Afin que nul n’en ignore, Dr Cheikh Dieng a tenu à préciser ce vendredi, lors d’un point de presse, qu’il s’agit bien du Ministre de l’hydraulique et de l’assainissement qui l’a amené à l’abattoir. Tout simplement, parce qu’il a refusé de se soumettre à ses ordres autour d’un marché par entente directe.
Même s’il a été limogé par le Président de la République, Dr Cheikh Dieng n’en veut pas à Bassirou Diomaye Faye. Au contraire. «Je voudrais saisir l’occasion pour remercier vivement le Président de la République Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko, pour la confiance placée en moi, pour relever les énormes défis liés aux problématiques d’assainissement eaux usées et de prévention et lutte contre les inondations, à travers l’outil stratégique que constitue l’Office National de l’Assainissement du Sénégal. Je leur réaffirme mon engagement total à continuer le travail pour le triomphe du projet pour lequel nous nous sommes battus ensemble d’abord dans le Yewwi, ensuite dans la coalition Diomaye Président», dira-t-il d’entrée.
«Mon limogeage est symptomatique du cancer qui gangrène le secteur de l’assainissement»
En effet, c’est au sein de la maison des femmes de Djida Thiaroye Kao, commune dont il est le maire, que l’ex Directeur de l’ONAS a donné sa part de vérité autour de son limogeage après seulement trois mois de service. «Les Sénégalais ont trop souffert des inondations; beaucoup ont perdu des parents, des proches, leur patrimoine, leurs activités et biens avec de lourdes conséquences au plan économique et social. Et pourtant 740 milliards ont été investis pour éradiquer le phénomène ! Mon limogeage est symptomatique du cancer qui gangrène le secteur de l’assainissement», a-t-il regretté. Dans le vif du sujet, il en vient concrètement aux raisons de son limogeage : «Par lettre en date du 29 juillet 2024, Monsieur le Ministre, Dr Cheikh Tidiane Dièye, m’intime l’ordre d’arrêter le processus de passation de marché sur le curage des canalisations déjà attribué par la commission des marchés à l’entreprise Tawfekh Taysir pour la région de Dakar (lot 1) et à l’entreprise Delgas pour les régions (lot2) et de réattribuer ces marchés par la procédure d’entente directe, respectivement aux 2 entreprises DELTA et VICAS qu’il a choisies de son propre chef. Une lettre similaire est adressée à la Direction centrale des marchés publics (DCMP) pour solliciter une entente directe au profit de ces 2 entreprises. Les prétextes invoqués par le ministre Cheikh Tidiane Dièye à l’appui de cette injonction ne repose que sur l’argument de soupçons de surfacturation. Les coûts du curage de la zone de captage sont évalués à 300 millions contre 83 millions dans le marché précédent de 2021. Les clauses du marché de curage du bassin de la zone de captage d’une superficie de 2,5 ha demandent l’extraction et le transport à Mbeubeuss de 40 cm de boue, soit 25.000 m3, soit encore 1.250 chargements de camions de 20m3.
L’exécution de ce travail sur 30 jours requiert la mobilisation de 6 pelleteuses et d’une tractopelle à long bras. Le coût de mobilisation d’une pelleteuse est de 400.000fr/j et celui de la tractopelle est de 700.000 fr/j, soit un coût total 82.500.000 fr. Pour le transport à Mbeubeuss, le coût du camion est de 150.000 fr/j, soit au total 187.500.000 fr. Soit au total un coût de revient de 270.000.000 frs et un coût de 216.000 fr/ par camion de 20m’ de boue, curage et transport à Mbeubeuss. Ce coût ne comprend ni le carburant, ni la main d’œuvre. Il ressort de ce calcul qu’en lieu et place d’une surfacturation, c’est le coût payé en 2021 qui ne permettait d’évacuer tout au plus que 385 camions de boue soit environ le quart du travail nécessaire. Dans ces conditions, il est vraisemblable que les 83 millions payés de 2021 à 2023 ont servi à autre chose que le curage du bassin; c’est d’ailleurs la raison principale des inondations observées dans la zone de captage en 2021 et 2022, quand VICAS a « curé » le bassin. Les gestionnaires de Mbeubeuss témoignent d’ailleurs de la grande quantité de boue y transportée cette année, contrairement aux années précédentes où le nombre de chargements n’a jamais dépassé la vingtaine», a expliqué Dr Cheikh Dieng.
