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Contribution

La désertification, cette autre calamité à combattre

Certaines théories conspirationnistes prétendent que le virus de la covid 19 aurait été fabriqué pour décimer les populations africaines. On ne sait pas ce que valent de telles théories, mais ce qui est sûr, c’est que les fabricants d’un tel virus seraient vraiment mal inspirés. Si les ressources naturelles de l’Afrique sont convoitées au point de nécessiter de telles intrigues, pourquoi ne pas tout bonnement patienter le temps de laisser la nature faire sa sinistre besogne ? L’exemple du péril de la désertification pourrait être donné ici. L’avancée du désert est certes un danger, mais le plus grand péril qui guette un pays comme le Sénégal, c’est moins la désertification que l’absence de prise de conscience du phénomène lui-même. Comment seront le nord et le centre du Sénégal dans cinquante, cent ans, … ?

Avec une cette pression du désert, rien ne pourra retenir durablement les populations dans les campagnes et dans les zones éplorées. Et malheureusement on a l’impression que nous ne sentons pas le délabrement avancé de notre environnement naturel. Pire, la cupidité et l’arrogance poussent les gens à aller conquérir les derniers bastions de forêt qui restaient au Sénégal : le sud du pays est en train d’être sauvagement profané, dévasté sans scrupule. La déforestation de la Casamance pose aujourd’hui un problème d’équité, un problème moral et, par conséquent, des problèmes politiques qu’il aisé de deviner. Il ne faut pas fuir les problèmes qu’on a aidé à créer, il faut les affronter pour leur trouver les solutions. Les singes ont le droit d’errer et de suivre servilement la générosité parfois capricieuse de la nature, mais nous sommes des hommes. Notre vocation, c’est d’apprivoiser la nature, de ne pas dépendre de son cycle. La différence fondamentale entre l’homme et l’animal dit-on, réside dans la capacité du premier à domestiquer la nature, là où le second se contente de s’adapter.

Le nord et le centre du pays sont en train d’être dévastés par le désert, et on ne sent aucun signe de riposte. Il nous faut accepter le défi que nous lance le désert ; mieux, il faut en faire une opportunité. Les grands peuples comme les grands hommes s’élèvent par la nature des défis qu’ils relèvent. L’idée de la grande muraille verte est certes une bonne vision, mais il faut aller plus loin : il nous faut une politique de reforestation du Sénégal. Ce que Ali Haïdar a fait avec la mangrove devrait servir de déclic et d’émulation. Ce monsieur n’a pas sa place dans un bureau climatisé à Dakar, notre nation doit l’aider à sortir tout son génie et à le mettre au service de son pays. Monsieur Haïdar pourait être le premier sénégalais à remporter le prix Nobel, mais auparavant il peut être à l’origine de la plus grande révolution écologique de l’Afrique.

Il nous faut une Agence autonome de reforestation du pays (je dois préciser que je n’ai jamais vu ce monsieur, je ne le connais point !) et une véritable politique d’aménagement du territoire ayant comme levier l’écologie. Confions cette Agence à ce Monsieur et laissons-le faire ce que Franklin D. Roosevelt a fait avec son New deal. En Mars 1933, pour lutter contre le chômage Roosevelt présente au Congrès son CCC (Civilian conservation corps). Il s’agissait pour lui de faire d’une pierre deux coups. En effet, pour lutter contre le chômage dû la dépression, ce projet a recruté 250 mille jeunes de 18 à 25 ans avec comme mission de reboiser les forêts, d’assécher les marais, de construire des routes. En échange d’un salaire de 30 dollars par mois, dont 25 sont envoyés à leur famille, ces jeunes ont accompli des miracles qui ont pu profiter aux fermiers durement touchés par la crise. Rien ne s’oppose à ce que cet exemple soit calqué dans notre pays pour lutter contre ce grand fléau qu’est le désert.

