Au Sénégal, le gouvernement a annoncé, le 10 janvier 2020, que le pays est passé d’un risque de surendettement faible à modéré. Concrètement, qu’est-ce que cela implique ?
Le 30 juin 2019, le ministre sénégalais des Finances et du Budget, Abdoulaye Daouda Diallo, se réjouissait de la « bonne maîtrise de l’économie », affirmant que « sur les 55 pays de l’Union Africaine, le Sénégal fait partie des cinq pays à risque de surendettement faible ».
Début janvier 2020, la Direction générale de la comptabilité publique et du trésor a annoncé qu’en « perspectives du nouveau programme ICPE (instrument de coordination des politiques économiques), les services du Fonds monétaire international (FMI) ont procédé à l’analyse de viabilité de la dette » et « il ressort de cet exercice que le risque de surendettement est passé d’un risque faible à un risque modéré de surendettement statut actuel de l’ensemble des pays de l’UEMOA ».
Le Trésor sénégalais a expliqué que « le ratio de service de la dette/ exports a atteint 22,7 % en 2020 contre un seuil de 21 % », assurant qu’« un retour à un profil de risque faible est projeté pour 2022 ».
Et d’appuyer que « ce caractère temporaire de la dégradation a un impact très limité sur les conditions de financement sur les marchés de capitaux (et que) cette mesure n’entraîne pas de limitation d’endettement, autre que le respect du plafond de financement défini dans la loi de finances ».
Le risque de surendettement c’est quoi ?
Le professeur Babacar Sène, Maître de conférences agrégé en Économie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, explique que « le risque de surendettement matérialise une situation où l’Etat est dans l’incapacité d’honorer ses engagements vis-à-vis des créanciers bilatéraux, multilatéraux, du marché international et régional ». Il indique que le risque de surendettement est apprécié à partir de l’analyse de viabilité ou de soutenabilité de la dette publique.
En d’autres termes, « il s’agit d’analyser la cohérence entre les besoins de financement et la capacité de remboursement actuelle et future. On parle de risque si cette cohérence tend à ne pas être respectée », précise Malick Diop, ingénieur statisticien et économiste à la Division de la comptabilité nationale, des synthèses et études analytiques, une entité de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie.
Diop souligne que « la dette constitue un moyen pour les pays de financer leurs investissements. À cet effet, ils doivent veiller à une bonne gestion de l’endettement pour favoriser une croissance soutenue et inclusive » car « l’accumulation excessive de la dette peut avoir une conséquence pour le développement économique du pays et la viabilité ».
En somme, « dans le cadre de l’analyse de la viabilité de la dette d’un Etat, on parle de risque de surendettement lorsque les indicateurs d’endettement dépassent les seuils indicatifs ou autorisés. Autrement dit, si ce seuil est dépassé, le pays court à un risque de surendettement », résume le journaliste économique Abdou Diaw.
Évaluation du risque de surendettement
Pour apprécier le degré d’endettement, le FMI et la Banque mondiale s’appuient sur des ratios d’endettement que sont : « dette publique sur PIB; valeur actuelle de la dette rapportée aux exportations, au PIB et aux recettes; service de la dette rapporté aux exportations et aux recettes », renseigne Pr Babacar Sène.
Il argue que « l’analyse de ces différents ratios sur l’horizon temporel de 20 ans permet de dégager quatre situations de risque de surendettement selon le FMI et la Banque mondiale ».
En effet, le Fonds monétaire international qui, entre autres prérogatives, analyse la viabilité de la dette des pays dans le monde, énonce quatre catégories de risque de surendettement public.
Premièrement, le risque faible qui suppose que « tous les indicateurs d’endettement sont en deçà des seuils de référence et des seuils des tests de résistance ».
Ensuite, le risque modéré qui illustre une situation dans laquelle, « les indicateurs d’endettement sont inférieurs aux seuils dans le scénario de référence, mais les tests de résistance montrent que les seuils pourraient être dépassés en cas de choc exogène ou de changement brusque de politique macroéconomique ».
