Il y a un débat intéressant sur les conséquences de la pandémie du covid 19 sur l’Afrique, lancé par des fonctionnaires, des intellectuels occidentaux et africains. Je m’en réjouis. En effet, si de manière théorique, la pandémie doit évoluer en Afrique comme en Italie ou à New York par exemple, on peut conclure facilement que, vu l’état du système de santé, ce sera la catastrophe. Ensuite, une révolte des populations s’en suivra qui pourra entraîner l’effondrement des Etats fragiles. Tel est le raisonnement des fonctionnaires du ministère des affaires étrangères de la France qui ont produit une note diplomatique largement diffusée dans les réseaux sociaux intitulée, l’effet Pangolin : la tempête qui vient en Afrique ?
Beaucoup de mes compatriotes ont manifesté leur indignation. Pour ma part, il n’y a rien de choquant, ils font leur travail, froidement comme le veut l’esprit scientifique. C’est bien normal. Ce scénario est possible. Que les français cherchent alors dans cette hypothèse quelles cartes à jouer pour garder leur influence, so what ? Rien de nouveau. Que des prédateurs disparaissent de la scène politique, tant mieux.
D’abord, observons qu’il y a un autre scénario possible. La population africaine étant jeune, 75% ont moins de 35 ans, et des mesures de distanciation sociale, confinement partiel, couvre-feu et d’adoption des gestes barrières ayant été prises, il est possible que la pandémie soit freinée.
Si en outre, ce que je crois, nous adoptons le protocole du Professeur Moussa Seydi de l’hôpital de Fann de Dakar basé sur la quinine et la généralisation du port des masques, la pandémie pourra être contenue à un niveau bien inférieur au résultat obtenu par les fonctionnaires du Quai d’Orsay.
Cependant, ce coronavirus, dénommé SARS Cov2, comme pour dire que c’est le second d’une longue série, en envoyant un séisme économique et sanitaire dans le monde des Etats, met en évidence les déséquilibres et les problèmes nés de la nouvelle séquence de la mondialisation ouverte avec la révolution du numérique. On le sent, le monde peut être différent quand on viendra à bout de la pandémie du covid 19. Les germes du nouveau monde sont déjà là et c’est à nous de les lire. Il faut tirer les leçons de la pandémie née du coronavirus. Je vous en propose neuf.
Leçon 1. J’ai soutenu deux thèses sur l’Afrique, elle est l’enjeu du monde en ce siècle et la question de savoir si les Africains sauveront-ils l’Afrique est une question posée et à résoudre.
Leçon 2. Il ne sert à rien de pleurnicher sur un complot des vaccins ou une France qui reste coloniale. Le monde a besoin des ressources de l’Afrique qui peut être, après la Chine, le prochain atelier du monde. Pour cela, ses élites doivent accepter et diffuser dans la culture, l’esprit scientifique et la recherche de l’efficacité. C’est ici tout le sens du gouvernement continental rejeté en 2005 en Lybie qui proposait des ministères africains pour la santé publique, la recherche scientifique et les négociations commerciales.
Leçon 3. Le coronavirus met de l’ordre dans la priorité des neuf besoins fondamentaux dont la satisfaction est l’objet de l’économie que je classe en trois groupes : l’alimentation, la santé, le logement, la sécurité individuelle et collective (groupe 1), la reproduction, l’éducation (groupe 2), le transport, l’habillement, le loisir (groupe 3). Force est de reconnaître que le coronavirus filtre les biens premiers définis par Rawls. On peut comme Moustapha Kassé convoquer si on veut les théoriciens de la croissance endogène pour indiquer la priorité qu’il faut accorder au capital humain, santé et éducation. Mais le coronavirus de manière pratique en confinant 3 à 5 milliards d’individus, y compris les Etats Unis et la Chine, les deux candidats au centre de l’économie monde, indique que pour la survie de l’espèce humaine, le groupe 1 est prioritaire.
Le Président Macron de France en écho du virus dit bien que ce serait une folie de laisser les autres s’occuper de l’alimentation, de la santé et de la sécurité de la France. Alors il faut relativiser la thèse du Président Xi Jing Ping de Chine à l’effet de dire que l’Afrique est dans une phase préindustrielle d’accumulation du capital technique limité aux infrastructures.
