Le Conseil des Diffuseurs et Éditeurs de Presse du Sénégal (CDEPS) est dans tous ses états. Contraints d’assister à une crise de leur secteur, les patrons de presse du Sénégal disent être en même temps de supporter les caprices du Ministre de la communication et de l’économie numérique. « Entre difficultés financières chroniques et décisions politiques perçues comme défavorables, la survie de nombreuses entreprises médiatiques est gravement compromise », constate pour le regretter le Président du CDEPS, Mamadou Ibra Kane.
Selon le Président du CDEPS, alors que la presse tente de se remettre de la pandémie de Covid-19, l’avènement du président Bassirou Diomaye Diakhar Faye n’a pas rendu plus facile la situation. Il a cité les mesures gouvernementales qu’il juge « handicapantes » telles que la fiscalité asphyxiante et la rupture des contrats publicitaires, pour dire que la plupart des entreprises de presse sont au bord de l’agonie. « Des centaines d’emplois sont menacés, les cotisations sociales ne sont plus régulièrement versées, et la couverture sanitaire des travailleurs devient un luxe inaccessible. La situation devient intenable pour les entreprises et leurs salariés, laissant planer le doute et l’incertitude sur l’avenir de la presse sénégalaise », alerte M. Kane.
Sa consœur Maïmouna Ndour Faye a été on ne peut plus téméraire dans son argumentaire. La patronne de 7 TV pointe du doigt les démarches unilatérales du ministre de la Communication et de l’économie numérique pour dire que Alioune Sall ne s’est pas inspiré des démarches entreprises par son collègue du Ministère des Finances et du Budget, Cheikh Diba pour le nommer, qui a daigné appeler le patronat autour du dialogue. D’ailleurs, elle renseigne que les relations sont désormais huilées, après cette rencontre, avec les services des impôts et des domaines où le passif fiscal ainsi que le recouvrement des créances sont en train d’être réglés. « Là où il n’y a pas d’avancées, c’est au côté de notre Ministère de tutelle technique et administrative. On a pu rencontrer le Ministre de la communication le 17 juillet dernier, avant l’appel du Président de la République autour d’un dialogue rénové avec la presse. Nous lui avons soumis toutes les doléances et autres difficultés auxquelles fait face la presse. Il y a un relevé de décisions, mais sa matérialisation tarde à se concrétiser. Il faut dire que les relations entre le Ministre et la presse sont devenues extrêmement difficiles. Au moment où nous multiplions les conférences de presse, le Ministre Alioune Sall continue de dérouler sa feuille de route, alors que nos deux demandes d’audience, qu’il feigne d’ignorer, sont restées sans suite », révèle la patronne de 7 TV.
Très en verve, Maïmouna Ndour Faye de poursuivre : « On s’était dit, au début de leur arrivée au pouvoir, que c’était une situation passagère. Avouons que la situation s’est empirée. La situation des entreprises de presse se détériore de jour en jour. Comme si le gel de nos comptes bancaires ne suffisait pas, le gouvernement a décidé de bannir la presse privée dans l’octroi des contrats publicitaires. Il arrivera un moment où, si la situation ne s’améliore pas, nous assisterons à la fermeture de grandes entreprises de presse parce qu’elles n’ont plus de recettes. Or, c’est le gouvernement qui a manifesté sa volonté de promouvoir l’emploi et le secteur privé. Toutes nos recettes sont bloquées. Pour certains patrons, ils ont les banques au cul, sans compter les créanciers qui les courent derrière. La situation est difficile. Même le Fonds d’aide à la presse a été bloqué sans aucune raison valable. Les plus téméraires soutiennent qu’il y a un programme de mise en mort des médias alors que le secteur des médias consacre 15 000 emplois directs. »
