Que de patients transportés vers d’autres structures sanitaires ! Que de personnels de santé envoyés à servir ailleurs ! Des familles sont ainsi déplacées sans aucune forme d’accompagnement ni suffisamment préparées pour affronter cette nouvelle situation. C’est passer à côté de l’essentiel de l’avis de Tidiane Ndoye, sociologue de la santé, par ailleurs enseignant au Département de Sociologie de l’UCAD, qui regrette le renforcement des inégalités d’accès aux soins de santé au Sénégal se manifestant par la privation du malade de ses accompagnants, l’inaccessibilité aux soins de qualité et aux espaces calmes et paisibles, sachant que Aristide Le Dantec, qui avait une vue sur la mer, était l’hôpital des indigents.
L’hôpital Aristide Le Dantec sera rasé pour être reconstruit sur 3 ha. C’est un nouvel hôpital de dernière génération, conforme aux normes internationales, qui est annoncé dans une durée maximale de 20 mois. Il sera doté de 660 lits, 15 salles opératoires et une vingtaine de spécialités médicales et chirurgicales. Seulement, derrière ce rêve d’une modernité se cache une autre réalité et non des moindres : le renforcement des inégalités sociales dans l’accès aux soins de santé.
«Cela va être un vrai défi pour les femmes enceintes et la prise en charge des patients indigents»
Contacté par Source A, Tidiane Ndoye, sociologue de la santé et enseignant au département de sociologie de l’UCAD, crève l’abcès dans ce que certains appellent « la fermeture précipitée» de cet hôpital. Au bout du fil, il regrette : « Ce qui m’inquiète le plus, c’est ce que cela va occasionner en termes d’inégalités dans l’accès aux soins de santé parce qu’il y a beaucoup de malades qui n’avaient pas une couverture maladie qui allaient à Dantec ; parce que simplement l’hôpital prenait encore en charge des patients indigents, quand des personnes assez aisées financièrement choisissent l’hôpital Principal.»
«Déjà, la couverture était limitée, si on ferme un hôpital de référence cela va poser problème d’autant qu’on dit que dans plusieurs autres hôpitaux notamment Dalal Jam et Pikine, l’accessibilité financière est une exigence. C’est-à-dire que si vous ne payez pas, vous n’avez pas accès aux soins. Même pour le coût du lit par jour, l’hôpital Le Dantec était plus accessible»
Sur ce tableau, l’anthropologue dresse l’image d’un hôpital qui prend en charge une bonne partie des patients dont les moyens font souvent défaut. « Il y avait dans cet hôpital des réfections qui avaient été faites dans la maternité où les femmes accouraient en grand nombre pour accoucher d’autant que les frais étaient assez accessibles. En effet, cela va être un vrai défi pour toutes ces femmes qui allaient accoucher dans cet hôpital de référence et pour toutes les autres en état de grossesse », assure le sociologue qui ajoute : «Déjà, la couverture était limitée, si on ferme un hôpital de référence cela va poser problème d’autant qu’on dit que dans plusieurs autres hôpitaux notamment Dalal Jam et Pikine, l’accessibilité financière est une exigence. C’est-à-dire que si vous ne payez pas, vous n’avez pas accès aux soins. Même pour le coût du lit par jour, l’hôpital Le Dantec était plus accessible.»
Ainsi, notre interlocuteur, qui fait partie de ceux qui pensent que la fermeture est précipitée, estime qu’elle pouvait être graduelle. « Je vois que tout le monde est un peu dans une situation de panique. Les gens sont en train de voir là où ils doivent déménager. Tout d’un coup, tout le monde doit déguerpir. Ce n’est pas comme ça qu’on déplace des malades. Ce n’est pas comme ça qu’on déplace des personnels de santé. Je pense qu’il y avait la nécessité de faire une approche plus graduelle pour permettre de prendre en compte les besoins et puis de déménager progressivement les services pour passer dans la foulée à la phase de fermeture de l’hôpital, avant de commencer les travaux. Je pense qu’il y a une précipitation qui est difficilement explicable », regrette M. Ndoye.
