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Après le vote de la loi visant à traduire en justice les auteurs des crimes des derniers événements politiques : tous les coupables en sursis

En tout, 146 députés ont pris part à la plénière d’hier de la loi portant interprétation de la loi d’amnistie de 2024. 126 parlementaires ont voté pour, 20 ont voté contre, pour 00 abstention. Ainsi, l’Assemblée nationale a adopté la loi controversée proposée par le député Amadou Ba du Pastef ; laquelle vise à mettre la lumière sur les crimes de sang, y compris ceux relatifs aux actes de tortures, et de traitement inhumains, cruels ou dégradants.

Si le député Abdou Mbow a tenu à demander l’ajournement des débat, puis Tafsir Thioye, de proposer le retrait de la proposition de loi, qui présente selon lui des erreurs et amalgames, notamment dans l’amendement présenté dans la foulée par le porteur de la loi, Amadou Ba du Pastef ne s’est pas empêché à clarifier son texte pour obtenir l’adhésion de ses collègues. Et c’est pour dire : « Je rappelle juste qu’on a proposé l’interprétation de cette loi, d’abord de façon primordiale, pour permettre au Sénégal de se conformer à ses obligations internationales. On fera le pardon après, mais l’obligation de non-répétition nous oblige à cette loi d’interprétation.  Le but de ce texte interprétatif n’est ni d’ajouter quoi que ce soit, n’est pas de désigner des responsables, mais de préciser le champ d’application de la loi d’amnistie pour permettre au juge d’avoir une jurisprudence uniforme. Chaque infraction, chaque acte, chaque fait constitutif de violation de droits de l’homme porte sa propre motivation. S’il y a un assassinat, le juge est obligé d’ouvrir et de rouvrir le dossier. S’il s’agit d’autres cas, il sait que ça ne fait pas partie. Donc personne n’est visé. Chaque infraction porte sa propre motivation. Ce n’est pas l’auteur de l’infraction qui vient en bandoulière dire au juge, moi j’ai tué, j’avais une motivation politique. Que nenni, ça ne se passe jamais comme ça. S’il y a un mort, c’est que ce n’est pas lié aux manifestationx. Vous pouvez proclamer en avoir eu la motivation, vous pouvez établir un lien qu’il y avait un rapport imminent, direct et immédiat avec la manifestation, ça ne vous sauvera pas des poursuites. »

Seulement, ces éclairages ne sont pas assez clairs aux yeux des députés de l’opposition et d’autres collègues issus des rangs des non-inscrits. C’est à l’image de Anta Babacar Ngom qui menace de saisir le Conseil constitutionnel pour arbitrer. À ce propos, elle dira : « Il n’y a pas de divergence entre nous. Mais un problème de compréhension.  On veut aujourd’hui interpréter une loi d’amnistie. Mais l’interprétation ne devait pas avoir pour vocation à la modifier. On pouvait ne pas en arriver là. Car le Conseil constitutionnel a lui seul pouvait nous édifier sur cette loi. Il arrive qu’une personne ait raison, mais qu’elle n’arrive pas à s’expliquer. C’est bien le cas avec cette loi d’interprétation. Nous voulons bien savoir ceux qui ont tué les personnes décédées. De même qui ont torturé Pape Abdoulaye Touré, ainsi que pour les gendarmes disparus. Mais aussi qui ont brûlé le TER et le Brt ? On a le droit de le demander. La justice, oui. Mais la justice pour tout le monde. La justice ne peut être sélective. M. Le Ministre (de la justice), nous voulons la justice. Et nous comptons sur vous pour la justice. C’est important de chercher la vérité, mais c’est mieux de la chercher sur tous les faits. On vous propose d’abord de créer une commission vérité et réconciliation pour rétablir la vérité, pour parler ensuite de pardon avant d’évoquer la question de l’indemnisation. »

Le porteur de la loi n’est pas de cet avis. Car selon Amadou Ba, on peut certes saisir le Conseil constitutionnel, mais les sept sages ne sont pas compétents pour trancher le débat. « Le Conseil constitutionnel n’est pas compétent pour apprécier la conventionnalité, c’est-à-dire qu’il ne peut pas apprécier la conformité d’une loi à un traité international, à une convention internationale, comme le cas de la torture. Si vous demandez au CC si elle est conforme à la convention contre la torture, qui est une norme de droit international, il vous dira, je suis incompétent », soutient le député du Pastef. Se voulant plus explicite, Amadou Ba ajoutera que la loi organique sur le Conseil constitutionnel donne seulement la compétence pour apprécier la conformité d’une loi à la constitution, mais pas la conformité d’une loi à un engagement international.