«Les entreprises DELTA et VICAS sont celles choisies justement par le ministre Cheikh Tidiane Dieye pour bénéficier d’une entente Directe, grâce à une technique bien rodée»
Ce n’est pas tout. Il poursuit : «le coût du curage des canaux fermés de diamètre inférieur à 1,5 m est estimé cette année à 18.000 fr contre 5.600 fr dans le marché précédent. Les canaux ont un taux de charge de 80 à 100% comme le démontrent les vidéos lors du curage. Pour 100ml, l’entreprise doit donc déblayer et évacuer 350 à 400 m3 de sable, soit 15 à 22 charges de camions de 80 m. En ne comptant que le coût de mobilisation des camions de transport à 100.000 fr, le coût de revient s’élève entre 15.000 et 22.000 fr le ml. Là encore, le coût annoncé de 5.600 fr/m est sans aucun doute une forme de dumping pour gagner un marché qui ne sera pas effectivement réalisé sur le terrain. Ce marché est exécuté de 2021 à 2023 par l’entreprise DELTA.»
«Pour m’humilier, le ministre Cheikh Tidiane Dièye a organisé une conférence-call avec l’ensemble des gouverneurs de régions le lundi 30 juillet, pour faire l’évaluation des travaux de curage dans leur région respective, mais il recevra une douche froide avant de manipuler l’autorité sur cette rencontre »
Seulement, à en croire Dr Cheikh Dieng, les entreprises DELTA et VICAS sont celles choisies justement par le ministre Cheikh Tidiane Dieye pour bénéficier d’une entente directe. «Grâce à une technique bien rodée, ces 2 entreprises sont en situation monopolistique sur les marchés de L’ONAS avec plus de 52% de la valeur totale des marchés de 2021 à 2024. Pourtant, ce sont bien souvent des entreprises prestataires qui font la part la plus importante du travail sur le terrain, mais elles ne peuvent accéder aux marchés. L’hégémonie de ces 2 entreprises s’exerce en particulier sur les marchés de clientèle (reconduction automatique sur 3 ans) qui est leur chasse gardée. Pourtant, l’évaluation de la performance de VICAS et DELTA effectuée par ONAS en 2023 sur les marchés de curage et sur la gestion des stations de boue de vidange (STBV) avait conclu que ces entreprises ont été défaillantes autant sur le marché de curage 2021-2023 que sur la gestion des STBV. Mais peu importe ! Elles sont quand même choisies par le ministre Cheikh Tidiane Dieye pour une Entente Directe pour le marché de curage 2024 à 2026», déplore-t-il. Mieux ou pire, l’ex Dg de l’ONAS rappelle qu’«un consortium formé par DELTA et VICAS (DELVIC) est également attributaire d’un marché de gré à gré pour la gestion et l’exploitation de l’ensemble des stations de boue de vidange de ONAS à travers le territoire national.»
«Pour son marché de gré à gré, le ministre Cheikh Tidiane Dieye propose une durée contractuelle d’exécution du marché de curage de trois (3) mois à ses 2 entreprises DELTA et VICAS, cependant, dans la lettre adressée à la DCMP, il parle d’un délai d’exécution de 15 jours. Quel est l’objectif visé à travers ce subterfuge ?»
