A ce jour, les employés du Secteur privé se sentent de plus en plus exploités et lésés par le patronat face aux opportunités de la fonction publique. De nos jours, les travailleurs du secteur privé tendent à migrer vers la Fonction publique si l’opportunité se présente.
Le Secteur privé assure environ 90% de l’emploi dans les pays en développement. Les entreprises privées et leurs activités lucratives fournissent des biens et des services essentiels qui améliorent la vie des individus, génèrent des recettes fiscales intérieures et sont indispensables pour stimuler la croissance économique.
Donc, si aujourd’hui, ces employés tendent à vouloir transhumer dans la fonction publique, il y a sûrement une raison. En effet, deux enquêtes spécifiques menées dans la région dakaroise montrent que les rémunérations nominales dans le privé sont demeurées quasiment inchangées alors que les fonctionnaires de l’Etat bénéficient des augmentations salariales.
La preuve, dans le secteur éducatif, récemment, les professeurs du secondaire, ont obtenu une hausse de salaire de 178 000 Fcfa en 2022 et qui passera à 225 000 F Cfa en 2023.Pour les professeurs des Collèges, c’est une augmentation de 164 000 Fcfa en 2022 et 209 000 Fcfa en 2023.Les instituteurs percevront une augmentation de 128 000 Fcfa en 2022 et 158 000 Fcfa en 2023 ; les instituteurs adjoints 105 000 Fcfa en 2022 et 135 000 Fcfa en 2022. Ces augmentations salariales ne concernent que les fonctionnaires.
Ce fait pousse les travailleurs du secteur privé à se considérer laissés aux oubliettes. Journaliste dans un média privé en France, Mouhamadou Fallilou apporte son analyse. En congé pour quelques semaines, le trentenaire s’est accordé quelques semaines pour se ressourcer sur sa terre natale. Issu d’une famille d’un père journaliste et d’une maman enseignante, il a fréquenté les deux milieux avant d’aller continuer ses études à Paris.
Devant son domicile, il confie que le secteur public en ce moment paie mieux et travaille moins. «Dans la fonction publique les charges ne sont pas conséquentes alors que les employés du privé au Sénégal sont obligés de tout gérer sans rien attendre de personne. J’en sais quelque chose parce que j’ai fait 3 bonnes années dans une entreprise privée. C’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à aller à l’extérieur pour renforcer mes études. Et, peut-être que je reviendrai», affirme notre interlocuteur avec un ton taquin.
Poursuivant, il illustre ses propos ainsi : «Dans les médias publics, les journalistes sont très bien rémunérés. Ils respectent à la lettre le droit des travailleurs. Un stage dans le public est mieux rémunéré que certains contrats du privé. Ça peut se comprendre d’une part parce que les patrons de presse du secteur privé ne comptent que sur eux-mêmes. Donc, les journalistes ne peuvent pas être au même pied. Il y aura sûrement certains qui seront au-dessus au niveau du paiement et c’est bien évidemment ceux qui sont dans le public».
Pour lui, personne ne crachera dessus si l’Etat apporte son soutien aux employés du privé. Les entreprises privées ont un rôle fondamental. Les ressources financières du secteur privé en faveur du développement figurent au premier plan du programme des organismes donateurs. En sus, poursuit-t-il, dans de nombreux pays en développement, le secteur privé joue un rôle essentiel dans la production de marchandises et de services destinés à l’exportation, ce qui génère des devises étrangères (indispensables à la stabilité macroéconomique) et permet aux entreprises d’élargir leurs possibilités de production, de réaliser des économies d’échelle et d’améliorer leur compétitivité.
M. Sarr : «J’ai comme l’impression que le gouvernement nous oublie un peu. Nous ne faisons partie d’aucun programme. Nous revendiquons des aides pour un peu de motivation au moins»
Enseignant depuis plusieurs années dans une école de formation et en même temps dans un lycée privé à Ouakam, Monsieur Sarr se sent plus concerné par cette question. En effet, quelques mois plus tôt, cet éducateur a vu ses collègues du public bénéficier de l’accord entre le syndicat des enseignants et l’Etat. Avec une hausse de salaire bien conséquente. Encore une couche qui pousse ce soldat de la craie qui est pourtant bien payé, à épouser de plus en plus l’envie de transhumer.
