument incompatible avec la moindre émergence : quand des Sénégalais du nord ont des difficultés pour se rendre vers le sud et le sud-est, c’est faire preuve de vision borgne que d’engager la construction d’un TER. Car au moment où les Dakarois de la banlieue et des régions centrales peinent à payer le prix du péage de l’autoroute, c’est utopique de compter sur leur simple désir de luxe pour prendre le TER.
Ce TER devrait juste être utilisé par les passagers qui atterriraient à l’aéroport Blaise Diagne de Diass. Or une fluidification de la circulation sur l’axe concerné et une optimisation du système de péage auraient suffi pour régler le problème. Il semble plus raisonnable d’attendre les premiers résultats du démarrage du trafic aériens dudit aéroport pour envisager une solution aussi coûteuse.
La misère dorée est le pire service qu’un Président pourrait rendre à son peuple : la vraie grandeur d’un homme d’État réside dans sa capacité à faire des difficultés de son peuple une source de sursaut national. C’est dans l’acquisition des sciences et de la technologie que réside le destin de l’Afrique et non dans des dépenses de prestige. Il faut circonscrire les besoins stratégiques du Sénégal dans la sous-région et travailler à les satisfaire dans une synergie régionale au lieu de balbutier de façon si maladroite comme un peuple de gamins.
On nous apprend que le Trésor public français a directement contribué au financement du TER Dakar-Diamniadio pour un montant de 95 millions d’euros (plus de 60 milliards de francs CFA) ! « C’est une option extrêmement rare, selon l’ambassadeur du Sénégal à Paris, Bassirou Sène. La France passe souvent par des entités autonomes pour financer ses partenaires ».
Monsieur l’ambassadeur deux choses expliquent ce vice ou détournement de procédure ! D’abord c’est difficile, voire impossible de mobiliser les structures financières françaises dans des projets dont la viabilité n’est pas dûment établie par leurs services compétents. La deuxième raison est que l’État français n’hésite jamais à faciliter et à accélérer les contrats susceptibles de sauver ou de renflouer ses entreprises en difficulté.
Macky Sall quant à lui en est réduit à être un simple gadget publicitaire d’une entreprise en voie de faillite. Quelle hérésie pour la république ! Notre Président ferait mieux de revoir sa méthode de communication : le discours et les actes d’un chef d’État sont frappés du sceau de la sacralité.
Après l’image d’un Président curieusement drapé dans la tenue d’un général pour soi-disant mesurer l’ampleur des dégâts causés par la panne de l’usine de Keur Momar Sarr et celle tragique d’un Président tenant une arme à la main, on nous impose celle d’un Président entouré, comme un héros commercial, par des travailleurs d’une entreprise étrangère.
Ces images sont absolument puériles et très dangereuses pour la conscience commune : elles contribuent à ancrer dans les consciences l’ascendant psychologique de l’ancienne puissance coloniale sur nous. Un Président iranien est venu au Sénégal inaugurer une usine de montage de véhicules et était fier de montrer l’image un Iran technologique conquérant, mais Macky Sall lui montre l’image d’un Président d’un « petit pays » honoré d’être la convoitise d’un géant sous forme d’une location de consommateurs. Car nous sommes désormais des consommateurs loués aux entreprise françaises.
Les Sénégalais savent-il que la SNCF et la RATP interviendront pour le développement, l’exploitation et la maintenance, dans le cadre du TER, ainsi que pour la création d’un centre de formation (il y a de fortes chances qu’il soit privé) dédié à la mobilité urbaine ?
Cela veut dire en termes clairs que le TER n’est rien d’autre qu’un protectorat économique qui doit impérativement sauver un marché devenu trop étroit. Cela veut dire que la SNCF et la RATP sont simplement invitées à venir s’installer au Sénégal, à y opérer et à exploiter le marché local moyennant un « dédommagement » de la part du Sénégal !
La France est encore payée pour faire de notre pays un supermarché industriel : tout porte à croire que ceux qui ont inventé ce projet sont inspirés par des desseins très suspects. Ce projet comme celui de Diamnadio est une idée extravertie qui perpétue le caractère complètement extraverti de notre économie.
Ce qui se fait à Diamnadio pose d’ailleurs un problème : alors que Dakar étouffe on est en train d’obstruer sa gorge au moment où le reste du pays est un grand désert. Macky Sall prétend que les financements obtenus lors de son voyage en France sont indispensables pour le développement du Sénégal et que les conditions appliquées sont « douces », mais cela montre qu’il n’a qu’une vision borgne du développement de notre pays.
Alassane K. KITANE, professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès, SG de LABEL/ Sénégal.