Que ces orientations ainsi rappelées puissent servir les responsables de l’économie en cette période d’incertitude. En effet, le recentrage du groupe 3 vers le groupe 1 de la politique économique est devenu critique. Le coronavirus pousse à la transformation locale des ressources minérales basée sur le patriotisme économique. Déjà des africains talentueux inventent des respirateurs, des gels hydro-alcooliques, des machines à laver pour soulager les femmes. Notre talent va donc bien au-delà du sport et de la musique.
Leçon 4. Des cinq types de capitaux, capital institutionnel, capital humain, capital naturel, capital technique, capital intellectuel, le covid19 établit aussi une hiérarchie. Les règles sociales et les institutions mises en place pour les respecter constituent le capital décisif, le capital institutionnel. L’accent mis sur l’accumulation de capital technique consomme plus de capital naturel qu’il n’est nécessaire et accroît les inégalités dans une économie capitaliste. La pandémie illustre bien qu’il faut un solide capital institutionnel pour traiter du capital humain, de la santé en particulier.
Leçon 5. Le capitalisme planifié de la Chine est en compétition avec le capitalisme libéral de l’Occident qui apris le dessus sur le capitalisme social démocrate encore présent en Europe de Nord. A l’évidence, la proposition de Fukayama ; démocratie plus économie de marché donne le développement et la paix ne fonctionne pas. Irak, Lybie, Syrie, Somalie, Sud Soudan ne connaissent ni la paix, ni le développement. La tragédie des migrants montre qu’on ne peut pas avoir une mobilité du capital, des biens et services et des idées à l’échelle du monde sans la mobilité du travail. Le capitalisme mondialisé bute sur ce que Samir Amin appelle « la loi de la valeur ».
Leçon 6 Les inégalités de patrimoine et de revenus à l’intérieur des Etats provoqués par la mondialisation et les politiques économiques du consensus de Washington ont entraîné une inégalité des travailleurs, entre les nomades mondialisés et les sédentaires selon la formule de Pierre Noël Giraud. Les privilégiés du système, en général les nomades, sont au « télé travail » et les autres au travail sur le terrain ou au chômage. Curieusement, ce sont les nomades au départ qui ont fait voyager le virus vers les sédentaires.
Leçon 7 Face au choc simultané sur l’offre et la demande mondiale qui s’est répercuté sur les secteurs pétrolier et financier, il est à craindre demain une destruction de capital technique pour laisser la place à la création selon le mécanisme décrit parSchumpeter rappelé par Dominique Strauss Kahn, à l’industrie du big data et la robotisation.
Leçon 8 Crise du savoir, le monde patauge devant le remède face à la maladie. Crise de l’avoir, il peine à mobiliser 30 milliards de dollars pour trouver un vaccin selon Jacques Attali. Crise du pouvoir, les Etats pris de panique, hésitent et tâtonnent tandis que les banques centrales font fonctionner la planche à billets pour plus de 10 000 milliards de dollars foulant au pied les règles sur le déficit budgétaire ou le ciblage de l’inflation sans empêcher ce qui se dessine, récession, hausse des prix et chômage.
Leçon 9. Demain la nécessité de partager le savoir, l’avoir et le pouvoir adossée à des valeurs ; de courage patriotique, connaissance et respect de la loi, sens de la responsabilité, respect de la femme et sens de la grandeur, s’impose pour un monde qui donne plus de valeur aux relations humaines. C’est ce que j’ai appelé déjà le responsabilisme. Nous ferons face à l’effet Pangolin. L’Afrique plastique peut plier, elle ne rompt pas. Elle se doit d’engager courageusement dans la solidarité une révolution de type copernicienne. Faisons confiance à nous-mêmes d’abord. Commençons par s’attaquer aux flux financiers illicites de 50 à 60 milliards de dollars qui quittent l’Afrique chaque année et mis en évidence par le groupe du Président Thabo Mbeki. Il suffit de 5% de la force de travail, acceptant l’esprit scientifique, la recherche de l’efficacité et le patriotisme économique pour transformer structurellement les économies africaines.
Dakar le 20 avril 2020
Mamadou Lamine Diallo
Député à l’Assemblée Nationale du Sénégal
Président de la Commission Aménagement du territoire, de l’Urbanisme, de l’Habitat, des Infrastructures et des Transports