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Contribution

Cheikhna Cheikh SaadBouh, cent ans, déjà

12 juillet 1917, était rappelé à Dieu Cheikhna Cheikh SaadBouh, à l’âge de 69 ans. Cela fait donc cent (100) ans, que nous quittait « le bonheur de son père » Sahdou Abîhi. Le parcours de cet homme d’exception, très précoce, a marqué l’histoire de la sous-région ouest-africaine dans ses dimensions  religieuses, politiques et socioculturelles. Au bilan de son action qui ne peut être que sommaire, son influence étant dans une dynamique continue, il conviendra de noter qu’il a participé grandement à l’expansion de l’islam, à la préservation de la paix et à l’éducation des masses.

Très tôt, à l’âge de 16 ans, quittant son Hodh natal situé à l’est, il a été envoyé par son illustre père Cheikhna Cheikh Mouhamed Fadel (1796-1869),  pour s’établir dans la zone du Trarza, au sud-ouest mauritanien à la frontière de la vallée du Fleuve Sénégal. Auparavant, il  reçut de lui une solide formation religieuse, juridique et ésotérique. A la  nature aride et désertique des contrées, s’était ajoutée une insécurité quasi générale  s’étendant jusqu’ à la rive ouest du Fleuve, caractérisée par les razzias des tribus guerrières, le commerce d’esclaves et la contrebande d’armes à feu. C’est ainsi qu’il dut faire face à l’adversité des puissantes tribus autochtones et à l’émirat du Trarza. Jusqu’en 1904, les Français n’avaient que  deux postes avancés en Mauritanie, à Saout El Mâ et à Mederdra mais disposaient depuis le siècle précédent, de positions fortes dans la colonie sénégalaise qui était en phase de pacification.

C’est dans ce contexte que  Cheikh Saadbouh effectua son premier voyage à Saint-Louis, en 1872. Après avoir campé sur le site actuel de l’université Gaston Berger (Dakar Bango), situé à 10 Km de Saint-Louis, Il effectua sa première visite sur l’Ile en cette année.  Il revient dans l’histoire, l’incident de Guet Ndar avec le Gouverneur du Sénégal ; incident né du Zikr à haute voix, l’une des innovations de la faddilya à la voie khadrya. Les invocations à haute voix des disciples furent, en effet, considérées par la police coloniale de Saint-Louis comme attentatoires à l’ordre public. Cheikh Saadbouh fut donc convoqué dans le bureau du Gouverneur  et menacé d’emprisonnement. Ce dernier se ravisa des suites de la résistance opposée par le Cheikh.

Il effectua un deuxième séjour en 1881. L’extrait du rapport de compte rendu en date du 24 mai 1881 du Gouverneur DE LANNEAU  indique, à cet égard, « Le grand marabout Cheikh Saadbouh est venu me voir le même jour 09 mai, suivi par la foule innombrable de fidèles chantant ses louanges. Saadbouh a eu Lat-Dior comme élève et passe pour avoir sur sa personne une influence décisive. Il revient d’une grande tournée religieuse qu’il a entreprise dans l’intérieur.
Je reçus le marabout avec distinction et je lui demandai s’il voulait s’employer à atténuer les difficultés du Cayor. Je lui expliquai que, loin de nuire aux populations, le chemin de fer les servirait, et que c’était faire un noble emploi de son prestige que de réduire à néant une opposition sans raison.
Il est parti escorté de tout Saint-Louis, les gens se jetant à genou sur son passage, baisant ses pieds et ses mains. Blancs et noirs eurent le meilleur augure de cette visite, Saadbouh étant partout vénéré à l’égal d’un saint
. »

De même, Guy THILMANS, anthropologue, rapporte : « le campement de Cheikh Saadbouh était un important centre d’études dont les élèves, provenant pour la plupart soit de tribus maraboutiques, soit de wolof de Saint-Louis et du Cayor, étudiaient sous la tente.
En pays noir, l’influence du Cheikh était considérable s’étendant au Fouta, au Cayor, au Baol, au Djolof et même en Gambie et en Casamance. A Saint-Louis, il jouissait de la considération générale. Il était en relation suivie avec El Hadji Malick SY, ainsi qu’avec Ahmadou Bamba. »