Refusant de rendre les armes, le CDEPS tient à attirer l’attention des autorités pour que la situation soit améliorée. « Le patronat attire l’attention du Président de la République, l’autorité hiérarchique de notre ministre de tutelle. Cette situation doit l’interpeller. Nous traduisons le Ministre de la Communication devant son supérieur hiérarchique pour dire à Bassirou Diomaye Faye qu’on est très remonté contre Alioune Sall », dira Maïmouna Ndour Faye. Elle poursuit : « Si la situation doit demeurer ainsi, nous demandons son limogeage de ce ministère, même si l’on ne perd pas espoir. Car le Ministre de la communication est dans une démarche unilatérale. Il n’est pas dans une dynamique de concertation. Même sur l’atelier dédié au nouveau Code de la publicité, nous n’avons pas été associés. Alors que nous étions les premiers défenseurs de ce projet. Alioune Sall préfère dérouler son agenda, laissant en marge les professionnels des médias. Dans sa démarche, il veut déréguler le secteur alors que celui-ci est réglé par le Code de la presse. Il semble être investi pour une mission civilisatrice, après son séjour en Occident, dans le secteur de l’audiovisuel. Il ne connaît pas le secteur des médias et fait la sourde oreille. C’est la première fois qu’un ministre ignore les médias, après avoir pris service. Il est cloîtré dans son bureau, refusant catégoriquement de s’ouvrir aux professionnels des médias. Le Ministre veut installer la peur dans le camp des médias alors que les journalistes qui incarnent ce secteur n’ont jamais eu peur de qui que ce soit. »
Maïmouna Ndour Faye se veut clair. « Nous sommes en rupture de confiance avec le Ministre. On doute de tout ce qu’il entreprend dans notre secteur. Nous pensons qu’il est dans la logique de vouloir domestiquer la presse. Nous n’avons pas confiance en lui. On ne renie pas son autorité, mais nous l’invitons à nous associer dans ses démarches liées notamment à la régulation de notre secteur », insiste-t-elle. « Cependant, personne ne peut nous museler. J’espère qu’il a envie de marquer la mémoire collective. Car, nous estimons qu’il a une commande politique à dérouler. La preuve, il a installé un comité qui n’a aucune légitimité. Tu trouves les gens dans leur métier, tu les blesses dans leur dignité et tu veux qu’on continue à te sourire, ce n’est pas possible. A défaut d’obtenir son limogeage, nous allons le dénoncer. On lui a fait faire beaucoup d’erreurs. Il doit refuser d’être entouré par des faucons qui lui font faire des choses qu’il va regretter plus tard. Au lieu d’unir la presse, il cherche à la diviser », reprend la journaliste.
Afin que nul n’en ignore, le patronat rappelle qu’il n’est pas contre la volonté du Ministre d’assainir le secteur, mais ce qu’il condamne, c’est leur mise en écart dans les procédures. « Sa dictature a heurté plusieurs fonctionnaires au Ministère de la communication. Ces derniers ont assisté à toutes les procédures de l’adoption du Code de la presse et maîtrisent les textes mais qui sont contraints à assister à leur violation par le Ministre », révèle Maïmouna Ndour Faye. La preuve, ajoutera-t-elle, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) a désavoué la démarche du ministre à propos de la mise en place d’un comité d’examen et de validation de la déclaration des entreprises de presse. « Après avoir rappelé les dispositions du Code de la presse, le CNRA lui a recommandé de rapporter l’arrêté n° 02-44-62 du 01 Octobre 2024 portant création et fixant l’organisation et le fonctionnement de la commission d’examen et de la validation de la déclaration des entreprises de presse du Sénégal ou de le reprendre ou de surseoir à son application. En réalité, l’arrêté viole de nombreuses dispositions du Code de la presse dont l’article 134 qui dispose qu’aucun requérant ne peut remettre, avant la notification de la décision d’adjudication, la licence et la signature de la convention avec l’organe de régulation. Sur l’enregistrement des médias, tous les organes qui se sont enregistrés se rendent compte qu’il y a dans la plateforme des critères qui ne sont pas conformes avec les dispositions du Code de la presse. C’est pourquoi, le patronat a décidé d’attaquer l’arrêté au niveau de la Cour suprême », explique-t-elle.
Pour le CDEPS, l’affaiblissement de la presse est une menace directe pour la démocratie sénégalaise, souvent citée comme un modèle en Afrique. « Le Sénégal a besoin d’une presse républicaine, libre et indépendante », a rappelé Mamadou Ibra Kane, insistant sur le rôle central des médias dans la vulgarisation des politiques publiques et le renforcement de la conscience citoyenne. Face à cette urgence, le CDEPS appelle les citoyens épris de justice, les religieux, politiques, acteurs société civile et partenaires internationaux à unir leurs forces pour créer un environnement favorable au renforcement de la liberté de la presse.
Amadou DIA (Actusen.sn)