Le contexte politique est très tendu au Sénégal. Les autorités religieuses dont le rôle a toujours été de pacifier l’espace social se retrouvent être la cible des critiques de toutes formes. SourceA s’en est ouvert au sociologue Djiby Diakhaté qui a fait l’historicité de l’autorité religieuse, avant de la confronter à cette nouvelle dynamique d’ordre mondial pour arriver à proposer une piste de sortie. Entretien !!!
Source A : On constate une sorte de démystification de l’autorité religieuse en ce sens qu’il lui est reproché jusqu’à son manque de neutralité ou son immixtion dans la chose politique. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
Pr Djiby Diakhaté : Mon avis est que si on fait l’histoire des confréries religieuses au Sénégal, on se rend compte qu’au départ on avait des communautés essentiellement organisées autour de la famille. La famille a toujours été la cellule sociale de base et c’est à l’intérieur de ce noyau familial que l’on inculque à l’individu les premières valeurs ainsi que les premières sagesses qui devaient par la suite orienter l’individu. D’ailleurs, on avait un mode d’habitat traditionnel et qui poussait les gens à dire Keur comme chez les Ouolof : Keur Massar ? Keur Ndiaye Lo. Tout cela montre évidemment que dans l’espace habité, tous les membres entretiennent des relations de parenté ; et sous ce rapport, on considère que le respect de l’autorité relevait d’une manière générale de l’ancêtre fondateur de la localité et qui porte le nom de la localité. Ainsi le respect de l’autorité a toujours été un élément important.
Les confréries ont, dans une certaine mesure, prolongé cette tradition. Cela veut dire que dans chaque cadre confrérique, le Khalife est toujours la personne la plus âgée dans le lignage et qui, dans une mesure, cristallise l’autorité et constitue le pôle à partir duquel les directives sont données ; lesquelles directives sont en principes en adéquation avec les exigences du Coran et avec la tradition prophétique.
«L’autorité religieuse dans ce contexte semble être à la croisée des chemins »
Si on présente la chose comme ça, on peut comprendre aisément que les figures religieuses au Sénégal ont toujours joué un certain rôle dans l’espace social, politique et économique, y compris pendant la période coloniale en se présentant comme des vitriers contre les formes d’agressions qui venaient de l’administration coloniale. Donc ces autorités religieuses ont protégé les populations pendant tout le temps que le colonisateur s’est installé dans nos pays et avait exposé nos compatriotes à une administration de domination. On peut comprendre que jusqu’à l’indépendance, les figures religieuses ont joué ce rôle.
« Ce qui lui donne une crédibilité, c’est leur capacité à transcender les clivages politiques »
Il s’est agi de protéger la religion, il s’est agi aussi d’accompagner le pouvoir politique pour faciliter la compréhension de ses directives au niveau des populations et faciliter les relations avec les administrés. Ainsi, les figures religieuses ont joué un rôle important en termes de médiation entre l’autorité politique et la masse citoyenne et précisément la masse paysanne.
Maintenant, il faut voir que dans les années 80, on a assisté à une sorte d’explosion du phénomène partisan au Sénégal avec l’existence de plusieurs partis politiques, de plusieurs procès politiques. Et chemin faisant, une décennie après, on a assisté à une sorte de crise des idéologies à la suite de la chute du mur de Berlin. Il s’est posé alors un problème d’orientation idéologique au niveau de l’action politique qui fait qu’aujourd’hui il y a une multitude de formations politiques, chacune revendiquant la meilleure offre donnée aux populations en termes de prise en charge de leurs préoccupations.
« Je crois qu’il faut savoir raison garder »
Parallèlement, on a assisté à l’érection de nouveaux supports de communication de masse, notamment à travers le téléphone portable, l’internet et l’ordinateur. Donc, on s’est installé dans des territoires digitaux qui favorisent non seulement l’anonymat, mais aussi la possibilité d’atteindre à un temps réel un public excessivement large et valide. Et lorsque vous combinez toutes ces choses, vous avez une situation qui me semble plus ou moins explosive qui n’a pas toujours été bien circonscrite et bien comprise par tous les acteurs.