«Ce n’est pas comme ça qu’on déplace des malades»
Revenant dans la foulée sur les effets sur le mental des patients, l’enseignant-chercheur de souligner : « Une maladie est parfois une situation de désespoir. Rappelons que Dantec était un hôpital qui recevait beaucoup de malades souffrant de cancer notamment les enfants. Ce sont des familles souvent en détresse, qui éprouvent des difficultés pour trouver un logement. Déplacer ces malades, c’est sans doute déplacer des familles et les pousser à devoir chercher un logement proche de l’hôpital où ils sont transférés. C’est tout un ensemble de réaménagements qui va devoir être fait tandis que nous sommes en temps de crise. Il y a moins d’offres en termes de logements puisque certains ont quitté leurs maisons du fait des inondations et cherchent des logements disponibles. Et quand on hospitalise quelqu’un, on hospitalise sa famille. Quand on hospitalise un mari, on hospitalise sa femme. Quand on hospitalise l’enfant, on hospitalise sa mère. Ce sont des impacts considérables qui nécessitent des réflexions de fond pour ne pas léser des familles.»
«Des familles vont devoir chercher un logement… Il faut des mesures d’accompagnement fortes»
En ce sens, l’ancien chef de département de sociologie pense qu’il faut des mesures d’accompagnement importantes à l’endroit des malades et des hôpitaux qui doivent en recevoir. « Je pense que les centres de santé doivent être accompagnés pour pouvoir prendre en charge les malades qu’ils ont d’autant qu’il y aura une pression sur les lits disponibles. Mieux, il faut de l’empathie vis-à- vis des familles qui sont dans une certaine détresse. Il faudra penser aux gens qui n’ont pas de réseau social, à ces gens qui n’ont pas de relations, ces personnes qui sont en errance et qui ont besoin d’aide. C’est une nouvelle situation qui s’offre à nous. Ce sont des mesures d’accompagnement fortes dont ils ont besoin, comme durant le covid où nous avons créé des centres provisoires pour gérer les malades. Il faut penser à ces choses ; comme les hôpitaux chinois rapidement construits, les tentes comme le font les militaires en temps de guerre ou de crise humanitaire pour accueillir les malades et leurs familles provisoirement.»
S’agissant de la vente d’une assiette foncière dudit hôpital, Tidiane Ndoye alerte sur les conséquences qui peuvent en découler et relatives à la nouvelle configuration de l’hôpital. A ce titre, le sociologue dira : « Je pense que si on réduit l’hôpital, les patients vont plus souffrir. Je rappelle que dans notre culture, un malade est toujours accompagné. Il y a donc la possibilité d’être au chevet de son malade, pour rester en famille et discuter, à travers des visites. Ce sont des questions très importantes relatives à la prise en charge du malade et dans la sociologie de la santé, on parle des groupes organisateurs de la thérapie. Donc, du point de vue de l’architecture, même si on va vers la modernité, alors que nos hôpitaux n’ont pas encore atteint les normes en termes d’assistance du malade, il convient de réfléchir sur ce que nous allons proposer pour ne pas priver le malade de ses accompagnants. »
Se voulant plus explicite, il poursuit : « On a vu des scandales qui se sont produits dans certains hôpitaux, qui montrent les déficits de surveillance. Ces déficits étaient palliés par les accompagnants qui venaient garder les malades et qui signalaient certains dysfonctionnements au personnel de santé. Ces accompagnants accouraient pour simplement qu’on arrête une perfusion ou pour venir voir un malade qui les inquiétait jouant ainsi un rôle de veille et d’assistance aux soins .»
«Un hôpital, ce n’est pas seulement un lieu de soins»
Soulignant qu’«un hôpital n’est pas seulement des murs mais une manière de faire, de comprendre, de savoir où est6ce qu’on en est, quel plateau technique avons-nous, pour pouvoir donner des soins de qualité », M. Tidiane Ndoye de prévenir : « Si on décide de vendre une partie de cet hôpital, il faut bien penser les choses. On a cette tradition depuis la colonisation de situer nos hôpitaux sur la côte, de donner une vue sur la mer pour profiter d’un espace calme et convivial. Car un hôpital, ce n’est pas seulement un lieu de soins. C’est un lieu de repos. Et si on a une ville et des appartements à côté, cela peut affecter l’endroit. Ce ne sera plus le calme de Dantec la nuit. Ces hôpitaux sont d’entrée pensés pour être dans des endroits où on peut avoir le calme pendant la soirée pour que les malades puissent se reposer et profiter un peu de leur hospitalisation pour récupérer le maximum possible.»
Amadou Dia (SourceA)