Jean François Paul de Gondi plus connu sous le nom cardinal de Retz, homme d’Etat, homme d’église et écrivain français, avait raison en professant ce laconique et très insolite aphorismequi va suivre :
« On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment »
Quel aphorisme !
L’apophtegme du cardinal de Retz trouve son sens en politique et se comprend très facilement au constat et à la facile étude des mutations politiques au Sénégal.
Dans ce pays, toujours en politique, c’est comme si l’ambiguïté dans la démarche était une méthode très efficace. Raison pour laquelle, elle est partagée par quasiment tous les acteurs.
Quelques exemples emblématiques peuvent renseigner.
En 2022, une parmi les batailles les plus âpres : Aminata Toure et Ousmane Sonko se sont affrontés terriblement, ne se ménageant aucunement. Tous les coups étaient permis et constatés.
Aminata Touré conditionnait un débat entre elle etOusmane Sonko aux réponses que ce dernier apporterait à certaines questions très gênantes.
Elle ne se privait pas de rappeler que le BBY, dont elle était la tête de file montrant rudesse et opiniâtreté, ne détenait le carnet de rendez-vous de Sweet beauté.
Ousmane Sonko, quant à lui, se plaisait de railler Aminata Touré qui allait être, de justesse, éliminée par une faute lourde relative à l’irrespect de la parité.
Aminata Touré était à côté du premier Ministre Amadou Ba, derrière leur mentor Macky Sall Président de la République d’alors, et de toute l’armada du Benno Book Yakaar.
Quant à Ousmane Sonko, il avait comme boucliers Youm du PUR, Dethie Fall de RPR, Barthelemy Diaz de Takhawou entre autres figures emblématiques du Yewwi-Askan Wi.
2022 – 2024, deux années se sont écoulées. Ousmane Sonko est l’homme fort de la République. Diomaye Faye est Président de la République. Aminata Touré reprend le même rôle mais en faveur de ses nouveaux chefs et contre ses anciens camarades. Encore, tous les coups semblent permis.
Aujourd’hui, « Mimi » et Sonko sont alliés face aux anciens libéraux, aux anciens socialistes mais surtout et ironie du sort face au Yewwi-Askan reconfiguré et renforcé à bloc.
Ambiguïté : elle sanctionne aussi la démarche du PDS. Le 22 Mars 2024, deux jours avant le vote pour l’élection présidentielle, le PDS appelle à voter la coalition Diomaye Président pour dégager le BBY. Le parti du Président Abdoulaye Wade contribue alors à élire le candidat Bassirou Diomaye Diakhar Faye.
Ce même PDS, six mois après, appelle à voter contre une majorité en faveur du régime actuel qu’il a aidé à installer à la tête du pays.
Le PDS ne pourra pas emprunter pour s’en justifier la théorie d’un grand leader politique de ce pays, professée en 2022, et renseignant que l’état de notre démocratie, de toute bonne démocratie, justifie une Assemblée Nationale confiée à l’opposition.
Autre ambiguïté manifeste :
Le PUR et le RPR, dans un passé récent et membres du Yewwi-Askan Wi, ont exclu Takhawou Sénégal membre fondateur et locomotive dans cette coalition pour faire heureux le PASTEF et naturellement prendre parti à ses côtés.
Aujourd’hui, Takhawou, PUR, RPR et avec d’autres entités politiques beaucoup plus hostiles à ceux qui président actuellement coalisent pour faire au régime en place.
Leur slogan, très chargé, renseigne de l’Etat de dégradation des rapports, d’une part, affiche subrepticement la cause de leur déplaisir envers les nouveaux hommes forts du pays.
Sauver le Sénégal / Sammu Sa kaddu ont été les cris de cœur.
Jugez-en vous-même !
Le temps des coalitions et investitures.
Quant au Pastef, seul au fait du rendez- vous électoral à venir, oubli de rendre public tôt l’avis-décision du conseil constitutionnel assimilable à un véritable et abject dol politique, la volonté d’y aller seul à ces élections a été manifeste.
Si le droit, cependant, d’aller seul à ces élections est incontestable, la manière de l’afficher peut sembler biscornue.
Véritablement, le courroux de quelques leaders de la coalition Diomaye Président a été manifeste et même explicite. Maitre Moussa Diop et Charles Emile Ciss en l’occurrence.
Les leaders de la coalition Diomaye ont été mis devant le fait accompli. Les désidératas du prince d’y aller seul ont renseigné. Le rapport de force à jouer en faveur de ce dernier. Normal, il est l’homme fort de la République, de façon inédite.
MOUT BA MOT.
Au final, certains on ne peut plus courageux dans la coalition ont quitté. Les autres, conscients de la frivolité ou du néant de leur électorat, ont décidé de soutenir le Pastef.
Toutefois, une question est à poser !
Le pari n’est-il pas risqué pour le Pastef de se suffire qu’à sa force électorale, au passage, réelle et incontestable.