L’autorité religieuse dans ce contexte semble être à la croisée des chemins. Autant dès fois on voit qu’il y a un pouvoir qui peut poser des actes allant dans le sens de l’oppression du peuple, d’une sorte de dérive dictatoriale, autant on peut voir une opposition qui peut faire dans la dénonciation et dans la menace. Nous avons à partir de ce moment là une situation assez complexe qui met face à face des camps dont les intérêts sont opposés.
« L’autorité religieuse doit intervenir sur deux registres »
Mais, en réalité, c’est le phénomène partisan qui pose problème. Quand le phénomène est partisan et qu’il est plus émotif que rationnel. Cela veut dire qu’on attend de l’autorité une défense de l’intérêt supérieur de la masse. La position de l’autorité ne doit pas être une position émotive ou partisane. C’est une position rationnelle qui est arrimée sur les intérêts de la masse. De la même manière pendant la période coloniale, la position de l’autorité était arrimée sur les intérêts de la masse paysanne qui était malheureusement exploitée par le colonisateur. C’est moins une remise en question de l’autorité, mais une position critique par rapport à tout ce qui est partisan.
Source A : Mais, au rythme où vont les choses, le déclin de l’autorité religieuse n’est-il pas programmé ?
Pr Djiby Diakhaté : Je ne pense pas. Car, l’autorité religieuse dans ce contexte-là doit intervenir sur deux registres. Le premier registre est celui du préventif qui consiste à regrouper tous les acteurs politiques au-delà de leur orientation et de leur discours et mettre essentiellement l’accent sur la confraternité religieuse. Cela suppose bien entendu une posture d’équidistance par rapport à ces formations politiques et une certaine hauteur par rapport à certains discours qui sont tenus et donc mettre plus l’accent à partir de cette forme-là sur l’intérêt du peuple tout entier dans une dynamique préventive.
« A chaque fois que nous nous approchons des élections, nous sommes dans une situation d’emballement »
L’autre dynamique est plutôt curative. C’est lorsque le problème se présente. On l’a vu dernièrement avec les évènements de mars 2021. Lorsque la crise est présente, l’autorité religieuse joue finalement un rôle d’arbitre. Ce qui lui donne une crédibilité, c’est leur capacité à transcender les clivages politiques et à s’installer dans une dynamique de conservation et de défense de l’intérêt national.
« …Ne pas saper le fondement sur lequel repose en partie la stabilité de notre société »
Toutefois, je crois effectivement que les autorités religieuses sont dans cette dynamique de défense de l’intérêt national. Sauf que maintenant lorsque leur posture rencontre les préoccupations d’une formation politique, on a tendance à applaudir, mais lorsque le discours va à contre-courant des intérêts spécifiques d’un parti, alors on a tendance évidemment à jeter l’opprobre sur elles. Je crois qu’il faut savoir raison garder et savoir que nous sommes dans un contexte géopolitique, marqué par beaucoup de distancions et de crises – les pays qui sont limitrophes du Sénégal sont en conflits – et je crois que les confréries ont toujours joué un rôle de pacification et de médiation. D’ailleurs, elles ont promu très largement une sorte de solidarité pluriethnique en mettant l’accent sur une démarche trans-ethnique qui promeut surtout la confraternité religieuse. Je crois que c’est un patrimoine excessivement important qu’il faut préserver à tout prix et qu’il faut amener les autres à savoir raison garder et à ne pas saper le fondement sur lequel repose en partie la stabilité de notre société.
Source A : A l’époque, Macky Sall himself déclarait que les chefs religieux sont des citoyens ordinaires. Cette dynamique n’est-elle pas une sorte de prolongement ?
Pr Djiby Diakhaté : Vous savez, à chaque fois que nous nous approchons des élections, nous sommes dans une situation d’emballement. On a l’impression que les gens perdent la raison. Cela va dans tous les sens et avec les nouveaux outils qui favorisent l’anonymat les gens se permettent de dire ce qu’ils veulent, même d’insulter. Et aujourd’hui, c’est une vraie crise d’autorité. Ce n’est pas seulement l’autorité religieuse. Ce sont toutes les formes d’autorité qui sont attaquées et je crois qu’il faut simplement rappeler les uns et les autres aux principes fondamentaux qui ont toujours déterminé le fonctionnement de notre société.
Propos recueillis par Amadou Dia