Dans une salle de classe, en préparation des cours de vacances, il corrige des devoirs. Devant son bureau, chargé de copies, il déclara : «Ce qui nous pousse à vouloir changer de cap, c’est juste le fait que parfois l’Etat nous oublie. Ou parfois aussi, il peut bien participer mais je me dis que nos patrons ne sont pas aussi honnêtes pour partager équitablement les aides étatiques. Ils choisissent, par affinité, ceux qui bénéficient de promotion, de traitement salarial décent , prise en charge dans les institutions sociales : «Dans le privé, nous n’avons pas d’assurance: tu peux du jour au lendemain perdre ton travail. Je pense aussi que les patrons de la fonction privée manquent un peu d’honnêteté. Ils s’enrichirent de plus en plus et nous, nous restons l’appât et le sacrifice !»
«Tout récemment, nos confrères du milieu ont reçu des augmentations salariales. On n’a jamais goûté à cela. On entend juste les gens en parler. On ne se plaint pas mais c’est un peu frustrant de souvent voir des gens avec qui nous avons fait les mêmes formations évoluer. J’ai comme l’impression que le gouvernement nous oublie un peu. Nous ne faisons partie d’aucun programme. Nous revendiquons des aides pour un peu de motivation au moins», conclut-t-il.
Mor Niang : «Dès 6 heures du matin, nous sommes sur pied. Parfois, nous travaillons jusqu’à 23 heures passées. Pourtant, les receveurs de l’Etat, (Ddd), ont un emploi du temps précis, bénéficient même des jours de congés et ont un salaire largement raisonnable.»
Stéphane, qui est lui aussi enseignant, vient en appui. Au début, c’était un rêve pour lui de fréquenter les entreprises privées. « Elles payaient mieux et respectaient les codes du travail. Mais au fil du temps, la roue a tourné. Quand on parle maintenant d’augmentation, ce sont les fonctionnaires qui en profitent. On se sent délaissé. Ou bien nous ne sommes pas sénégalais et employés comme les autres », s’interroge-t-il.
Pourtant, déclare-t-il, globalement en Afrique, il y a eu une hausse des salaires de l’ordre de 16% entre 1999 et 2009. Le continent est d’ailleurs très proche du niveau mondial. Au Sénégal, la hausse de 2,5% concerne les fonctionnaires, alors que dans le secteur privé, la stagnation semble être la norme. Deux enquêtes spécifiques menées dans le secteur informel révèlent qu’en région dakaroise, les rémunérations nominales sont demeurées quasiment inchangées.
«Nous participons au fonctionnement du pays. Avec nos impôts l’Etat gère ses dépenses. Quelques milliards pour motiver les agents du secteur privé ne lui feraient pas de mal. Ce pays marche grâce au secteur privé. Les entreprises publiques ne sont là que pour leur propre tête. Alors les privées se battent jour et nuit pour sortir la tête de l’eau. En tout cas moi, si je décroche un contrat dans le public, je n’hésiterai pas à y aller !»
Ce phénomène touche tous les secteurs, celui du transport en particulier. Le sentiment le mieux partagé entre ces travailleurs, c’est l’absence de la mainmise de l’Etat dans leurs activités. En effet, une/un contrôleur et receveur de transports publics gagne normalement entre 66 171 CFA et 163 751 CFA net par mois au début de son contrat. Après 5 ans d’ancienneté, ce salaire est passé de 74 842 CFA à 233 519 CFA par mois pour une semaine de 40 heures alors que dans le privé, de telles normes ne sont pas souvent respectées.
Dans leur terminus, ces receveurs se font supplier pour parler de ce sujet qui leur tient tant à cœur. Mor Niang, porte-parole de ces jeunes gens, soutient : «Nous avons des salaires qui ne peuvent même pas entretenir une famille sénégalaise. On commence le travail à l’aube. Dès 6 heures du matin, nous sommes sur pied. Parfois, nous travaillons jusqu’à 23 heures passées. Pourtant, les receveurs de l’Etat, (Ddd), ont un emploi du temps précis, bénéficient même des jours de congés et ont un salaire largement raisonnable. Contrairement à nous qui travaillons dur pour gagner des miettes en retour. Tout le monde sait qu’un salaire de 80 000 Fcfa ne peut pas gérer une vie décente dans la capitale. C’est compliqué et si on ne vous ment pas, si nous trouvons l’opportunité de virer, nous le ferons sans hésiter. Chacun mérite un salaire décent qui prenne en compte tous les règlements sans oublier les primes et les augmentations !»
Aïssatou Tall (Actusen.sn)