Quand le ciel s’assombrit et que les nuages amoncellement, quelque part, dans la banlieue de Dakar, on tousse de peur. Alors que les premières gouttes d’eau ne sont pas encore tombées sur la capitale, contrairement au Sud/est du pays où il pleut des averses depuis, les populations retiennent leur souffle.
A quelques jours de la visite du Chef de l’Etat dans le cadre du Conseil des ministres décentralisé de Dakar prévu à Pikine, la hantise des inondations habite les populations de la banlieue qui comptent saisir l’occasion pour s’en ouvrir au Président de la République.
Après un périple dans les zones inondables, Actusen.com, dans le cadre de ses reportages sociétaux, plonge ses internautes dans un monde « surréel » fait de manque de canalisation, de boue, de routes sablonneuses et tortueuses coupées en plusieurs endroits, pendant la saison des pluies… Un univers qui contraste d’avec le pavage des voiries du Centre-ville de Dakar.
Bienvenue à bord de l’Acte 1 d’une série de Reportages, où Actusen.com a donné la parole à des populations qui, la mémoire froissée, s’apitoyant sur leurs souffrances quotidiennes, lancent des cris de détresse et s’en prennent parfois, aux autorités. Qui, selon certaines parmi elles, parlent plus qu’elles ne sachent agir.
Jeudi 30 juin. Un Conseil interministériel sur la gestion et la prévention des inondations présidé par le Premier ministre, Mahammad Boun Abdallah Dionne, permettait de tirer le bilan des actions entreprises et de dégager les perspectives. D’après le porte-parole du Gouvernement, Seydou Guèye, « l’État a, depuis 2012, dépensé 70 milliards de francs Cfa et relogé 2000 familles dans le cadre de la lutte contre les inondations ».
Se voulant plus explicite, Seydou Guèye indiquait, à l’antenne de la Rts, que « l’heure est pour le Gouvernement de Boun Dionne à la consolidation des acquis et la poursuite des efforts en vue de l’hivernage qui s’annonce pluvieux, selon les Services de la météorologie ».
Seydou Guèye : depuis 2012, l’Etat a mis 70 milliards de francs pour lutter contre les inondations
Mais cela suffit-il pour convaincre et rassurer des populations meurtries par la gestion des eaux pluviales et les magouilles notées ça-et-là dans la distribution du matériel, selon les quartiers. En effet, à chaque hivernage, les populations de la banlieue sont hantées par le spectre des inondations.
Depuis 2005, date d’un retour de fortes pluies sur la capitale sénégalaise, après des années de sécheresse, à Keur Massar, Djeddha Thiaroye Kao, Dalifort ou Guédiawaye, les populations vivent la peur au ventre, dès que le ciel s’assombrit et que les nuages s’alourdissent.
« Nous ne savons plus à quel Saint nous vouer. Depuis plus d’une dizaine d’années et à chaque hivernage, c’est la même situation. Nous sommes sous les eaux. Les autorités étatiques doivent, au moins, penser aux souffrances que nous endurons, pour faire face à ce phénomène naturel », appelle Fanta Ndao, une vendeuse de fripes, se lamentant du sort qui lui est réservé.
Fanta Ndao : « les autorités doivent penser aux souffrances que nous éprouvons pour régler ce problème des inondations »
Trouvée à l’ancien marché dit « mercredi » de Keur Massar, Fanta Ndao, la quarantenaire, tourne et retourne les ballots devant elle. Malgré le peu d’argent qu’elle gagne avec cette activité commerciale, son esprit est autant tourné vers les conditions difficiles qu’elle traverse, chaque fois que le ciel ouvre ses vannes. Surtout, quand le sujet est évoqué et que le bruit des tonnerres résonne au-dessus de sa tête, comme ce matin, du mardi 12 juillet.
« J’habite les Parcelles Assainies de Keur Massar. Quand il pleut, c’est la croix et la bannière pour accéder à la maison. Les routes sont coupées. L’eau de pluie envahit le quartier. Les enfants jouant inconsciemment dans la saleté qu’accompagne ce spectre, tombent malades à cause du paludisme et des maladies diarrhéiques liées à l’hivernage et aux eaux stagnantes.
Les moyens ne suivent pas. Mon époux à la retraite et moi, souffrons énormément, avant que cette période ne passe », explique-t-elle, le cœur lourd. Son visage devînt aussitôt pâle. Sa mine tout autant, change.
