Les récentes manifestations des acteurs de l’informel sont symboliques de l’érosion du capital confiance, dont était crédité l’Exécutif national, devenu par la grâce de la loi d’habilitation, seul maître à bord. Non pas tant à cause de la gestion de la pandémie, certes en progression, mais loin d’avoir atteint les mêmes proportions qu’ailleurs, mais surtout à cause de difficultés économiques croissantes rencontrées par les citoyens. Les effets du programme de résilience gouvernemental seraient-ils en train de se dissiper, en moins de 2 mois ?
VERS UNE COHABITATION INÉVITABLE
Malgré tous les efforts déployés pour contenir la pandémie, on assiste quand même à une augmentation lente mais inexorable du nombre de cas susceptible de connaître, à tout moment, une accélération brusque voire exponentielle. Il apparaît, de plus en plus, que nous allons devoir cohabiter durablement avec cette pandémie, à moins qu’elle ne soit appelée à disparaître en été, comme le SRAS.
Cela ne peut aucunement vouloir dire que nous devrions baisser les bras et lui laisser le champ libre, pour obtenir une hypothétique immunité de groupe.
En attendant la découverte d’un traitement étiologique/suppressif ou d’un vaccin efficace, les autorités sanitaires n’ont d’autre choix que de poursuivre la mise en œuvre des interventions non pharmaceutiques incluant les gestes barrières. Ces techniques ont fait la preuve de leur efficacité pour ralentir la transmission du coronavirus et réduire, de ce fait, la mortalité, en permettant aux services de santé de ne pas être submergés par un flot inhabituel et massif de patients.
UNE PROMISCUITE PÉRILLEUSE
Néanmoins, la persistance du COVID-19 pourrait se révéler problématique.
D’abord, notre système sanitaire déjà très affaibli pourrait tout bonnement s’effondrer. Il risque, en effet, d’être dépassé, à cause de la prise en charge des cas graves particulièrement délicate et onéreuse, nécessitant des plateaux techniques relevés, qui sont très peu disponibles dans nos contrées.
Paradoxalement, le risque de contagion des lieux de soins a conduit, pour l’instant, à une baisse de fréquentation, qui se traduit par un manque à gagner en termes de recettes et handicape le fonctionnement des structures sanitaires. D’ailleurs, les professionnels de la santé arrivent très difficilement à concilier la lutte contre la pandémie avec les activités traditionnelles de soins, qu’il s’agisse de la lutte contre la maladie, de la santé de la mère et de l’enfant, sans oublier celle des personnes âgées, très vulnérables au COVID-19.
L’autre défi énorme que pose l’affection à coronavirus réside dans la quasi-paralysie de la vie économique, à l’origine d’une précarité sociale qui a commencé à impacter les larges masses populaires.
LE REMÈDE PIRE QUE LE MAL ?
Plus le COVID-19 s’éternise, plus les stratégies gouvernementales montrent leurs limites. Elles restent encore trop centrées sur les aspects purement médicaux, mettant l’accent sur la morbidité (nombre de cas), la mortalité (nombre de décès), les traitements (débats sur l’hydroxychloroquine, l’artemisia…).
Même la promotion d’interventions non pharmaceutiques, notamment la distanciation sociale, est parasitée par un style de gestion autoritaire, frisant l’état d’exception, avec un durcissement des peines pour non-respect des mesures édictées, de manière discrétionnaire par l’État.
Or, nous avons affaire à des populations, qui se sentent prises au piège, victimes d’une détresse morale croissante liée autant à une angoisse existentielle qu’à une paupérisation brusque sur fond de précarité préexistante.
Rien d’étonnant alors à ce que la mendicité et les agressions se développent et que des mouvements de défiance se multiplient, venant des habituels laissés pour compte auxquels sont venus se joindre les acteurs du secteur informel, ne parvenant plus à joindre les deux bouts.
POUR UNE RIPOSTE COMMUNAUTAIRE ET POPULAIRE !
À mesure que la pandémie progresse, se creuse un fossé de plus en plus béant entre les élites et les masses fondamentales.
Le mode directif de prise de décisions engageant le quotidien des citoyens est certes une habitude dans notre pays. On ne peut, non plus, occulter l’implication utile de l’administration territoriale (gouverneurs, préfets…), dans la lutte contre le COVID-19, avec toutes les pesanteurs attachées à l’héritage jacobin, comme le montre l’exemple de Goudiry.
Mais dans un contexte de paralysie de la vie économique et de pandémie appelée à s’éterniser, on assiste à une fragilisation de l’appareil d’État, dont la marge de manœuvre se réduit de jour en jour. Des facteurs tels que la gestion solitaire, l’usage abusif de la coercition, la détérioration progressive des conditions d’existence des masses populaires risquent de conduire à une détérioration du climat social voire à une crise politique.
C’est dire que le moment est venu de changer de paradigme et de promouvoir la participation des communautés à la définition, à la mise en œuvre et à l’évaluation continue de toutes les initiatives de lutte contre la pandémie à COVID-19.
Il est bon de préciser que jusque-là, les collectivités locales, les organes de participation communautaire (comités de santé, conseils d’administration, comités de forage…).souffrent d’un déficit notoire de représentativité (souvent caporalisées par le parti au pouvoir) et s’alignent le plus souvent, sans réserve, ni aucun esprit critique, sur toutes les initiatives émanant de l’Exécutif National.
Il faudrait, plutôt, mettre en place ou redynamiser des groupes de riposte communautaire composés de personnes-ressources des communautés, volontaires et engagées.
Ces acteurs communautaires ont un grand rôle à jouer dans la mobilisation des populations pour ralentir la propagation du virus (recherche de cas-contact, promotion et adaptation des gestes barrières…). Ils pourraient également superviser les distributions de produits hygiéniques, de vivres et d’intrants agricoles….etc. Ils seraient chargés de veiller à la disponibilité et à l’accessibilité des services de santé durant la pandémie. Ils auraient aussi à jouer un rôle de veille et d’alerte sur les dysfonctionnements dans la gouvernance des collectivités territoriales et des administrations locales dans la période, au moment où on envisage d’aménager des mesures dérogatoires au fonctionnement des Conseils départementaux et municipaux
Enfin, il leur reviendrait la tâche de participer au suivi et à l’évaluation des actions mises en œuvre pour juguler la pandémie à COVID-19.
Au-delà de la pandémie, il faudrait pérenniser ces initiatives de contrôle populaire, gages d’un approfondissement de la démocratie et de la prise en compte de la totalité des droits des citoyens, y compris des droits économiques et sociaux, dont celui à la Santé.
NIOXOR TINE
leelamine@nioxor.com