Par le hasard de l’actualité et la nécessité de la science juridique, notre contribution s’aventure, avec délicatesse, dans le factuel de la Politique. En effet, les paisibles citoyens sont, constamment, importunés par les » cours médiatiques » sur le droit constitutionnel et, le plus souvent, angoissés par les interprétations profanes des textes et jurisprudences constitutionnels. Autant de considérations qui motivent notre présente réflexion sur les immunités parlementaires.
Par définition, les immunités désignent les privilèges juridiques dont bénéficie le parlementaire ; elles lui assurent le libre exercice de ses fonctions. A ce sujet, les dispositions de l’article 61 de la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001, modifiée, sont très illustratives : « Aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. Aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté, en matière criminelle ou correctionnelle, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale. Le membre de l’Assemblée nationale ne peut, hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation de l’Assemblée, sauf en cas de crime ou délit flagrant, tel que prévu par l’alinéa précédent ou de condamnation pénale définitive. La poursuite d’un membre de l’Assemblée nationale ou sa détention du fait de cette poursuite est suspendue si l’Assemblée le requiert. Le membre de l’Assemblée nationale qui fait l’objet d’une condamnation pénale définitive est radié de la liste des députés sur demande du Ministre de la Justice ». Dans la Loi organique n° 2002-20 du 15 mai 2002 portant Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, modifiée, l’article 51 en est son pendant parfait.
Tout bien considéré, cela donne de distinguer le régime juridique de l’irresponsabilité de celui de l’inviolabilité.
A l’analyse, le principe de l’irresponsabilité est de mettre le parlementaire à l’abri des poursuites civiles ou pénales « à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ». Elle est à la fois absolue et perpétuelle s’agissant des opinions ou votes émis dans l’exercice des fonctions parlementaires. Non seulement, elle couvre toutes les poursuites pénales et civiles contre les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions mais aussi, dans les mêmes conditions, l’irresponsabilité peut être invoquée même après que le mandat a cessé d’être exercé.
A propos de l’inviolabilité, il y a lieu de noter que c’est « une immunité de procédure garantissant le parlementaire, pris en sa qualité d’individu, contre des poursuites pénales considérées comme abusives ou vexatoires intentées contre lui en raison des faits étrangers à l’exercice de ses fonctions. Cette immunité individuelle vise donc à retarder le déroulement de l’action publique, non à y soustraire le parlementaire ». Elle ne joue qu’à l’égard « des poursuites pénales pour les crimes et délits », à l’exception des contraventions (exempte de privation de liberté) ; et ne met pas le député à l’abri des poursuites civiles. L’inviolabilité n’est pas absolue ; elle peut être levée pendant les sessions parlementaires par l’Assemblée ou en dehors des sessions par le Bureau de l’Assemblée.
Lorsqu’un député déclaré définitivement élu a commis une infraction pour laquelle il n’a pas été poursuivi ou arrêté, la levée de l’immunité parlementaire est nécessaire pour qu’il soit jugé. En ce sens, l’Assemblée nationale ou, hors session son Bureau, « dispose de toute latitude pour décider, souverainement : 1°) d’autoriser la poursuite contre un député concerné en procédant à la levée de son immunité parlementaire ; 2°) de rejeter la demande de levée de l’immunité parlementaire.
En tout état de cause, l’immunité ne saurait prospérer en cas de flagrant délit. D’ailleurs, la confirmation transparait dans l’arrêt N° ECW-CCJ-JUD-08-15 du 24 avril 2015 concernant l’affaire Kpatcha Gnassingbé c. République Togolaise. En l’espèce, la Cour de Justice de la CEDEAO s’en est pleinement expliquée en considérant « qu’il n’y pas de violation du fait que c’est la procédure de flagrant délit qui a été utilisée par la Juridiction nationale en vertu des dispositions constitutionnelles de l’Etat Défendeur ».
A partir de ce moment, une question mériterait d’être posée : quand faut-il lever ou non l’immunité d’un parlementaire ? Dans l’Arrêt n° 001/CC/MC du 21 mars 2017, trois hypothèses abondent le raisonnement de la Cour constitutionnelle nigérienne.
D’abord, lorsqu’un député déclaré élu a commis une infraction pour laquelle il n’avait pas été poursuivi ou arrêté avant l’intervention de l’arrêt portant proclamation définitive des résultats des élections législatives, la levée de l’immunité est nécessaire pour qu’il soit jugé. Ensuite, lorsqu’un député déclaré définitivement élu était déjà poursuivi ou arrêté, la levée de son immunité n’est plus nécessaire pour son jugement. Enfin, une seconde levée de l’immunité n’est plus nécessaire que lorsque celle-ci avait été déjà levée avant la proclamation définitive des résultats.
Dans le cas qui prévaut actuellement au Sénégal, deux scénarii se présentent à l’analyse. Primo, la levée de l’immunité est divisible, et que celle-ci s’applique à chaque infraction justifiant la poursuite d’un député. Dans ce cas, un député déjà arrêté ne serait-il pas paradoxalement toujours couvert par son immunité ? Secondo, il pourrait être privilégié une interprétation à la lettre du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale sénégalaise, du moins au regard de la structure syntaxique de son alinéa premier 52 mettant, en incise, la formule « pour « chaque » demande ». Dès lors, il est constitué, « pour chaque demande de levée de l’immunité parlementaire d’un député ou pour chaque demande de suspension de poursuites déjà engagées », ainsi qu’il ressort de cet article une Commission ad hoc de onze (11) membres nommés selon la procédure prévue à l’article 34.
Quoi qu’il en soit, l’évidente « injusticiabilité d’une résolution parlementaire » devant la juridiction constitutionnelle rendrait, en droit sénégalais, inutile un tel débat. Sans doute le Conseil constitutionnel sénégalais a-t-il déjà considéré, de manière évocatrice dans sa décision n° 9/C/2017 du 08 décembre 2017, « qu’aucune disposition ni de la Constitution ni de la loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016 (…) ne donne compétence au Conseil constitutionnel pour se prononcer sur le recours par lequel les requérants lui ont déféré, non pas une loi, mais une « décision » (…), adoptée par l’Assemblée nationale (…) en application de son Règlement intérieur : que, par suite, il y a lieu de se déclarer incompétent ».
Meïssa DIAKHATE
Maître de Conférences agrégé
à la Faculté des Sciences juridiques et politiques
de l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar