Depuis deux semaines, les affrontements meurtriers se multiplient au centre du Mali. D’abord entre groupes jihadistes, mais aussi et toujours entre milices armées communautaires. Des combats qui ont fait au moins plusieurs dizaines de victimes civiles.
« Combattants jihadistes du Mali, du Sahel, unissons-nous contre l’ennemi commun », a toujours été la devise des groupes islamistes implantés sur le territoire malien. Mais dans la région de Mopti, dans le centre du Mali, le vent a tourné. Les combattants jihadistes locaux du prédicateur radical Amadou Koufa, lié à al-Qaïda, et ceux de l’État Islamique au Grand Sahara (EIGS) s’affrontent depuis plusieurs semaines.
« Les combattants de l’EIGS sont arrivés dans la région de Mopti il y a plusieurs mois. Certains ont été recrutés au Niger et au Burkina Faso », confie un élu de la région de Mopti qui souhaite garder l’anonymat pour des raisons de sécurité. Localement, les partisans d’Abou Walid al-Sahraoui, le leader connu de l’EIGS, ont commencé par recruter avec deux armes redoutables : l’argent et la distribution de motos. Leurs envoyés ont séduit les nouvelles recrues avec un nouveau discours. « Contrairement à ce que font les partisans d’Amadou Koufa, lorsque vous allez au combat, votre butin de guerre vous appartient. Il n’est pas à rendre aux chefs », raconte un ancien élu de la région dont le fils a été, un moment, recruté par l’EIGS.
Conflits fonciers, jihad local
L’une des pommes de discorde entre les deux groupes dans le centre du Mali est liée à la retenue qu’ils font sur les troupeaux de bétails. « L’affaire est simple. Évoquant, selon eux, un principe de l’islam tiré de je ne sais où, ils estiment qu’il leur revient de droit une partie du bétail de chaque citoyen. Certains groupes prennent parfois une vache par troupeau de 40 têtes », explique un autre élu du centre du pays. Les conflits liés à la terre aggravent les différends entre les deux groupes.
L’ancien élu de la région raconte qu’Amadou Koufa impose rigoureusement sa loi à propos de la gestion des pâturages nécessaires à l’alimentation des bêtes. De son côté, et pour faciliter le recrutement de jeunes locaux, l’EIGS décrète la gratuité des pâturages pour les animaux, poursuit cet élu.
S’accusant mutuellement de faire de la surenchère, les groupes ont commencé à se battre. La localité de Dialloubé, située dans le delta intérieur du fleuve Niger dans la région de Mopti, en zone inondée, a abrité l’un des derniers combats entre les désormais frères ennemis. « Il y a eu plusieurs dizaines de morts à Dialloubé, il y a une dizaine de jours », affirme une source sécuritaire locale. Koubi, Djantakaï, Nigua…. Toutes ces localités de la région de Mopti ont enregistré des combats entre jihadistes des deux groupes. Les hommes de Koufa, qui occupent une partie de la zone inondée, demandent le départ de la zone des fidèles d’Abou Walid al-Sahraoui, fraîchement arrivés. Et les victimes sont nombreuses.
Selon plusieurs sources sécuritaires, des populations civiles de la région, sans pouvoir les estimer, ont déjà été obligées de quitter leurs hameaux. La situation sur place pourrait devenir plus difficile encore. « Les fils d’une même région, répartis entre deux groupes jihadistes, vont se détruire. Ils vont pousser les autochtones à choisir. Si rien n’est fait, les conflits les plus sanglants sont à venir », analyse Oumar Diallo, professeur de sociologie dans un institut d’enseignement privé de Bamako, et originaire du centre du Mali.
En pays dogon, les milices armées communautaires continuent de s’affronter
Au-delà de ces combats internes aux groupes jihadistes, les conflits intercommunautaires entre milices armées et civils se poursuivent. Depuis deux semaines, treize attaques ont été recensées par la division des droits de l’homme de la Minusma, la mission de maintien de la paix au Mali. « La situation des droits de l’homme a continué à se détériorer, notamment dans le cercle de Bankass avec l’exécution de vingt personnes de la communauté peule dans la commune de Baye, le 22 mars. Puis, vingt-deux hommes dogons ont été exécutés dans la commune d’Ouonkoro le 28 mars », explique Joanne Adamson, représentante spéciale adjointe de la Minusma.
Plus largement, depuis le début du mois de mars, au moins cinquante-cinq civils seraient décédés suite à des affrontements entre milices communautaires dans la seule région de Mopti, selon la Minusma. « Un cercle vicieux », poursuit la représentante spéciale.
Embargo
Dans le cercle voisin, celui de Koro, dans le village d’Anakila, « il y a des clashs entre les groupes communautaires. Depuis, ce village est clôturé, fermé, sans accès », s’inquiète Joanne Adamson. Ce village est bloqué par une milice engagée dans un cycle de représailles entre groupes armés communautaires qui mène ici à l’embargo.
Dans cette zone du centre du Mali, à Ogossagou, avait eu lieu le plus gros massacre de l’histoire de la région en mars 2019, où au moins 150 civils avaient été tués. Un village de nouveau attaqué un an plus tard, en février 2020.
Rfi.fr