Le professeur d’histoire moderne et contemporaine, Mor Ndao, a appelé à revoir « symboliquement » le procès des 35 rescapés du massacre des tirailleurs sénégalais, le 1er décembre 1944 à Thiaroye, et qui ont été condamnés « pour rébellion » le 5 mars 1945 à des peines allant jusqu’à 10 ans de prison.
« Il se pose un devoir moral de revoir ces procès symboliquement. Oui, il faut revoir ces procès symboliquement. Et remettre les choses à l’endroit », a plaidé l’historien spécialiste des questions militaires dans un entretien avec l’APS en prélude des cérémonies de commémoration du 80e anniversaire du massacre de Tirailleurs sénégalais à Thiaroye.
Le professeur Mor Ndao rappelle qu’en 1947, il y a eu une pression de l’opinion internationale pour exiger la libération des 35 survivants de ce massacre de Thiaroye condamnés par l’armée coloniale française. Ils ont été tous amnistiés, selon le professeur, précisant qu’il ne s’agit pas d’annulation des peines. « Ce qui pose le devoir moral de revoir ces procès symboliquement », martèle-t-il.
Certains descendants de ces tirailleurs se battent encore aujourd’hui aux côtés de l’avocat français Hervé Banbanaste pour leur réhabilitation, a fait savoir récemment le média français France 24.
Le nombre de tirailleurs tués dans ce massacre reste une question entière, selon M. Ndao qui parle de trois versions différentes.
La première version constituée des témoignages de la population de Thiaroye note que le jour et le lendemain du massacre deux grandes fosses ont été creusées par des bulldozers au niveau du cimetière des soldats indigènes qui se trouve sur l’actuelle route nationale. « Elle (population) dit qu’on a creusé deux grands trous. La pelleteuse est venue mettre les corps. On les a ensevelis. Ensuite, on a mis des branches, etc », relate-t-il.
La deuxième version fait état de 35 tombes individuelles vues le lendemain. « Et on a mis des corps sur les tombes individuelles d’après les témoignages recueillis », précise M. Ndao qui estime que ce sont les 35 tombes qui sont actuellement au cimetière militaire de Thiaroye. « On estime que ce sont les blessés qui sont décédés à l’hôpital militaire de Ouakam et amenés à Thiaroye. Certains même ont été exécutés là-bas », dit -il.
La troisième version évoque des fosses dans le camp. « Cela signifie que ceux qui sont morts ont été enterrés sur place parce que c’est plus sécurisant quand on cache, il ne faut pas déplacer », pense l’historien.
Après le massacre, l’administration coloniale a arrêté 45 tirailleurs qu’elle a fait prisonniers et défiler dans les rues de Dakar avec les menottes. Sur ces 45 personnes, 35 seront jugés devant le tribunal militaire de Dakar le 5 mars 1945 et condamnés à des peines allant jusqu’à 10 ans de prison.
Le flou des chiffres sur les disparus
Quant vingt ans après, le nombre de morts est toujours inconnu, souligne l’historien. Selon lui, en interrogeant les statistiques, entre ceux qui sont rentrés, 1 300, et ceux qui sont rapatriés, il y a un trou de 200, 191, 200 soldats.
« Mais quand on interroge les 300 perdus de vue aussi qui pouvaient être intégrés dans le dispositif, on peut se dire qu’il y avait 400 disparus », estime le professeur Ndao.
La version officielle parle de 35 morts en plus du sergent soudanais tué à la gare de Dakar parce qu’il avait refusé d’embarquer dans le train.
« Lorsque l’ancien président français, François Hollande, est venue à Dakar en 2014 pour remettre les archives au président de la République Macky Sall, on a parlé de 74, 70 voire 114 morts », souligne encore le spécialiste des questions militaires.
Il a rappelé que le professeur Mbaye Guèye, l’un des premiers historiens sénégalais à écrire sur ce massacre, parle de 191 morts. Les historiens sénégalais Cheikh Faty Faye et Abou Sow aussi ont écrit sur ce drame.
Aps