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À l’ONU, comment le coronavirus bouleverse le jeu diplomatique

Avec la pandémie de Covid-19, l’ONU a été contrainte à réviser les conditions de réunion des diplomates, que ce soit à l’Assemblée générale ou au Conseil de sécurité. Plus question de se réunir physiquement pour travailler, et les modalités de vote ont changé aussi. Ce qui a d’ailleurs pris de court les États-Unis lundi.

Les États-Unis n’ont pas été assez vigilants. Sans le remarquer, ils ont voté une résolution en faveur de l’Organisation mondiale de la santé alors que leur président lui-même critique l’OMS sans relâche depuis une semaine. Mais à la décharge des diplomates, ne plus soutenir officiellement l’OMS est une injonction très récente. Alors pour comprendre comment cela s’est passé, il faut expliquer ce qui a changé depuis que les délégations ne peuvent plus se réunir à l’ONU il y a un peu plus de cinq semaines.

Vote « sous silence »

Traditionnellement, les pays réunis à l’Assemblée générale, où siègent 193 pays, votaient une résolution par consensus ou par scrutin à la majorité des voix. Rien n’ayant été prévu dans le cas de l’impossibilité des diplomates à se réunir, il est vite paru impossible de remettre un système identique en place. Alors un pays ou un groupe de pays peut déposer un texte auprès du président de l’Assemblée, qui lance un vote « sous silence » avec un délai. Si aucun pays ne proteste avant la fin du délai, la résolution est automatiquement adoptée.

Et c’est ce qui s’est passé lundi avec une résolution proposée par le Mexique. Le texte mexicain était très axé sur l’angle médical de la pandémie, appelant à un « accès équitable » aux « futurs vaccins ». Il était dans les tuyaux depuis deux semaines et a été voté de facto. Mais le texte souligne aussi le rôle crucial joué par l’OMS. Or, Donald Trump ayant retiré le soutien américain à l’organisation, les diplomates américains onusiens ont voulu se rétracter lundi quand ils s’en sont rendu compte. Ils ont essayé de bloquer l’adoption de ce texte après le délai réglementaire, mais l’ONU leur a expliqué que c’était légalement impossible.

Nouvelle dynamique

C’est un camouflet pour les États-Unis, l’un des cinq membres permanents qui a le droit de veto au Conseil de sécurité. Pourtant on constate aussi que ce changement de modalités de vote à l’Assemblée générale à des effets bénéfiques. Rien que pour combler le vide laissé par le silence « irresponsable » du Conseil de sécurité, selon de nombreux diplomates, heureusement que les pays de l’AG se sont mis d’accord sur ce vote par défaut. Ces résolutions proposées en Assemblée permettent de montrer au public que les Nations unies fonctionnent malgré le blocage du Conseil par les trois grands successivement. Comme Russie, puis Chine et États-Unis ne savent pas se mettre d’accord, c’est à l’AG que l’ONU a émis sa première résolution pour soutenir l’appel au cessez-le-feu d’Antonio Guterres dans le contexte du Covid-19.

Ensuite, ce système donne un peu plus une impression de poids égalitaire entre les pays, alors que les diplomates se plaignent d’habitude de l’hégémonie des cinq pays qui ont le droit de véto au Conseil de sécurité. Là, n’importe quelle délégation peut bloquer le texte d’une autre, mais aussi, a contrario, se confronter au mécontentement de tous si elle bloque un texte qui nuit à l’intérêt général. C’est ainsi que la Russie n’a pas osé bloquer cette résolution appelant au cessez-le-feu. Alors que dans le petit club du Conseil de sécurité, elle n’hésite pas à bloquer les choses, par exemple lorsque cela nuit à ses projets en Syrie ou en Libye.

Du coup, on assiste à des propositions assez prolifiques, à un regain de dynamisme. Maintenant, il faut bien garder en tête l’impact limité qu’ont les résolutions de l’Assemblée générale. Elles n’obligent à rien malheureusement, contrairement aux résolutions du Conseil qui contraignent juridiquement les pays qui les enfreignent. Mais tout de même, cette nouvelle méthode pourrait presser des envies de réforme dans cette institution grippée, après le retour à la normale.

Rfi.fr

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