En outre, sur l’argument de dépassement des crédits, il a été informé après sélection des entreprises que les prix proposés sont supérieurs aux prévisions budgétaires initiales. «De l’analyse des devis confidentiels et des coûts réels, il ressort que ce dépassement était prévisible si l’on se situe dans une optique de réalisation effective du travail. La séance de travail que j’avais eu avec les financiers du service avait conclu que les travaux de curage peuvent être financés en partie par les lignes budgétaires « B24016» Programme de lutte contre les inondations et « B24051 » Projet de drainage des eaux pluviales dans la zone de captage et «B24037» Projet d’assainissement des centres urbains. Cette vision holistique de la nomenclature du budget rend dès lors impertinente l’argument du dépassement budgétaire; l’argument traduit plutôt le manque d’expérience administrative de gestion des crédits des entreprises publiques», se défend-il. Sur l’argument relatif au retard dans l’exécution des travaux, il dira : «la durée contractuelle de l’exécution des travaux est de quatre (4) mois à partir de la signature de l’ordre de service qui suppose le déroulement de l’ensemble de la procédure de marché jusqu’à l’approbation par le ministre des finances du Budget. De plus, l’entreprise doit recevoir 20% du montant du marché avant le démarrage des travaux. Sans aucune avance de démarrage, les 2 entreprises ont donc mobilisé leurs moyens propres et atteint des résultats plus que satisfaisants dans la période du 27 juin (début des travaux) au 29 juillet (coup d’arrêt par le ministre Cheikh Tidiane Dieye). L’entreprise Tawfekh Taysir qui avait en charge le curage dans la région de Dakar a réalisé 95% du curage du bassin de la zone de captage et 100% du curage du Canal 6. Ces 2 travaux représentent 58% de la valeur du marché, soit un taux d’exécution de 55% du marché. L’entreprise Delgas qui avait en charge le curage dans les régions a réalisé les taux d’exécution suivants : Louga 10%, Dagana 100%, Fatick 65%, Thies, 74%, Kaolack 70%Tivaoune 5%, Saint Louis 46%, Kafrine 4%, Richard Tol 41%, Diourbel 5%, Touba 4%, Podor et Matam 0%. Soit un taux global d’exécution de 42%. Peut-on légitimement invoquer un retard dans l’exécution des travaux pour des entreprises qui ont atteint de tels taux d’exécution dans ces conditions ? Cet argument est à l’évidence fallacieux», soutient-il.
Mieux pour «l’humilier», selon ses propos, le ministre Cheikh Tidiane Dièye a organisé une conférence-call avec l’ensemble des gouverneurs de régions le lundi 30 juillet, pour faire l’évaluation des travaux de curage dans leur région respective. « Occasion pour lui de recevoir une douche froide mémorable. En effet, à l’exception des gouverneurs de Diourbel et de Matam, les 12 autres gouverneurs ont magnifié la qualité du travail de curage et félicité ONAS pour les différentes initiatives de prévention des inondations qui ont été prises. Pourtant il fera un compte rendu à l’autorité disant exactement le contraire de ce que les gouverneurs ont témoigné. Les conversations avaient été enregistrées pour fournir une preuve irréfutable au Premier ministre. Cela s’appelle de la manipulation», regrette Dr Cheikh Dieng. Pire, ajoutera-t-il dans la même veine, «pour son marché de gré à gré, le ministre Cheikh Tidiane Dieye propose une durée contractuelle d’exécution du marché de curage de trois (3) mois à ses 2 entreprises DELTA et VICAS, soit un curage qui se poursuivrait au moins jusqu’au 15 novembre! Cependant, dans la lettre adressée à la DCMP, le ministre Cheikh Tidiane Dièye parle d’un délai d’exécution de 15 jours. Quel est l’objectif visé à travers ce subterfuge ?» A ses yeux, le ministre Cheikh Tidiane Dieye reproduit ainsi un procédé bien connu et qui est appliqué depuis de nombreuses années par les entreprises. « C’est de faire du fignolage avec quelques camions de curage et dès les premières pluies, demander une validation du travail pour se faire payer. Par la suite, chacun reçoit sa part du gâteau et les populations trinquent à travers des inondations. C’est ce système de prédation des ressources que j’étais décidé à détruire. Au demeurant, le deadline du 10 août que j’avais fixé aux entreprises pour terminer les travaux relevait d’une simple faveur qu’elles avaient accepté de me faire, nonobstant un délai contractuel de 4 mois. Dès lors, invoquer un retard pour un marché qui n’est pas supposé démarrer relève encore de l’hérésie », soutient-il. Autre argument soulevé, Dr Cheikh Dieng soutient que l’irruption intempestive du ministre dans l’exécution d’un marché qui ne le concerne nullement met aujourd’hui en danger les populations qui sont exposées au péril des inondations en cas de survenue de fortes pluies.