L’homme qui disait avec beaucoup de rhétorique que « la seule chose dont nous devons avoir peur, c’est de la peur elle-même » est allé plus loin. En effet, le 18 Mai de la même année il crée le Tenenessee Valley Authority[1]  (TVA) : cette Autorité était chargée de faire fonctionner la centrale hydroélectrique de Msuscle Shoals construite durant la première guerre mondiale et de construire 27 barrages pour contrôler le cours du fleuve Tennessee et limiter ainsi les inondations. Grâce à cette TVA, Cinq millions de personnes ont eu accès à l’électricité en plus d’un programme de reboisement de la région. On entend parfois dire que les Sénégalais n’aiment leur pays, qu’ils n’ont pas de civisme ; mais leur a-t-on toujours donné l’opportunité de faire éclore leur patriotisme ? Le sentiment patriotique n’est pas l’effet de la nature, il est cultivé : il faut lui trouver des ressorts adéquats. Comment comprendre que ces centaines de jeunes qui se mobilisent au point de risquer leur vie pour leur club de quartier ne soient nullement animés de sentiment patriotique ? Il y a certainement des ressorts cassés et il s’agit de les ressouder.

Il nous faut gagner cette bataille parce que c’est pour nous une question de survie. Il n’est pas question de céder nos terres à des chinois ou à des européens : ils risquent de nous chasser de nos propres terres avec les investissements qu’ils sont prêts à faire. Les grands travaux dans les grandes villes ne suffisent jamais à développer un pays. En s’inspirant de ces projets de Roosevelt, on pourrait à la fois lutter contre le chômage et reforester notre pays. Et puisque la culture est la base de tout développement, pourquoi ne pas appuyer sur le levier culturel pour accélérer le processus ?

Dans la région de Diourbel par exemple, une bonne entente avec les autorités religieuses serait une aubaine pour une telle Agence. Il nous faut une révolution culturelle pour nous réconcilier avec notre pays et surtout avec le culte du travail. Notre mission sur terre ne peut pas être dignement remplie si nous ne pouvons pas rendre la terre plus agréable. Chacun d’entre nous veillerait à ce que le village que son guide religieux lui a confié se développe avant qu’il ne vienne lui rendre visite : comment pouvons-nous alors négliger la terre que Dieu nous a confiée ? Notre pays gagnerait d’ailleurs à instituer une journée de don de soi à la patrie : bësu Askan wi. Une telle journée serait célébrée non dans l’allégresse festive, mais dans l’abnégation et la propédeutique au patriotisme. Chaque sénégalais devrait faire quelque chose qu’il pourrait présenter à ses compatriotes comme don à la patrie, ou, en l’occurrence, comme participation à l’effort de guerre contre le désert : planter un arbre, nettoyer les villages et quartiers, prêter main forte à des ouvriers dans des travaux d’intérêt public, rendre salubres les marchés, habiller un talibé, faire des dons aux centres de santé et aux écoles, donner un jour de salaire pour les salariés, etc. Mobiliser le peuple n’est jamais facile, mais avec une communication qui s’appuie sur les différentes autorités du pays, on pourrait le faire autour de grands défis à relever.

Ce que Roosevelt a fait ne nous est d’ailleurs pas étranger, car les villages du Sénégal ont ce genre de tradition : la notion de bois sacré est le symbole d’une conscience écologique très en avance sur la modernité. On pourrait également convier à la réalisation d’un tel projet des particuliers pour la réalisation de forêts privées : il en existe un peu partout dans le monde. Pour dire encore un mot sur la place centrale de la culture dans toute politique de développement, il faut regretter le délaissement dont le site de Ngayy Mékhé fait l’objet dans les politiques publiques. Avec un peu de volonté politique Ngaay pourrait devenir le Marrakech du Sénégal ; mais pour ce faire, il faudrait que la zone devienne à la fois une ville artisanale et une zone touristique. La première bataille à remporter pour y arriver, c’est un reboisement intensif des zones environnantes et (pourquoi pas ?) un lac artificiel : les investisseurs y trouveraient des opportunités à exploiter dans le domaine touristique.

Alassane K. KITANE

[1] Source : https://fr.wikipedia.org/

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