« Je dis aux autorités que pour assainir le secteur, pour assainir le travail et pour qu’il y ait de la rentabilité parce qu’il y a trop de charges et trop de frais, il faut laisser les 190 g à 150 fr. »
Se faufilant dans les rayons, cet homme d’âge mûr gari par sa petite taille reste dans l’incompréhension totale de cette décision. Car, la rentabilité n’est point au rendez-vous pour les producteurs et la satisfaction des consommateurs est loin de se réaliser. « Il n’y a aucun sens à mon avis, je préfère qu’on laisse intacte la production qu’on faisait et le prix auquel on vendait. Il n’y a pas de rentabilité ni du côté de la production ni du côté de la vente avec les 10g qu’on a introduits.
S’il pouvait laisser le poids de 190g et augmenter 25 fr de plus ça serait le mieux. Parce que le secteur est très large. On a l’électricité à payer, l’eau et le personnel. Je n’ai pas encore commencé à vendre le pain à 175 fr parce que je n’ai pas encore vu de décret signé. Présentement nous vendons le pain à 150fr jusqu’à nouvel ordre. Je dis aux autorités que pour assainir le secteur, pour assainir le travail et pour qu’il y ait de la rentabilité parce qu’il y a trop de charges et trop de frais, il faut laisser les 190 g à 150 fr.
« Les dirigeants ne cessent de se lamenter face aux charges et dépenses alors qu’ils ne respectent pas nos accords. Je peux citer pas mal d’ouvriers qui, aujourd’hui, ne sont même pas payés… »
Dans cette boulangerie, un ouvrier est en train de pétrir la pâte pour la sortie du soir. Contrairement à un bon nombre des sénégalais, il soutient la hausse du prix du pain. Debout devant sa table pleine de farine, avec des coupons éparpillés et d’autres sur la balance, ce dernier, voulant garder l’anonymat, estime que la hausse du poids facilite leur travail. Du haut de son 1m80 il est possible de remarquer que cet homme prend de l’âge mais malgré tout cela continue d’exercer ce métier pour ne se retrouver qu’avec 200 francs à chaque fin de journée. «En effet, plus le poids est léger, plus le pain est difficile à préparer», soutient-t-il. Par conséquent, ce père de famille pourtant boulanger n’a pas manqué à dire tirer sur les dirigeants des boulangeries. Car, dit-il, non seulement le salaire est misérable mais le versement n’est pas régulier.
« Les dirigeants ne cessent de se lamenter face aux charges et dépenses alors qu’ils ne respectent pas nos accords. Je peux citer pas mal d’ouvriers qui aujourd’hui ne sont même pas payés. Et si nous faisons recours, les plus haut placés du syndicat seront soudoyés et l’affaire n’aboutira jamais à rien. Nous ne sommes pas légaux, mais nous n’avons pas le choix. Ce qui est triste, c’est que nous faisons la plus grande part du travail et nous avons les salaires les plus misérables », martèle-t-il.
« Il est mieux de manger du pain cher que de ne plus en manger ».
Le secteur agricole sénégalais n’est pas épargné dans cette histoire. Pour Oumar Pouye, technicien en multimédia et production de film, le gouvernement doit en tirer des leçons et se pencher davantage sur l’essor de l’agriculture de ce pays. Avec une dégaine pas très attractive, installé devant sa machine, l’infographe souligne que c’est sans surprise que le coût de la baguette augmente, parce que les boulangers qui sont les plus proches des populations vulnérables ont été les premiers à demander à ce que l’état restitue le prix. Donc, pour lui, l’heure n’est pas au point pour se lamenter après un surplus sur le poids du pain. « On ne pourrait pas échapper à une telle décision, que ça soit Assome Diatta ou son prédécesseur, la donne n’aurait pas changé. Car, notre économie rurale est déplorable. On ne cultive pratiquement rien. On ne mange que des produits importés », fait-il remarquer.
