On a l’habitude dire que le pouvoir rend fou et c’est vrai, mais il semble plus juste de dire qu’il ne rend fous que les petits esprits. Le pouvoir politique défini comme la faculté qu’a un homme ou un groupe d’hommes d’amener d’autres hommes à faire ce qu’ils n’auraient pas fait de leur propre chef est tellement investi de prestige et de délices qu’il rend aveugle et peu réfléchi. La sagesse et la pondération sont généralement engendrées par dénuement et l’épreuve. Mais quand l’opulence et les commodités de toutes sortes jalonnent notre existence, la clairvoyance nous fait habituellement défaut.
Le pouvoir est déjà en soi l’incarnation d’une certaine grandeur, mais, comme le dit Pascal, il y a deux types de grandeur : les grandeurs d’établissement et les grandeurs naturelles. Les premières sont le fait de la fantaisie des hommes (élections, nominations, institutions, coutumes, etc.) tandis que les autres sont justement « indépendantes de la fantaisie des hommes, parce qu’elles consistent dans des qualités réelles et effectives de l’âme ou du corps ». Et comme il arrive très souvent que ceux qui sont investis des grandeurs d’établissement manquent cruellement de grandeur naturelle, ils cherchent à compenser leur faiblesse et leur faillite morale dans l’exercice abusif des grandeurs d’établissement. C’est ce qui explique qu’on ne prend les grands airs que lorsqu’on est petit, qu’on n’affiche les vertus du dehors que lorsqu’on en manque cruellement.
Quand la faiblesse règne, toute grandeur est anéantie ; quand la méchanceté et l’étroitesse d’esprit tiennent le pouvoir, tout pouvoir (ou contre-pouvoir) est abrogé ; quand la tricherie et la roublardise accèdent y au pouvoir, tout le monde est coupable ou suspect ; quand le mensonge et la manipulation gouvernent c’est le crépuscule de la véracité ; quand la turpitude et la félonie sont érigées en modèles, la société est en décadence. Il n’y a plus alors d’autre destination pour les justes et les sages que la prison ou la mort (retraite du monde).
Le pouvoir ne devrait jamais être un moyen pour venger les vieilles blessures. Le pouvoir ne devrait jamais être un moyen d’assouvir les rêves traumatisés d’un enfant. Le pouvoir ne devrait être autre chose qu’une façon enchantée de servir les hommes et ce, parce qu’on les aime sans tenir compte de leur appartenance politique, ethnique ou confessionnelle. Le pouvoir est une affaire de noblesse, c’est pourquoi il ennoblit davantage les « nobles » et avilit davantage les « roturiers ».
Le pouvoir émane de Dieu, c’est vrai ! Mais cela signifie davantage qu’il est une étincelle du pouvoir de Dieu plutôt simplement que c’est Lui qui le donne « à qui veut ». Tout le monde sait que le pouvoir peut être usurpé ; qu’on peut y accéder par tricherie et manipulation ; qu’on peut s’y maintenir par les plus graves péchés. Le pouvoir devrait donc être un viatique pour le paradis et non un moyen d’assouvissement personnel. Le pouvoir ne devrait jamais être un moyen d’assouvissement de la soif du pouvoir (politique, financier, etc.).
La résolution d’un homme juste en quête du pouvoir politique est : je ferai de sorte que le jour où je quitterai le pouvoir le peuple me regrette (au sens où quelqu’un regrette ses belles vacances) et cherche à me retenir. Toute autre est celle du simple d’esprit : une fois que je serai au pouvoir je ferai de sorte que je ne regrette pas le pouvoir. Quand « Bouki » l’hyène a accédé au pouvoir, la première chose qu’il a criminalisée c’est la consommation de viande, non pas par amour pour les proies, mais parce qu’elle est d’une rapacité insatiable.
Prétendre accorder des bourses familiales à une partie du peuple tandis que les fonctionnaires ont « leur rappel d’avancement et de titularisation » gelés ce n’est ni de la générosité ni de la bonne gouvernance : c’est une corruption institutionnalisée. Faire preuve de libéralité parmi sa clientèle politique et chercher à acheter les citoyens meurtris par la misère ce n’est point une vision, c’est plutôt de la cécité politique.
Abuser des moyens de l’État pour snober ses adversaires politiques n’est ni du courage du ni génie politique, c’est plutôt de la perversion politique. Lier les pieds de ses concurrents avant de donner le départ de la course c’est institutionnaliser la tricherie. Museler la presse par des espèces sonnantes et trébuchantes n’est point un acte démocratique : c’est de la débauche démocratique. Il n’y a rien de vraiment noble dans ce qui a du prix : personne n’est dupe, ce silence des contre-pouvoirs est le secret de ce faux génie politique.
Confucius a dit que « les seules richesses des gouvernants doivent être la justice et l’équité ». Il semble que celles de nos gouvernants soient tout le contraire : l’injustice dans la gouvernance et l’iniquité dans la justice. La culpabilité et l’innocence dans notre pays sont désormais tributaires de l’appartenance politique. La vertu souillée et le vice béatifié : c’est la cruelle conversion morale et politique du SÉNÉGAL ACTUEL. Dans un tel pays c’est facile de dédaigner ses opposants et de faire preuve de l’arrogance le pilier fondamental de sa gouvernance. Mais Dieu restera toujours Dieu et l’homme simple humain ou bête.
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
Secrétaire général de LABEL/Sénégal