Un étudiant du quartier de Madiabel : « c’est un show d’Etat, du déjà vu et rien de spécial pour venir à bout des inondations »
Au quartier Aladji Pathé de Keur Massar, autre épicentre des inondations dans cette partie de la banlieue, les sapeurs pompiers sont à pied d’œuvre. Des opérations de désensablement, de faucardage des typhas, d’écrêtage de bassins, de curage des caniveaux ainsi que l’entretien et la construction de nouvelles stations de pompage ont commencé. « C’est un show d’Etat », s’écrie un étudiant interpellé à Madiabel, un sous quartier de « Aladji Pathé ».
« C’est du déjà vu. Car c’est comme cela, chaque année. Et après, rien de particulier. C’est nous qui souffrons et eux, ils repartent tout doucement chez eux, nous laissant dans le pétrin », peste notre interlocuteur.
Sur le site, camions hydro-cureurs, tuyaux en attente… prédisposés
Sur les espaces encore non bâtis, les tuyaux d’évacuation des eaux pluviales jonchent le sol. En bon état ou inusités, ce sont de longs tuyaux, qui s’entrecoupent entre les coins et recoins des intersections. Non loin de la boutique de Alpha Diallo au quartier Darou Salam2, des camions hydro-cureurs postés là en attente de corvée, partagent le décor avec les populations. Aucune trace des sapeurs pompiers n’était visible, mais le matériel exposé, témoigne de leur présence prochaine sur les lieux.
Même constat au quartier Ainoumady, vers la cité Santé. Ici, le matériel est déjà sur place. Mais cela suffit-il autant à annihiler les inondations. Abibatou pense le contraire. Tout comme l’étudiant de Madiabel, la solution résiderait dans la mise en place de canalisations permettant d’évacuer les eaux de pluies vers la mer.
« Depuis longtemps, on nous a promis, en vain, un système de canalisation. Nous attendons toujours, car c’est seulement ça qui pourra nous sauver », estime-t-elle, indiquant que le reste n’est que « saupoudrage, du tape-à-l’œil ».
Coligep : 80 bénévoles pour animer des rencontres, sensibiliser et communiquer avec les populations sur les inondations
Faisant partie de la deuxième phase du Programme de gestion des eaux pluviales (Progep) après Dalifort, Djeddah Thiaroye Kao et Guédiawaye, Keur Massar, Yeumbeul nord et sud et Malika, bénéficient de 44 milliards pour faire face, à leur tour, aux inondations. Mais le chemin est encore long.
Depuis 30 mois, un Comité local d’initiative pour la gestion des eaux pluviales (Coligep) est mis en place. Selon ses responsables dont le Secrétaire de l’administration, Pape Magatte Niang, le Coligep a été mis en place par le Cabinet de consultance Malick Sow et Associés (Msa) dans le prolongement du Progeb, pour permettre le suivi-évaluation des infrastructures.
« Au nombre de 80, des bénévoles de tout âge et sexe, animent, sensibilisent et communiquent avec les populations sur le phénomène des inondations, ses dangers et les moyens à court et long termes pour les « éviter. Ils sillonnent les quartiers de Keur Massar, Yeumbeul nord et sud et Malika.
« Aujourd’hui, le Coligeb est reconnu par les autorités locales et nationales. Ses membres travaillent aux côtés des populations pour les sensibiliser sur les inondations. Dirigé par le maire de la ville Moustapha Mbengue, la structure regroupe toutes les forces vives de Keur Massar et environs », indique Maguette Niang.
Pape Maguette Niang, Msa : « 11 quartiers en passe d’être sortis des eaux »
Selon Pape Maguette Niang, « c’est pour éviter les nombreux pompages sans succès probants face au phénomène et mettre sur pied un système gravitaire permettant de déverser les eaux de pluie en mer ». En effet, au lieu de bassins de rétentions (trouvaille de l’ancien Président de la République, Abdoulaye Wade) avec leur lot de conséquences, en termes de pertes en vies humaines, dit-il, le Coligep, à travers le Msa, va permettre la canalisation de la banlieue, dans la phase2 du Progep.
« Le financement est déjà disponible et 11 quartiers se situant dans la phase d’urgence, seront touchés », affirme-t-il. Néanmoins, en dépit de ses assurances, les populations ont décidé de poser le problème sur la table, en interpellant directement Macky Sall avec des pancartes lors de sa visite à Keur Massar.
Gaston MANSALY (Actusen.com)