L’autre élément prévu par la présente loi, c’est le droit à la réparation pour les victimes. Car, insiste l’honorable député, toute loi d’amnistie qui n’a pas prévu de droit à réparation est présumée nulle. « Nous avons juste rappelé le principe, donc on n’a rien modifié. Qu’est-ce qu’on a modifié dans le champ de la loi ? La loi avait un spectre extrêmement large couvrant toutes les infractions de nature correctionnelle ou criminelle dès lors qu’elles se rapportent à des manifestations ou peuvent avoir une motivation politique », a-t-il clarifié. Ainsi, et afin que nul n’en ignore, « les crimes de sang, les meurtres, les assassinats, les cas de torture, les traitements inhumains et dégradants ne font pas partie de la loi d’amnistie », selon le présent texte de loi. « A partir de ce moment, tout juge a les armes juridiques pour pouvoir dire de prime abord, dès lors qu’on lui présente une infraction, dès lors qu’une victime se présente devant lui, si le cas qui lui est soumis relève de l’amnistie ou pas. Voilà ce qu’on a voulu établir », conclura Amadou Ba. Sa collègue Aïssata Tall Sall, présidente du groupe parlementaire Takku-Wallu, qui avait pour rappel défendu ledit projet de loi d’amnistie en son temps, a  souligné son désaccord par rapport à cette proposition de loi qu’elle considère comme  un instrument de règlement de comptes politiques. « Nous avons voté cette loi d’amnistie pour ramener le calme dans le pays. Je réitère mes propos en disant à cette majorité que si vous voulez abroger la loi faites-la et faites face aux conséquences. Cette loi n’est pas une loi d’interprétation mais une modification de la loi.  Nous allons le combattre pour la préservation de la liberté avec toutes nos forces », soutient l’ancien ministre de la Justice.

Le Président de la Commission des lois, Me Abdoulaye Tall pour le nommer, estime pour sa part que l’occasion est donnée, devant l’histoire et la postérité, aux familles des victumes de faire leur deuil. « Avant de pardonner, il faut revenir à cet exercice de vérité. Qui a demandé à faire quoi. Il faille maintenant prononcer des sanctions idoines aux auteurs de ces meurtres, ces enlèvements et tortures. Il n’est pas question de pardonner des faits qui ne sont pas aministiables », prévient l’avocat.

Qui pour juger les manifestants ? A cette question dont la réponse n’a pas été prévue dans la loi d’Amadou Ba, le parti Pastef considère que le droit de manifester est garanti par la Constitution. « C’est la Constitution qui nous permet de manifester, en son article 8. En France, des gens manifestent, pour autant ils n’ont pas été tués », lance l’honorable députée Maïmouna Bousso. Toutefois, le député Abdou Mbow prévient en ces termes : « Vous parler de commanditaires ? Le premier commanditaire, c’est celui qui a parlé de mortal kombat, c’est celui qui a appeler les jeunes à l’insurrection. Le premier commanditaire, c’est le premier ministre, dans votre gouvernement, et votre ministre de la microfinance, qui ne sont pas étrangers à ces faits mis en cause. Vous oubliez que l’actuel Ministre de l’intérieur était le haut commandant de la gendarmerie à l’époque. L’actuel Ministre des Forces armées était le Cemga (Chef d’État-major général des armées) en son temps. Vous n’avez rien compris ! Car personne ne va rester dans votre gouvernement si vous votez cette loi. Votre premier ministre a dit ici qu’il faille abroger cette loi pour que tout le monde aille répondre à la justice. A la dernière minute, vous décidez dd l’interpréter. Cela en dit long sur votre manque de sincérité. »

En clair, pour l’ancien Président de groupe parlementaire, la loi Amadou Ba n’est pas une loi interprétative mais une loi modificative. « Une loi interprétative a pour objet de préciser, sans rien y noter, une loi existant dans sa définition qui a été rendue complexe. En réalité, une loi interprétative précise juste l’intention du législateur sans rien remettre en cause sur les dispositions de la loi initiale. Et cette loi interprétative change fondamentalement la loi portant amnistie », regrette-t-il.

Amadou DIA (Actusen.sn)

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