Il profita de ses pérégrinations et de ce que le colonisateur garantissait, plus ou moins,  la liberté de culte, à l’opposé des puissances tribales et des guerriers ceddos réfractaires à l’islamisation, pour étendre la religion musulmane dans les contrées les plus reculées de la Sénégambie et de la sous-région ouest-africaine. Il a formé beaucoup de Cheikhs et de dignitaires, qui, à leurs tours, ont effectué un travail considérable. Selon l’auteur Talibouya NIANG, Cheikh Saadbouh a consacré 664 cheikhs dans la sous-région. On peut citer, notamment,  Cheikh Tourad ould Abbas (inhumé à Dakar), Cheikh Mahfouz ould Abba (Binako et sud du Sénégal), Cheikh Aldiouma BA (Guet Ardo), Cheikh Moussa CAMARA (Ganguel), Cheikh Bakary DIARA (Mali), Cheikh Ahmadou DJIMBIRA (Kébémer), Cheikh Fanta-Madi (Kankan – Guinée Conakry), Cheikh Youssou Bamar GUEYE (pays lébou de Dakar), Cheikh Ahmadou NDIAYE (Loboudou), Cheikh Ibrahima SANE (Birkama – Gambie), Cheikh Moussa SARR (Niodior), Cheikh Yérim Ndoumbane SECK (Tivaouane), Cheikh Déthialaw SECK (Ngourane), entre autres.

Son action pacifique et la grande estime que lui portaient les populations sénégalaises, parce que descendant du noble prophète Mouhamed (PSL), firent de lui un porte-étendard et un médiateur. Il joua le rôle de régulateur social de son temps. C’est ainsi qu’il effectua les bons offices auprès du Damel du Cayor, Lat Dior,  en contradiction avec le colonisateur. De même, il entretenait des relations fraternelles, cordiales et fructueuses avec les guides religieux et monarques sénégalais, dont, Alboury NDIAYE, Bourba Djolof.

Son intelligence, sa grande compréhension des enjeux de l’heure et son érudition l’avaient poussé à adresser, en 1906, une lettre de haute facture – que  l’histoire retiendra – à son grand frère l’illustre Cheikh Malaïnine (1831-1910) qui avait engagé, dans le Sahara occidental, la guerre sainte contre le colonisateur. Sa fameuse maxime, argumentée de la doctrine islamique, de l’histoire et du réalisme de  la géopolitique, est toujours d’actualité cent (100) ans après. Il  lui avait dit : « Qui prend les armes s’éloigne de la vertu. » Le temps lui a donc donné raison car si le colonisateur a pu disposer, de gré ou de force, des diverses ressources de nos Etats, l’action de nos guides religieux a permis, avec intelligence, la conquête et le contrôle des cœurs.

C’est donc l’occasion de lui rendre un vibrant hommage ainsi qu’à ceux qui ont étendu le flambeau de la paix, de la justice et de la foi en combattant l’obscurantisme.

Sa production littéraire, juridique et gnostique continue à inspirer la oumah. Le fait le plus remarquable, c’est malgré son statut de descendant du prophète Mouhamed (PSL) et de pôle privilégié multidimensionnel, il disait dans ses khassaïdes que son plus grand bonheur aurait été de constituer le sable sur lequel notre vénéré prophète (PSL) marcha, signe de sa foi intense et de son humilité sans commune mesure. La contribution de cet homme de très grande valeur à l’histoire de la sous-région et  ses nombreux écrits devraient donc être mieux connus. Il est, véritablement, une référence religieuse, un panafricaniste et un éducateur hors pair car il avait, par  sa pédagogie perspicace,  la capacité de transformer, en un temps record, un profane en érudit incontestable.

C’est à partir de 1909, que Cheikh Saadbouh s’établit à Nimzatt, au nord de Rosso, près du chef-lieu de Mederdra. Il y avait fondé une université qui forma de nombreux sénégalais, maliens et guinéens, entre autres.  Son œuvre est, aujourd’hui,  perpétuée  par sa descendance, les cheikhs et les nombreux disciples khadres.

Cheikh Sadibou DIOP

                                                                                                  Administrateur civil

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