Est-ce la fin d’une crise ou les prémices ? Le général Pierre de Villiers a annoncé mercredi matin sa démission dans un communiqué transmis à l’AFP. «Dans les circonstances actuelles, je considère ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd’hui et demain, et soutenir les ambitions de notre pays. Par conséquent, j’ai pris mes responsabilités en présentant, ce jour, ma démission au Président de la République, qui l’a acceptée», écrit Villiers, qui fêtera ses 61 ans dans quelques jours.
Sa décision conclut une semaine très tendue entre le chef d’état-major des armées et le Président de la République. Premier acte mardi 11 juillet : dans Le Parisien, le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin annonce des économies de 4,5 milliards dans le budget 2017. Pour la défense, ces coupes s’élèvent à 850 millions d’euros, le surcoût des opérations extérieures (Sahel et Levant) et intérieure (Sentinelle), jusqu’ici pris en charge par l’ensemble des ministères. La nouvelle planait dans l’air depuis le début de la semaine, poussant la ministre des Armées, Florence Parly, à annuler des déplacements pour tenter de convaincre Edouard Philippe. En vain donc.
Mercredi dernier, le sujet est abordé à l’Elysée, lors du conseil de défense hebdomadaire. Villiers fait part de son opposition à cette coupe et aurait même repris la parole après sa ministre de tutelle pour insister. Cette expression aurait irrité Macron et son entourage. Le chef d’état-major ne relâche pas ses efforts dans les heures qui suivent. Entendu par la commission de la défense de l’Assemblée, il dit tout le mal qu’il pense de la nouvelle donne budgétaire. Une phrase sort dans la presse : «Je ne me laisserai pas baiser comme cela.»
Nouveau rendez-vous jeudi soir, pour le traditionnel discours du chef des armés – le président de la République – aux militaires, à l’hôtel de Brienne. Dans sa longue prise de parole, Macron corrige le chef d’état-major, sans le nommer, mais très sèchement : «Je considère qu’il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique. J’ai pris des engagements. Je suis votre chef. Les engagements que je prends devant nos concitoyens et devant les armées, je sais les tenir. Et je n’ai, à cet égard, besoin de nulle pression et de nul commentaire.»
Depuis, chacun se perdait en conjectures : Pierre de Villiers allait-il démissionner ? Après tout, il venait d’être prolongé un an à ce poste alors qu’il aurait pu prendre sa retraite. Allait-il se battre pour le budget des armées jusqu’au bout ? Macron laissait la porte ouverte à son départ dans Le Journal du dimanche : «Si quelque chose oppose le chef d’état-major des armées au président de la République, le chef d’état-major des armées change.»
«Un homme intègre aux valeurs fortes»
Auprès de beaucoup, Villiers jouit d’une excellente réputation. Patricia Adam, présidente PS de la commission de la défense de l’Assemblée sous le quinquennat précédent, ne tarit pas d’éloges à son endroit : «Un homme intègre aux valeurs fortes, généreux et plein d’humanité.» Didier Le Bret, ancien coordinateur national du renseignement qui l’a fréquenté dans les Conseils de défense, loue son «sens de l’intérêt général» : «C’est un grand officier comme l’armée française en compte à chaque génération. Il dit la vérité, ce n’est pas un courtisan.»
Un général qui a coutume de dire ce qu’il pense. Après l’attentat de Nice, quand il a fallu rappeler des jeunes recrues qui devaient prendre du repos après dix-huit mois intenses, il a tiré la sonnette d’alarme auprès du Président de la République, raconte Le Bret.
Ce portrait flatteur contraste avec la figure bien moins consensuelle du général Puga, chef d’état-major particulier du président de la République, à l’Elysée entre 2010 et 2016. Sarkozy l’avait choisi au tout dernier moment, au détriment de Pierre de Villiers qui croyait à l’époque sa nomination pratiquement actée. Villiers sera finalement nommé à un autre poste, major général des Armées. Puis chef d’état-major, c’est à dire n°1 des Armées, en 2014, sous Hollande.
Une consécration après une longue carrière dans l’armée de terre. Saint-Cyrien, ce fou de foot devant l’Eternel, en particulier du FC Nantes, a connu l’une de ses premières grandes missions au Kosovo. En 1999, son escadron de chars Leclerc entre en premier dans ce petit Etat des Balkans, déchiré par la guerre. Les Russes viennent d’y parachuter 500 soldats et personne ne sait comment se passera cette drôle de cohabitation. Finalement sans heurts. Villiers y a aiguisé son sens politique.
«Il comprend très vite une situation» appuie Le Bret. Aujourd’hui, face à la nouvelle donne budgétaire, Villiers estime que les moyens ne suffisent pas pour les objectifs fixés. «Sa réflexion n’est pas du tout liée au lobby industriel, il faut voir le nombre de blindés qui doivent être rapatriés en France pour être détruits ou réparés !» corrige Patricia Adam. Dans le JDD, Emmanuel Macron laissait entendre que «les intérêts industriels»attisaient la bronca naissante. «Villiers incarne la mémoire des déflations continue des effectifs des armées depuis quarante ans. Le discours de Bercy sur un petit effort devient insupportable dans la durée» commente un bon connaisseur du milieu.
Après les attentats de 2015, les réductions d’effectifs sont mises entre parenthèses, des forces vives recrutées. Le chef d’état-major doit gérer l’opération Sentinelle, qui prévoit le déploiement sur le territoire national de 10 000 militaires, ensuite ramenés à 7 000. En plus des opérations extérieures. La France est en guerre au Sahel depuis 2013, au Levant depuis 2014.
Elle est intervenue en Centrafrique de fin 2013 à fin 2016. Les armées surchauffent mais obtiennent des rallonges budgétaires, à la plus grande satisfaction de Villiers qui met la question au centre de sa reconduction pour un an de plus. Chose assez inhabituelle, le général publie une tribune, pendant la campagne, avertissant les candidats – et surtout Fillon – que les coupes auront des effets désastreux.
Libération