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Contribution

Ordonnance sur le droit du travail, cette parenthèse normative… commentée

Dans ce contexte exceptionnel et inédit où toutes les pendules se sont mises à l’heure de la survie, les mesures palliatives et autres thérapies sont aussi atypiques que dictées par l’urgence. Pourquoi le Pr RAOULT devrait suivre les protocoles habituels pour administrer un médicament qui, s’il n’est pas le plus efficace est une aubaine dans une situation de rareté d’espoir ? Pourquoi, l’activité économique devrait continuer à rouler sur les mêmes paradigmes et selon les mêmes lois ?

L’humain est par nature résilient ; face aux difficultés, il s’adapte ; chacun s’adapte à la mesure de ses possibilités et de ses moyens. L’état d’urgence et la prise d’ordonnance s’inscrivent dans cette dynamique et pour une fois, le Chef de l’Etat a compris la nécessité de jouer prioritairement sur le levier qu’est le travail.

Aménageant des dérogations à certaines dispositions du Code du travail, l’ordonnance No 01-2020 du 8 avril 2020 est une parenthèse normative qui poursuit trois objectifs : la sauvegarde de l’emploi, le maintien des moyens de subsistance et la survie du dialogue social au sein de l’entreprise. Et pour y parvenir, la posture de l’Etat est, pour le moins, courageuse.

Cette parenthèse normative…

D’abord sur la parenthèse, il faut comprendre, comme le précise l’article 5 de l’ordonnance, que les mesures prises dans le contexte de la pandémie n’iront pas au-delà ; comme quand on prescrit une ordonnance médicale à un patient qui devra, après la maladie, reprendre une vie normale sans prise de gélules.

Ainsi, on peut s’assurer que le droit du travail reprendra une vie normale à la fin de la pandémie ou du moins de la période couverte par l’habilitation. Mais compter ses effets à partir de la date de la prise d’ordonnance (8 avril 2020) ne ferait qu’acter une inégalité des chances entre ce travailleur qui, bien avant, a perdu son emploi et celui qui, suivant le plus grand hasard l’a perdu que très récemment. Notons que les premières mesures d’arrêt de certaines activités économique remontent au 15 mars 2020. Et pour faire justice, les dispositions de l’ordonnance rétroagiront jusqu’au 14 mars 2020.

  1. La sauvegarde de l’emploi

Désormais et pour la période de l’habilitation, en dehors de la faute lourde, aucun autre motif ne peut être avancé pour licencier un travailleur ; quand bien même ce motif l’aurait justifié en temps normal. Cette mesure a pour conséquence :

  • la suspension totale de l’application de l’article L60 qui permettait d’invoquer le motif économique pour licencier des travailleurs. Bien évidemment, cette procédure serait la plus prisée et, peut-être, enregistrerait une plus grande saignée. Qui, encore, peut douter du sacré pétrin dans lequel cette pandémie va plonger l’économie – certains secteurs plus que d’autres – dans son ensemble ;
  • la suspension, en partie, de l’article L49 alinéa 2 qui, dans un contrat à durée indéterminée, donne à toutes les parties la possibilité de rompre le lien contractuel. Cette disposition bien qu’elle s’adresse aux deux parties ne semble pas opérer pour le travailleur au sens de l’ordonnance car c’est le licenciement qui est visé ;
  • la suspension partielle de l’article L.214 qui oblige l’employeur à requérir l’autorisation préalable de l’Inspecteur du Travail et de la Sécurité sociale avant tout licenciement de délégué du personnel. Toutefois, l’employeur doit demander l’autorisation de l’Inspecteur pour licencier un délégué du personnel qui commet une faute lourde.
  1. Le maintien des moyens de subsistance

L’exclusion du licenciement orientera vers les autres mesures thérapeutiques qui ont toujours existé. Les entreprises, en dehors de la pandémie, connaissent des difficultés parfois conjoncturelles. Ainsi, le chômage technique peut être décidé par un employeur dont l’activité de l’entreprise traverse « une mauvaise passe »[1]

Cette disposition de l’article L65 qu’on juge laconique – à raison – dans son application pose surtout le problème d’une œuvre règlementaire inachevée car le droit négocié devait prendre le relai. Mais le constat est que les partenaires sociaux n’ont pas joué le jeu. De ce fait, sa procédure était simplement consultative : information de l’Inspecteur du Travail, consultation des délégués du personnel, absence d’obligation de maintenir une partie du salaire.

Dans la parenthèse, l’employeur qui en fait recours doit maintenir une rémunération qui ne peut être inférieure à 70% du salaire net moyen des trois derniers mois d’activité sans que le montant soit inférieur au SMIG. Sa durée ne doit pas excéder la parenthèse.

  1. La survie du dialogue social

On assiste à un cocktail composé des dispositions de l’article L61 et L65 du code du travail. Le chômage technique emprunte au licenciement pour motif économique sa procédure. Désormais, l’employeur qui entend recourir au chômage technique a l’obligation de consulter les représentants du personnel aux fins de rechercher avec ces derniers des solutions alternatives. Mais, des solutions « mixées » car, à coté, de la réduction des heures de travail, du travail par roulement, du chômage partiel ou du redéploiement du personnel figure en bonne place l’anticipation des congés.

Les solutions alternatives ne sont pas exhaustives, le télétravail qui n’est pas en déphasage avec le droit du travail sénégalais est en train de faire ses premières expériences. Un outil qui sera, à coup sûr, utilisé dans le grand chantier de la prochaine réforme de la législation du travail sénégalaise. Rester chez soi à travailler empêche de faire un usage hasardeux du très précautionneux droit de retrait prévu dans le décret n° 2006-1261 du 15 novembre 2006 fixant les mesures générales d’hygiène et de sécurité dans les établissements de toute nature.

C’est en toute conscience de la délicatesse de la situation de l’économie que cette ordonnance a été prescrite. Alors, autant ne pas le dire parce qu’on le sait, le sacrifice qui est demandé aux chefs d’entreprise est énorme. Mais on en attend pas moins. Mieux, on devrait s’attendre à ce que dans le grand sacrifice national chacun, aussi stoïque que digne, en supporte la part qui lui revient.

Quand les mesures d’accompagnement arrêtées par l’Etat devront suivre, la nation se rappellera de ceux qui ont essayé de tenir. Parmi ceux-là, il y en a qui étaient déjà à la rue avant la pandémie qui devront se montrer assez imaginatifs au risque de périr, d’autres en profiteront pour se défiler mais aucune thérapie n’est facile. Il faut parfois se faire aider – par la contrainte – pour que la pilule qui fait du bien soit ingurgitée.

Et devant l’urgence, l’Inspection du Travail et le Tribunal du travail doivent s’organiser et donner à leurs actions plus d’envergure et de rythme pour ne laisser aucune place au dilatoire et à l’abus de droit.

Finalement, le droit du travail ne peut recouvrer sa vertu que quand il se met au service de l’économie, dans un élan de redistribution entre acteurs. Le droit en soi est un outil dont il faut savoir faire usage pour calibrer les   comportements sociaux et les rendre compatibles au bien-être collectif.

Alioune FALL

Juriste, Inspecteur du Travail et de la Sécurité sociale

[1] Voir les causes du chômage technique (article L65)

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