La force de ce parti est réelle et incontestable. Elle est haptique.Par contre, n’est-elle pas surévaluée du fait d’une mauvaise appréciation du résultat de l’élection présidentiellede mars 2024 ?
En vérité, lire et apprécier rigoureusement les résultats d’élections notamment présidentielles est une obligation des hommes politiques.
La politique est une science. Il faut apprécier et comprendre tous les résultats. Ça permet de bien juger la situation, de mieux se repositionner. Ça permet de justement faire de la perspective ou de la prospective. Ça ne devrait inciter à adopter la circonspection, la mesure et le respect de l’autre dans la mesure ou ce sont des attitudes qui doivent être au rendez-vous, peu importe la force que l’on dispose, permanemment.
D’abord, il est bizarre d’entendre, par beaucoup de leaders de premier plan du régime présidentiel, professer péremptoirement que 54 pour cent des sénégalais ont voté Diomaye.
Erreur assez grave. Il s’agit de 54 pour cent des votants des inscrits.
C’est quantifié précisément2 434 751 de sénégalais sur 19 millions.
Le numéro 2 à ces élections s’appelle Amadou Ba. Il a eu 35 pour cent. Plus exactement 1 605 086 de sénégalais.
La différence de voix entre le vainqueur et son suivantest de 829 655 sénégalais.
Pour être plus exhaustif, les candidats Diomaye Faye et Amadou Ba ont convaincu 4 039 837 de sénégalais.
Le 24 Mars, 4 485 128 sénégalais environ 61,30 pour cent du fichier électoral se sont rendus aux urnes pour exprimer leur devoir civique sur un nombre total d’électeurs inscrits de 7 371 890.
2 888 762 sénégalais régulièrement inscrits sur les listes électorales ne se sont rendus aux urnes.
Le vivrier pour chaque parti de puiser des voix pour faire évoluer le rapport de force est énorme.
Aussi, le rapport de force est-il évolutif. Très possiblement d’ailleurs.
NB : les résultats globaux et dans les détails dans le site de la DGE. Voir lien qui suit.
https://dge.sn/wp-content/uploads/2024/09/Resultats-de-lelection-presidentielle-2024.pdf
L’étude des résultats permettait aux responsables de premier plan du régime de relativiser les propos.
Non pas par sous-évaluation de l’aura de leur leader ou d’une méconnaissance de l’étendue de leur travail ou de leurs prouesses électorales mais parce que simplement ça peut évoluer favorablement comme défavorablement très rapidement.
Et puis, la nature de l’élection présidentielle de 2024 impose une attitude, circonspecte voire précautionneuse ; d’une part, la dévotion au travail, d’autre part.
En effet, l’élection présidentielle de 2024 s’apparentait à un référendum.
Pour beaucoup de sénégalais, il fallait soit voter pour la continué incarnée par Amadou Ba soit pour l’opposition la plus radicale, la plus représentative incarnée par Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko.
Force est de constater que les élections, celle passée et celles à venir, diffèrent de leur nature et de leur contexte.
Il transparaît que le Pastef semble n’avoir pris en compte tous ces éléments.
Pour preuve, face à un contexte économique de plus en plus dure, des sénégalais croulant sous le poids de la cherté de la vie, du regain du chômage, des écarts de langage à connotation religieuse de certains responsables de premier plan,des dégâts causés par les inondations, du regain aux allures morbides de l’émigration clandestine ; en somme de la dure difficulté de la gestion quotidienne des problèmes l’une des tâches principales d’un État, le chef du Pastef a semblé opté la minimisation voire la fragilisation de ses alliés.
Il n’est pas exagéré, au constat des difficultés notées, de penser voire de prédire d’une répercussion négative de la situation dure du pays et de quelques impairs notés çà et là sur le score du Pastef.
Sur un autre plan, très rapidement, l’opposition multiple fait preuve de stratégie et de grandiloquence dans l’opération conception de ses listes.
Nous constatons 3 grands blocs.
Les libéraux, fils spirituels et biologique de l’ancien Président de la République Abdoulaye Wade, qui se réunissent avec leur tête deux anciens chefs d’Etat.
Un deuxième bloc composé des socialistes démocrates comme les communistes avec le chef de l’opposition Amadou Ba.
Un troisième bloc composé d’identités remarquables de la politique sénégalaise, un actuel et ancien maires de Dakar et d’anciens du Yewwi-Askan Wi qui connaissent bien le Pastef.
Il s’y ajoutera l’émergence d’autres candidatures ou coalitions qui peuvent avoir un résultat satisfaisant.
Par contre, si les trois grands blocs de l’opposition dépassent l’étape fatidique des investitures et travaillent en inter-coalition, le résultat de l’élection pourrait être très surprenant.
Wait and see
Boubacar Mohamed SY
Juriste.
Écrivain
Auteur des livres :
– le Sénégal sous laser politique. 180 Pages. Août 2023. Ed harmattan
Présidentielle 2024 au Sénégal : Échec et Mat. 210 Pages. Juillet 2024. Ed Harmattan.
Analyste politique.
Conseiller Municipal / Commune de Patte d’oie