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Mauvais résultats des écoles du public par rapport à celles du privé : le diagnostic des acteurs du secteur

Avec l’apaisement du climat social dans le secteur de l’éducation, l’espoir est permis pour l’école publique sénégalaise qui traîne, chaque année, les pieds derrière l’école privée en matière de résultats. Même si les avis divergent sur l’origine des «mauvais» résultats malgré les milliards injectés par l’Etat dans le domaine, les acteurs s’accordent à dire que les choses peuvent s’améliorer. Pour ce faire, certains pensent qu’il est impératif de respecter davantage le quantum horaire mais aussi et surtout de renforcer la capacité des chefs d’établissement et   des inspecteurs en charge du contrôle et de l’encadrement des enseignants. Selon toujours les acteurs, l’accompagnement et le suivi à domicile des parents sont nécessaires.      

La qualité de l’éducation ne se mesure pas, en termes de pourcentage. C’est, du moins, l’avis de l’inspecteur Momar Talla Beye qui estime que le faible taux de réussite dans l’école publique par rapport à celle du privé ne veut pas forcément dire que les acteurs pédagogiques du système ne se donnent pas à fond pour permettre aux élèves du public d’avoir les mêmes chances que leurs camarades du privé. «Comparer l’école publique à celle privée en termes de pourcentage peut conduire à biaiser les résultats. Si vous avez cinquante élèves qui font l’examen et qu’un seul élève échoue, ce n’est pas bon. La norme, c’est que tout le monde réussisse. Mais il y a beaucoup d’agrégats qui ne permettent pas que le monde réussisse.

Dans les écoles publiques comme Mariama de Gorée, le Lycée d’Excellence de Diourbel, elles ont 100%. Si vous voyez ces résultats, vous vous dites que ces élèves sont mis dans de bonnes conditions pour réussir. Ils sont à l’internat, ils ont de bons enseignants et ils ne font presque pas de grèves. Il faut qu’on construise notre système éducatif et l’améliore tant au niveau central qu’au niveau déconcentré», explique l’inspecteur chef de la Division communication à la Direction de la formation et de la communication du Ministère de l’Education nationale.

Momar Talla Beye : «Il y a un investissement extraordinaire des enseignants, mais aussi des parents d’élèves et de l’Administration qui permettent à cet environnement de pouvoir permettre à ces élèves de bien se développer et d’avoir de bons résultats» 

Poursuivant son analyse, il souligne que, dans le système éducatif, il y a un tout et les résultats ne dépendent pas uniquement des élèves ou des enseignants. Ce qui, selon lui, fait qu’on ne peut pas aujourd’hui mettre en opposition le public et le privé. «D’abord, les conditions d’enseignement ne sont pas les mêmes. Ensuite, si on fait une cartographie des parents d’élèves du privé et de ceux du public, on voit clairement qu’ils ne sont pas les mêmes», a expliqué l’inspecteur. A l’en croire, ceux qui injectent de l’argent pour leurs enfants assurent plus de suivi que ceux qui laissent leurs enfants dans le public, en se concentrant sur la recherche de nourriture pour la famille. « Beaucoup de parents d’élèves ne vont même pas dans les classes pour savoir ce que fait ou pas leurs enfants. Ce qui n’est pas le cas des gens qui payent chaque mois pour leurs enfants », dénonce l’inspecteur.

S’agissant de la faiblesse des résultats des examens de l’école publique par rapport à l’école privée, Momar Talla Beye estime qu’il faut relativiser. «Il y a beaucoup d’Ecoles élémentaires et secondaires publiques qui ont beaucoup d’admis. On peut citer l’exemple du Lycée Limamoulaye qui est un Etablissement public, installé dans une banlieue dakaroise et qui fait d’excellents résultats. Cela veut dire qu’il y a un investissement extraordinaire des enseignants, mais aussi des parents d’élèves et de l’Administration qui permettent à cet environnement de pouvoir permettre à ces élèves de bien se développer et d’avoir de bons résultats», dira-t-il. L’environnement physique (maison) et lettré (école), soutient-il, joue un rôle important dans la réussite des apprenants.