S’agissant de notre indépendance agricole, il dit : « Le blé est importé donc si le vendeur prend la décision d’augmenter son prix on ne fera que nous plier. Car, il est mieux de manger du pain cher que de ne plus en manger. Toutefois nous sommes tous impactés. Nos enfants qui doivent aller à l’école chaque jour en souffriront. La vie devient de plus en plus chère et l’argent reste indéfrichable. Je demande aux autorités d’arrêter de nous leurrer avec les bourses ( bourses familiales sociales, ndlr) que personne ne voit. Des bourses qui aujourd’hui nous ont coûté cher on préfère largement les subventions que d’octroyer des sommes insignifiantes pour ensuite en soutirer le double voir le triple. Nous n’avons pas besoin de ce changement, nous étions bien avant tout cela », s’offusque Oumar Pouye.
« Faites comme moi, mangeons localement et laissons les occidentaux avec leur nourriture surexploitée. »
Tout juste à côté, son collègue déguste minutieusement sa tasse de bouillie de mil. Toujours avec la même dégaine que son camarade, le technicien porte des dreadlocks (cadenettes) mi long. Ignorant complètement la flambée du prix des denrées surtout la plus récente (le pain), il a adopté l’attitude de quelqu’un qui manifeste une indifférence totale à l’égard des événements du pays. « Je ne savais même pas que le prix du pain allait augmenter. Comme vous l’avez vu, cela fait des mois que je ne mange que des produits à base de mil. Parce que tantôt ça augmente tantôt, les boulangers sont en grève, moi personne ne conditionne ma vie. Je suis « baye fall » (une branche de la confrérie des Mourides fondée par Cheikh Ibrahima Fall). Et je vis pleinement. Faites comme moi, manger localement et laissons les occidentaux avec leur nourriture surexploitée», prône-t-il,
Plus posé, il ajoute: « Si cette décision est avérée cela impactera négativement les dépenses quotidiennes de nos mamans. Elles se lèvent tôt, elles travaillent d’arrache-pied pour subvenir aux besoins de leurs enfants. Donc cette hausse n’est pas insignifiante », déplore le technicien.
« Nous avons besoin de l’empathie de nos autorités », estime une mère de famille nombreuse.
Ici à Diokoul Kaw à Rufisque, dans une maison typiquement « lébou » une communauté au Sénégal. Traditionnellement pêcheurs mais aussi agriculteurs, ils sont concentrés dans la presqu’île du Cap-Vert (Dakar) qu’ils occupent déjà à l’arrivée des premiers colons dans la région. Ils parlent wolof depuis les origines. Cette cinquantenaire, mère de famille, est entourée de ses enfants et petits-enfants à l’heure du petit déjeuner. C’est devenu coutume, au Sénégal, de manger du pain chaque matin; Awa Samb ne compte pas changer la donne peu importe le prix du pain.
Assise sur sa natte, vêtue d’un grand boubou comme la plupart des mamans sénégalaises avec son foulard, elle partage plusieurs tranches de baguettes à chacun de ses petits sur le point d’aller à l’école. Même si le prix devient de plus en plus salé, Awa ne compte pas changer ses habitudes. D’un ton très calme, elle dit : « Nous avons besoin de l’empathie de nos autorités. Imaginez un parent qui doit acheter chaque jour plus de 5 kilo de pain, du lait et tout ce qui va avec, le déjeuner et le dîner et qui, plus souvent, est retraité ou n’a même pas un salaire apte à couvrir ces dépenses ! C’est alarmant et on en a marre de cette série de hausses des denrées !»
Poursuivant, elle a tiré fort sur le gouvernement en déplorant les promesses incessantes à chaque veille d’élections. « A chaque sortie, le président ne cesse d’énumérer des milliards que personne ne voit. Ou du moins, qu’il se partage entre autorités et laisse les familles vulnérables. Macky Sall doit se rendre à l’évidence, soutenir les populations et ne pas oublier qu’on a été là pour lui et qu’il aura besoin de nous sous peu. Nous attendons les solutions pour soulager ce calvaire », estime Awa Samb.
Aissatou TALL, (Stagiaire-Actusen.sn)