C’est un combat sans fin. Et chaque étape suffit sa peine. Le nouveau code de la presse n’a toujours pas épuisé son processus. Adopté le 20 juin et promulgué le 13 juillet 2017, ce code dont les décrets d’application tardent à être signés, devrait assainir le milieu de la presse. Qu’est-ce qui bloque le processus ? Pourquoi les décrets d’application ne sont toujours pas signés ? Guestuinfo a tenté d’en savoir plus à travers ce dossier.
L’adoption du nouveau code de la presse en juin 2017 avait suscité un immense espoir chez les acteurs des médias. Fruit d’un long combat qui a duré 17 ans, le code de la presse n’est toujours pas appliqué du fait de l’absence de décrets d’application. Lesquels devraient préciser les modalités d’application de la loi qui a été promulguée.
Une situation que déplorent les organisations syndicales des médias. Bakary Domingo Mane, ancien président du Conseil pour l’Observation des Règles d’Ethique et de Déontologie (CORED), qui a suivi le processus de bout en bout, pointe le « manque de volonté politique » du président de la République. « On constate que depuis le vote du projet de loi relative au code de la presse, les choses ne semblent pas bouger. Et pourtant, ce n’est pas faute de volonté de la part des acteurs et du ministère. Les deux parties ont joué leur partition puisque nous avons travaillé sur les décrets d’application et le document a été transmis au secrétariat général du gouvernement. Depuis lors, les choses ne bougent pas. Pour moi, la responsabilité incombe au chef de l’État et à certains fonctionnaires de l’État», regrette le journaliste formateur. Or, argumente-t-il, le nouveau code ne peut être mis en œuvre si les textes d’application ne sont pas signés.
Mais le secrétaire général du Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal( SYNPICS) n’émet pas sur la même fréquence que Domingo Mané. Bamba Kassé impute, plutôt, la responsabilité au Ministère de tutelle qui, à ses yeux, traine les pieds. « A plusieurs reprises, le chef de l’État a été interpellé sur la question; à plusieurs reprises, il(Macky Sall) a donné des instructions pour que cela soit fait. Je le rappelle, sur trois communiqués du conseil des ministres, on a vu le sujet revenir, les instructions être réitérées. Maintenant, pourquoi les décrets n’ont pas été pris, il faudra demander ça au ministre(de la Communication) qui doit en assurer la préparation. », explique le journaliste à l’Agence de presse Sénégalaise (APS).
« Ce qui est clair, poursuit-il, c’est qu’avec le secrétariat du gouvernement, il a été procédé à la revue du texte. Même les acteurs ont pris part à cela. C’était au mois de février 2020. Et depuis lors, on est dans une sorte d’attente. ».
Rapport de force
Ce n’est pas l’avis du président du Conseil des éditeurs et diffuseurs de presse (CDEPS), Mamadou Ibra Kane. Tout comme Domingo Mané, le patron du groupe de presse AFRICOME pense que les raisons de ce blocage sont à chercher du côté de la Présidence . « Il y a une absence de volonté politique du gouvernement etdu président de la République.« , déclare-t-il. Aujourd’hui, Mamadou Ibra Kane ne se fait plus d’illusion par rapport à la question. Après 3 ans et 6 mois, il estime que « seul le rapport de force » pourra contraindre l’État à parachever le processus. Mais du côté du
Ministère de la Communication, on tient à rassurer les acteurs des médias. Amadou Kanouté, Directeur adjoint de la Communication, révèle que le dossier est dans le circuit. « Aujourd’hui, en dehors de la loi sur la publicité, dont le processus a démarré, tous les textes sont finalisés et sont dans leur dernière phase de validation juridique au niveau gouvernemental« , confie le Directeur adjoint de la communication. Ce dernier rappelle que pour être fonctionnel, la loi a besoin de textes application relatifs au Fonds d’appui et de développement de la presse (FADP) à l’autorité de régulation, à la Commission de la carte nationale de presse, aux avantages et obligations des entreprises de presse.
Ces arguments vont-ils convaincre les acteurs des médias ? En tout cas, les attentes sont nombreuses par rapport code.
Ce qui va changer avec le nouveau code
D’abord, pour Domingo Mané, le statut du journaliste va radicalement évoluer. Exit la loi « fourre-tout » n° 96-04!. « Aujourd’hui, on dira : est journaliste, celui qui est diplômé d’une école de journalisme duement reconnue par l’État. Le second aspect, est qu’on autorise à quelqu’un, qui a la licence ou un diplôme équivalent, d’effectuer un stage dans un organe de presse pendant 2 ans. À la fin du stage, il fera face à un jury qui va évaluer son stage.« , explique l’ancien président du CORED.
Autre point important, c’est la suppression du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) au profit de la Haute autorité de régulation de la communication et de l’audiovisuel (HARCA). Une structure qui verra son champ de compétence s’élargir au niveau de la presse en ligne et va veiller au respect du cahier des charges. De quoi réjouir Mamadou Ibra Kane, qui espère ne plus revivre l’incident de 2015. « Souvenez-vous que c’est le Directeur général de l’ARTP (Abdou Karim Sall) qui avait voulu fermer Walf fadjri. Ce qui nous avions dénoncé à l’époque. Aujourd’hui, il n’est plus question l’administration ferme un organe de presse. Avec le code, cela relève de la compétence de HARCA « , explique le président de la CDEPS.
Autant les entreprises de presse auront des avantages, autant elles devront aussi s’acquitter de leurs obligations. « Beaucoup d’entreprises de presse sont dans l’informel en ce sens qu’elles ne respectent pas la législation du travail. Elles ne paient ni d’impôts ni de taxes« , déplore M.Kane. Mais avec la mise en place du FADP, Bamba Kassé pense que cette anarchie sera un mauvais souvenir. « Le code va déterminer comment on doit apporter un financement public aux entreprises, publiques comme privées. (Bref), le code est le nerf de la guerre« , résume le syndicaliste. De manière plus détaillée, Amadou Kanouté explique que le FADS va non seulement « rendre viables » les entreprises de presse, mais aussi va « accompagner la formation des journalistes et des techniciens des médias, aider les radios communautaires et contribuer au bon fonctionnement de l’organe d’autorégulation. »
Carte nationale de presse
L’une des innovations majeures du code, c’est le remplacement de la carte de presse « maison » par la carte nationale de presse dont l’attribution est confiée à une Commission nationale. Sauf que cette commisssion peine à accomplir sa mission correctement faute de moyens. « La commission est entrain de travailler avec les moyens du bord. Elle n’a même pas de budget. C’est le Ministère qui se débrouille, mais c’est pas facile. Le règlement intérieur a été fait. Tout ce qui peut concourir au traitement des dossiers de candidature à la carte de presse a été fait. Incessamment, les journalistes et les techniciens seront informés du démarrage des dossiers de candidature. », informe Domingo Mané. Cette austérité imposée à la commission est, d’ailleurs, dénoncée par Bamba Kassé pour qui, l’État « a mis la charrue avant les boeufs » sur cette affaire. « La commission ne peut travailler avec ses propres moyens. C’est l’État qui doit lui donner les moyens. C’est surtout l’État, via le Fonds d’appui, qui doit assurer la pérennité de ses moyens là« , préconise le secrétaire général du SYNPICS.
Daouda Gbaya (Guestuinfo)