Si l’enseignant prodigue des enseignements et apprentissages et à la maison, il y a quelqu’un qui suit et fait le nécessaire, il n’y aura pas de problème. «Mais souvent, ils sont laissés à eux-mêmes. Les enseignants sont très bien formés, avant et après la prise de service par les inspecteurs de l’éducation et de la formation. Il faut plus de présence des parents d’élèves et de prestance du Corps enseignant. Nous avons une école par la communauté et pour la communauté, mais nous ne sentons pas l’engouement que la communauté devait avoir pour l’école.

Dans les affaires de mœurs, les élèves quittent les maisons pour aller où ils veulent. Quand un parent reste pendant neuf mois sans savoir ce que son enfant fait à l’école, c’est grave et cela n’est pas du ressort des enseignants et de l’Administration. Tous les acteurs, qui gravitent autour de l’école, doivent unir leurs forces pour améliorer la qualité des élèves», suggère-t-il.

Entre autres programmes mis en place par le Ministère de l’Education nationale pour booster le niveau des élèves de l’école publique, indique l’inspecteur de l’Education et de la Formation, le dernier le projet initié par les services de Mamadou Talla, notamment le modèle harmonisé de l’enseignement bilingue, c’est-à-dire comment passer par les langues nationales pour accélérer l’amélioration des enseignements et apprentissages.

Thierno Djibril Sow : «Quand vous quittez la Seconde pour aller à la Terminale, chaque année, vous perdez deux mois de cours. Arrivés au Bac, vous ne pouvez pas être au même niveau que les autres. Ce n’est pas possible. Nous faisons les mêmes épreuves, alors qu’ils ont fait neuf mois de cours et nous sept mois. Les résultats ne peuvent pas être les mêmes»

L’amélioration de la qualité des résultats de l’école publique passe aussi par un renforcement du contrôle et de l’encadrement des inspecteurs de l’Education et de la Formation. Subdivisés en Districts dirigés par un inspecteur chef de District, ces agents du Ministère de l’Education nationale font parfois face à des problèmes de mobilité, pour faire le maillage nécessaire dans certaines zones très reculées du territoire national. Mais, selon l’inspecteur Beye, des alternatives ont été mises en place par le Ministère comme la formation à distance notamment avec le Prome.

«Nous sommes en train aussi de mettre en place une plateforme  pour permettre aux enseignants de se former et de s’autoformer. Nous ne pouvons avoir un inspecteur derrière chaque enseignant. Le système éducatif est du domaine du perfectif donc, il faudra améliorer beaucoup de choses et le Ministère de l’Éducation est à pied d’œuvre avec des projets, des programmes et des stratégies pour améliorer le système éducatif », soutient-il.

Pour Thierno Djibril Sow, proviseur au Lycée Dr Daouda Sow de Dahra Djolof, les retards accusés, ces dernières années, à cause de grèves répétitives impactent négativement la qualité des enseignements et par conséquent, les résultats de l’école publique comparés à celle privé. «Le quantum horaire, c’est important. Dans le privé, il y a de l’assiduité. Le quantum horaire est assuré presque à cent pour cent dans le privé. Alors que dans le public, il y a beaucoup de grèves et d’autres facteurs.

Il y a plus de rigueur dans le privé, c’est la réalité. Le plus gros problème auquel nous faisons face, c’est l’impact des grèves de ces dernières années. Quand vous quittez la Seconde pour aller à la Terminale, chaque année, vous perdez deux mois de cours. Arrivés au Bac, vous ne pouvez pas être au même niveau que les autres. Ce n’est pas possible. Nous faisons les mêmes épreuves, alors qu’ils ont fait neuf mois de cours et nous sept mois. Les résultats ne peuvent pas être les mêmes», a-t-il déclaré.

En plus de l’inexistence des grèves des syndicalistes, ce chef d’établissement est convaincu que l’encadrement, dont bénéficient les élèves du privé contrairement à ceux du public, constitue un avantage majeur dans la réussite. «Les parents d’élèves, dont les enfants sont dans le public, n’ont peut-être pas les moyens de payer des cours de renforcement et d’encadrement à domicile. Alors que ceux du privé bénéficient, au-delà de leurs cours, d’un accompagnement à domicile et cela compte énormément», lance-t-il.

