L’UNESCO ne comprend donc toujours pas que nous sommes un peuple capable de produire une culture et des valeurs porteuses d’humanisme. On fait semblant d’ignorer que les Africains, comme tous les peuples, ont bâti leur société autour de valeurs en conformité avec leur idéal d’humanité. Pourtant nos priorités sont bien ailleurs : le défi de l’acquisition de la science et de la technique. L’UNESCO et les pays occidentaux devraient se battre pour un transfert de technologies : c’est la façon la plus rapide de combattre l’injustice et l’ostracisme dont nos peuples sont victimes.
Concocter des programmes et modules sur l’éducation à la sexualité n’est ni plus ni moins qu’une accusation d’immaturité lancée contre nos peuples. Pourquoi ces gens se croient-ils nantis d’un droit divin de penser pour nous, de nous formater à leur image ? Les notions de sexe et de sexualité étant elles-mêmes largement tributaires de la culture, ces gens devraient avoir de la retenue et s’abstenir de chercher à nous imposer la façon dont nous devrions parler sexe à nos enfants.
On n’a pas besoin d’être un sociologue ou un anthropologue pour comprendre comment la fonction sociale du sexe a toujours été pensée en Afrique en rapport avec des types de société et des projets d’humain. L’éducation familiale des enfants bien avant la circoncision (ou l’excision) et l’initiation qui l’accompagne, prend en charge avec beaucoup de délicatesse les notions de sexe et de genre dans la socialisation de l’enfant. L’initiation vient parachever un long processus d’éducation et de socialisation. Or il n’est plus à démontrer que le sexe est levier, un facteur de socialisation.
Comme le travail et la communication, le sexe est intégrateur. Nous travaillons pour notre propre satisfaction mais nous devenons utiles à la société. De même la recherche du plaisir est encadrée, contrôlée dans toutes les sociétés, car sans ce contrôle, l’homme échapperait à la société et deviendrait une bête immonde et redoutable face à elle. Le désir sexuel doit avoir des retombées sociales : c’est pour leur plaisir que les hommes font l’amour, mais la société doit en recevoir un bonus. Goûter aux délices de la sexualité sans être utile à la société est dès lors une forme d’égoïsme que la société peut voir d’un mauvais œil, d’où la participation à la reproduction de l’espèce est une tâche qui incombe à tous ! Faut-il rappeler ici que, dans l’absolu, la sexualité est en fin de compte une grande ruse que la nature fait avec les hommes ? Nos sociétés sont-elles si démunies au point de n’avoir rien inventé qui puisse répondre aux questions relatives au sexe et au genre ? Ce serait la pire antinomie pour une société que de ne pas savoir résoudre un problème si crucial pour sa survie.
L’affectation de l’enfant à un oncle ou à une tante ou à la grande sœur nouvellement mariée ; le transfert affectif (et sublimation) de l’énergie sexuelle (amour symbolique de la grand-mère ou grand-père) ; l’art (certaines formes de danse) ; l’organisation des mariages (cérémonial, symbolisme) ; etc. sont, entre autres, des canaux de prise en charge des questions sexuelles par la société. Il n’y a aucune confusion, aucune intolérance, aucune tyrannie sur le sexe dans nos sociétés. Mais encore une fois le sexe n’est pas seulement une affaire individuelle : si le sexe est personnel, la sexualité a une fonction sociale que rien ne peut occulter. Le mariage (donc l’échange et la communication), la reproduction de l’espèce si vitale à la survie de la société, les affinités par genre, etc., expriment déjà une certaine vision de ce que doivent être la société et l’homme.
Sexe, mariage, famille, parenté, etc. sont intimement liés, et sont ancrés dans la culture. Le type de famille qu’on a dans nos pays n’est pas tombé du ciel : il est en adéquation avec le projet de société et d’homme visé. Pourquoi le mariage entre cousins germains est banni par les uns et béni par les autres ? Ce n’est donc pas à l’UNESCO de venir nous donner des leçons et des normes de genre : il faut respecter la diversité culturelle avant de prétendre faire respecter la diversité des orientations sexuelles. De toute façon le respect de la différence ne peut pas être sans limite à moins de vouloir mettre en péril la société elle-même. Il est simplement curieux de constater que ces gens si réfractaires à la polygamie, au port du voile, etc. ne puissent pas comprendre que d’autres sociétés soient légitiment frileuses et même hostiles à l’idée de normalisation de l’homosexualité. C’est ainsi qu’ils ont pensé pour nous coloniser : ces peuples doivent être civilisés ! Et c’est toujours ainsi qu’ils pensent avec les Africains.
Alassane K. KITANE