«Cette démarche cavalière du ministre Cheikh Tidiane Dièye est légitimement suspecte et sûrement aux antipodes du JUB JUBAL JUBANTI prônée par le Président de la République Bassirou Diomaye Faye»
«En effet, de par la loi, ONAS bénéficie d’une certaine autonomie d’action, avec un organe de gouvernance constitué par le Conseil d’administration, la tutelle financière étant du ressort du ministre des Finances et du Budget. De quoi se mêle dès lors la tutelle technique sur des questions de marché ?», se demande-t-il. «Par ailleurs, en se substituant au DG de l’ONAS pour solliciter une Entente Directe, le ministre Cheikh Tidiane Dieye viole allégrement les dispositions du décret 2023-1004 relatif au fonctionnement de ONAS, notamment en son article 15, ainsi que toutes les règles et procédures de la comptabilité publique. C’est certainement une première dans la longue histoire de l’administration sénégalaise qu’un ministre ordonne des dépenses dans le budget d’une administration sous sa tutelle ! Mieux, le ministre Cheikh Tidiane Dièye a négocié lui-même avec ses 2 entreprises des contrats qui sont directement envoyés au Coordonnateur de la Cellule de passation des marchés (CPM) de l’ONAS en lui demandant de diligenter la procédure de marché d’Entente Directe et d’établir les attestations d’existence de crédits. Cette démarche cavalière du ministre Cheikh Tidiane Dièye est légitimement suspecte et sûrement aux antipodes du JUB JUBAL JUBANTI prônée par le Président de la République Bassirou Diomaye Faye», estime-t-il.
«De plus, ce scandale de marché par Entente Directe est l’arbre qui cache la forêt d’autres scandales dans le ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement qui ne tarderont pas à se faire jour dans les semaines à venir»
D’ailleurs, Dr Cheikh Dieng considère que le Ministre est empêtré dans des lobbies qui gangrènent le secteur de l’assainissement. «Pour avoir le contrôle sur un secteur, cette mafia constitue un lobby avec une méthode infaillible pour accaparer tous les marchés : faire un dumping sur les offres pour éliminer toutes les entreprises concurrentes afin d’avoir un contrôle absolu. Les prix proposés ne permettant pas de faire le travail, la corruption massive est utilisée pour faire marcher l’ensemble de la chaîne de commandement, y compris le Ministre », indique-t-il. «J’ai pris l’option de refuser d’entrer dans ce jeu ! C’est ici l’occasion de demander solennellement au Premier ministre de faire un audit technique et financier de l’ensemble des marchés du lobby de l’assainissement et d’ouvrir une enquête sur le capital de ces entreprises », plaide-t-il. «De plus, ce scandale de marché par Entente Directe est l’arbre qui cache la forêt d’autres scandales dans le ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement qui ne tarderont pas à se faire jour dans les semaines à venir», prévient-il. Il a ainsi invité le Ministre à tenir une conférence de presse pour donner sa version des faits ou à le traîner devant la justice pour les graves accusations qu’il a portées à son encontre.
Actusen.sn