Pour pallier ces facteurs qui empêchent l’école publique d’avoir de bons résultats, à l’image de l’école privée, Thierno Djibril Sow avance que les compétences managériales des dirigeants des Etablissements scolaires peuvent permettre de combler les manquements. «Il faudra utiliser le management, en essayant d’approcher les collègues pour les pousser à faire des cours les après-midis surtout parce que si l’on s’arrête aux cours normaux que nous devons, c’est sûr qu’on ne va pas s’en sortir.

Il faudra aussi trouver une façon de les motiver et cela peut ne pas être seulement une motivation pécuniaire. On a la qualité des ressources humaines parce que ce sont nos enseignants qui ont été bien formés par l’Etat qui servent dans les écoles privées donc, c’est l’organisation qui fait défaut parfois», a proposé le proviseur du Lycée, Dr Daouda Sow de Dahra Djolof.

Ababacar Sy : «N’importe qui n’est pas leader et pour que nos écoles fonctionnent mieux, il faut le leadership nécessaire car le problème de management se pose parfois dans nos écoles»

Ababacar Sy, inspecteur de l’Education et de la Formation à Kébémer, partage le même avis que le proviseur Thierno Djibril Sow sur la place importante que jouent les chefs d’Etablissements du public pour l’obtention de bons résultats comme cela se passe dans les écoles privées. Ce chargé des revendications du Syndicat des inspecteurs dans la région de Louga pense qu’il y a un autre levier fondamental, qui est impératif pour avoir les résultats escomptés  par les autorités qui injectent, chaque année, des milliards dans le secteur de l’Education. Il s’agit du contrôle et de l’encadrement des inspecteurs de l’éducation.

«Après avoir eu des satisfactions de la part du Gouvernement suite à nos grèves, nous comptons nous acquitter de nos devoirs. Les retombées de ces satisfactions peuvent permettre d’améliorer la qualité de l’éducation dans les écoles publiques parce qu’il y aura davantage de motivation et cela peut se répercuter sur le respect du quantum horaire et sur la qualité du travail, autant pour les enseignements et apprentissages, autant pour le contrôle et l’encadrement.

Aujourd’hui, le grand problème au niveau de nos écoles, c’est le problème de renforcement de capacité. N’importe qui n’est pas leader et pour que nos écoles fonctionnent mieux, il faut le leadership nécessaire car le problème de management se pose parfois dans nos écoles», a fait savoir l’inspecteur Sy. Il invite les enseignants à plus de patriotisme et à plus de présence  pour damer le pion à l’école privée.

Waly Gueye : «Si les parents s’investissent plus pour leurs enfants comme ils engloutissent beaucoup d’argent dans le privé, la donne allait changer»

Le secrétaire général du Syndicat des enseignants libres du Sénégal (Sels) a, pour sa part, indiqué que l’apaisement du climat social dans le secteur de l’éducation est un signal fort qui peut favoriser le degré d’engagement des enseignants. Et ces derniers vont se donner à fond, si leurs soucis sont résolus.  «Au niveau de notre Syndicat, dès lors que les revendications ont été satisfaites par l’État, nous sommes retournés à la base pour informer nos camarades de la situation mais en même temps aussi, les inviter à plus de travail.

Etant donné qu’on s’est battus pour obtenir gain de cause, à notre niveau aussi, nous ne devons plus rester à la traîne. Tout ce que l’Etat attend de nous doit être fait de la meilleure des manières. Nous avons invité nos camarades à plus de travail. Nous avons des cahiers de charges. Nous devons utiliser le temps dont on dispose à l’avantage des élèves. On doit respecter les programmes et si nécessaire, se sacrifier pour obtenir de meilleurs résultats», a promis Waly Guèye.

Pour lui, les résultats de l’école publique sénégalaise ne sont pas aussi mauvais que ceux de l’école privée. Et, si les parents s’investissent pour leurs enfants comme ils engloutissent beaucoup d’argent dans le privé, la donne va changer. «Un parent, qui paye pour son enfant et fait beaucoup de dépenses pour celui-ci, contrôle plus que celui qui a un élève dans le public. C’est à cause de cet argent qu’il investit qu’il a plus de bons résultats. A Linguère, ce que j’ai constaté c’est qu’entre les enfants du moyen secondaire qui viennent du privé et ceux qui viennent du public, il y a peu de différence», a signalé le syndicaliste.

 Saly SAGNE (Actusen.sn)      

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