Viennent ensuite le risque élevé qui traduit le fait qu’« au moins un des seuils du scénario de référence a été dépassé, mais le pays n’a pas encore de difficultés à rembourser sa dette », et le surendettement qui est évoqué lorsque « le pays éprouve déjà des difficultés à rembourser sa dette, comme en témoigne la présence d’arriérés ; soit la restructuration de sa dette est en cours ou imminente, soit par exemple, les indicateurs de la dette et du service de la dette dépassent de manière considérable les seuils de référence à court terme, et ces dépassements sont élevés ou prolongés ».
« La capacité qu’ont les pays à gérer leur dette dépend de la solidité de leurs politiques et de leurs institutions, de leur performance macroéconomique et de leur capacité à absorber les chocs », signale le FMI.
De risque de surendettement faible à modéré
Pour un pays, plusieurs raisons peuvent être à l’origine du passage d’un risque de surendettement faible à modéré, selon Abdou Diaw. Il énonce notamment l’explosion de l’endettement et une erreur dans l’évaluation du ratio dette sur PIB.
À cela, on peut ajouter « une détérioration du déficit budgétaire de l’Etat par rapport au PIB, la fréquence et l’ampleur des chocs exogènes qui affectent l’économie, l’élargissement du périmètre d’endettement ou un durcissement des conditions d’emprunt sur le marché international », indique le professeur Babacar Sène.
Pour le Sénégal, « les principales raisons de ce changement de risque de surendettement faible à modéré sont liées essentiellement à l’extension du périmètre du champ de la dette du secteur public aux organismes publics (agences, établissements publics, sociétés nationales) », signale à Africa Check Ballé Preira, le coordonnateur de la cellule de communication du ministère sénégalais des Finances et du Budget.
« Adopter une gestion prudente de l’endettement non concessionnel »
Pour Abdou Diaw, la dégradation du profil d’endettement du Sénégal traduit, « en termes clairs, (que) le pays devient exposé et vulnérable s’il n’y a pas un contrôle rigoureux et suivi de son rythme d’endettement ».
« Le pays devrait davantage adopter une gestion prudente de son endettement non concessionnel, c’est-à-dire des prêts extérieurs souscrits aux conditions du marché », préconise, dans la même veine, le professeur Babacar Sène. Il ajoute que le Sénégal devrait aussi recourir davantage au marché financier régional à travers les émissions de titres publics en monnaie locale par adjudication et/ou par syndication. L’Etat devrait également surveiller l’endettement de ses démembrements (agences, sociétés publiques, etc.) car le périmètre de la dette a été élargi, selon Pr Sène.
En outre, le statisticien Malick Diop tempère. Il soutient que « le Sénégal ne présente pas de risque de surendettement mais s’approche d’une zone où les politiques économiques, l’endettement, doivent être contrôlées ».
« En effet, il peut, à la suite, d’un choc présenté un risque de surendettement ce qui se matérialisera par une situation où l’un des seuils fixés par le FMI et la Banque mondiale n’est pas respecté. Cela constitue également un signal pour ceux qui prêtent au pays, sur les risques qu’ils peuvent courir en prêtant au Sénégal », relève-t-il en revanche.
D’après Ballé Preira, de la cellule de communication du ministère des Finances et du Budget, « ce qui pourrait inquiéter, dans le cas du Sénégal, c’est une baisse drastique des exportations, une baisse des recettes fiscales ou un repli prononcé de la croissance. Or, si on évalue le cadre macro-économique actuel et futur sur la période 2019-2023, il s’avère que les projections tablent sur une croissance moyenne de 9 % dont environ 7 % en 2020, croissance sur la base de laquelle le budget 2020 a été bâti ».
Preira fait valoir que cette dégradation du profil d’endettement du Sénégal est temporaire et a un impact très limité sur les conditions de financement sur les marchés de capitaux.
« Il est utile de préciser que cette mesure n’entraîne pas de limitation d’endettement, autre que le respect du plafond de financement défini dans la loi de finances. Également, les accès aux ressources de financement de nos partenaires classiques ne seront pas limités », assure Preira selon qui le Sénégal maintient des ratios d’endettement à des seuils viables et soutenables pour atteindre l’émergence à terme.
(Africa Check)
Recherché par Valdez Onanina